dimanche 25 mars 2018

Rameaux — Christ solidaire




Ésaïe 50.4-7 ; Psaume 22 ; Philippiens 2.6-11 ; Marc 11.1-10

Marc 11, 1-10

1 Lorsqu'ils approchent de Jérusalem, près de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples
2 et leur dit : « Allez au village qui est devant vous : dès que vous y entrerez, vous trouverez un ânon attaché que personne n'a encore monté. Détachez-le et amenez-le.
3 Et si quelqu'un vous dit : “Pourquoi faites-vous cela ?” répondez : “Le Seigneur en a besoin et il le renvoie ici tout de suite.” »
4 Ils sont partis et ont trouvé un ânon attaché dehors près d'une porte, dans la rue. Ils le détachent.
5 Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là leur dirent : « Qu'avez-vous à détacher cet ânon ? »
6 Eux leur répondirent comme Jésus l'avait dit et on les laissa faire.
7 Ils amènent l'ânon à Jésus ; ils mettent sur lui leurs vêtements et Jésus s'assit dessus.
8 Beaucoup de gens étendirent leurs vêtements sur la route et d'autres des feuillages qu'ils coupaient dans la campagne.
9 Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient !
10 Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père ! Hosanna au plus haut des cieux ! »

*

Tout commence, avant la procession royale aux Rameaux, par un geste de solidarité de Jésus avec son peuple exilé. Geste posé devant Jean le Baptiste, et auquel Rameaux va donner son éclairage : son baptême :

Marc 1, 7-11
7 Jean prêchait, disant : Il vient après moi celui qui est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de délier, en me baissant, la courroie de ses souliers.
8 Moi, je vous ai baptisés d’eau ; lui, il vous baptisera du Saint-Esprit.
9 En ce temps-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée, et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain.
10 Au moment où il sortait de l’eau, il vit les cieux s’ouvrir, et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe.
11 Et une voix fit entendre des cieux ces paroles : Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j’ai mis toute mon affection.

Celui dont même un immense prophète, Jean, s’estime indigne, vient partager l’exil du peuple dans la souffrance et la mort, afin de l’en ramener. Aux jours des Rameaux c’est une victoire, victoire sur tout ce qui nous blesse, qui est fêtée.

*

Histoire de Pétoulet 1er, roi de Corso de M. André Blanchard — illustré en couleurs, Avignon, Rullière, 1956 (M. Blanchard était mon instituteur au CP, qui avait offert son livre à ses élèves) —, ou : de la tristesse de la solitude de Pétoulet, son exil au grenier de son oncle, aux eaux sombres de la Fontaine de Vaucluse, puis au corso, défilé en pleine lumière.

Pétoulet est un enfant de L’Île-sur-Sorgue (devenu L’Île-sur-la-Sorgue), tout petit (une pétoule est en provençal une petite crotte de rat). Pétoulet rêve d'être une star du corso qui va bientôt se dérouler dans sa ville.

Le corso est connu en Provence (le mot est d’origine italienne et désigne une promenade publique). À l’origine, c’est une occasion de célébrer ensemble un événement important. Celui-ci, coïncide bien souvent avec l’arrivée du printemps. Temps de Rameaux auquel le corso ressemble, finalement.

Le corso, ou fréquemment corso fleuri, consiste en un défilé de chars fleuris. À L’Île-sur-Sorgue, où se déroule l'histoire de Pétoulet, il s’agit d’un corso nautique, sur la Sorgue, la rivière qui trouve sa source dans la Fontaine de Vaucluse.

La Fontaine de Vaucluse est un des lieux surprenants de la nature. Un gouffre profond au pied d’une falaise, une vallée fermée, vallée clause, qui a donné son nom au département du Vaucluse. En temps normal, au fond de ce gouffre, apparaît comme un petit lac profond, mais d’où jaillit chaque printemps un flot impressionnant d’eau accumulée auparavant, croit-on, dans les profondeurs souterraines des autres montagnes alentour, dont le fameux Mont Ventoux. En naît la Sorgue, une de ces rivières abondantes du Vaucluse, dont celle qui abreuve L’Île-sur-Sorgue, et sur laquelle va se dérouler le corso nautique dont rêve Pétoulet.

Pétoulet rêve de corso, mais son oncle chez qui il demeure l’a puni et enfermé au grenier : pas question de corso pour lui ! Enfermé dans son grenier, Pétoulet rêve. Et voilà que vient à lui un être angélique, pour le sauver de sa tristesse : lui apparaît une fée qui le transporte à la Fontaine de Vaucluse, et le conduit dans le gouffre. Pétoulet plongé dans les eaux mystérieuses pour un baptême qui lui fait rencontrer le poète Pétrarque et sa bien aimée Laure. Pétrarque et Laure ont vraiment existé. Pétrarque était un poète qui vivait au XIVe siècle dans le Vaucluse, et qui s'était réfugié aux bords de la Fontaine de Vaucluse pour y célébrer l’amour de sa bien-aimée, Laure de Noves. M. Blanchard nous apprend que Pétoulet, guidé par sa fée, a retrouvé Pétrarque et Laure demeurant jusqu’aujourd’hui, vivant leur amour sur un îlot dans les profondeurs secrètes de la Fontaine de Vaucluse. Et les voilà qui accueillent Pétoulet, et qui décident de le consoler de sa tristesse : ils lui confectionnent un superbe char avec des fleurs et de grands pétales qui flottent, et l’attellent à des cygnes. Pétoulet prend place sur le char de fleurs, que les cygnes mettent en marche, le tirant jusqu’à Île sur Sorgue, faisant une entrée triomphale à Pétoulet, dès lors sacré roi du corso.

*

« Il est un autre baptême dont je dois être baptisé », annonce Jésus (Luc 12, 50), autre baptême qui se préfigure au jour de son baptême par Jean : cet autre baptême est son engloutissement dans les eaux sombres de la mort où il rejoindra — on ne peut plus totalement — le peuple qu'il rachète… Il nous rejoint jusqu'à la douleur de la mort, en passant par tout ce qui nous constitue, jusqu'aux sinuosités de nos égarements, par quoi il nous garantit que rien ne peut nous séparer de l'amour de Dieu (cf. Ésaïe 54, 10 : « Quand les montagnes s’éloigneraient, Quand les collines chancelleraient, Mon amour ne s’éloignera point de toi, Et mon alliance de paix ne chancellera point, Dit l’Eternel, qui a compassion de toi » ; ou Romains 8, 38-39 : « rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur. »), pas même nos propres tortuosités. Il nous a rejoints, devant Jean, « baptisant en vue du repentir/retour à Dieu », il nous a rejoints jusqu'à nos repentirs et jusqu'à nos prières. Le Christ a fait siennes les prières d’êtres chargés de faiblesses. Il a fait siens les Psaumes, ces Psaumes qui nous ressemblent. Rejoignant chacun dans les faiblesses qui sont les siennes, il nous rejoint par sa mort, dans les eaux de cet autre baptême, qui « lui viennent jusqu’à la gorge » (Psaume 69) :
2 Dieu, sauve-moi : l’eau m’arrive à la gorge.
3 J’enfonce dans la boue, sans pouvoir me tenir ; Je suis tombé dans un gouffre, et les eaux m’inondent.
4 Je m’épuise à crier, mon gosier se dessèche, Mes yeux se consument, tandis que je regarde vers mon Dieu.
5 Ils sont plus nombreux que les cheveux de ma tête, Ceux qui me haïssent sans cause ; Ils sont puissants, ceux qui veulent me perdre, Qui sont à tort mes ennemis. Ce que je n’ai pas volé, il faut que je le restitue.

16 Que les flots ne m’inondent plus, Que l’abîme ne m’engloutisse pas, Et que la fosse ne se ferme pas sur moi !
17 Réponds-moi, Seigneur ! car ta bonté est immense. Dans ta grande bonté, tourne vers moi ton regard,
18 Et ne cache pas ta face à ton serviteur ! Je suis dans la détresse, réponds-moi vite !
19 Approche-toi de ma vie, délivre-la ! Sauve-moi, à cause de mes ennemis !
Il nous rejoint jusqu'à ressentir son engloutissement dans la mort, que préfigure son baptême, comme un véritable abandon — selon le Psaume de ce jour, le Psaume 22 qu’il prie sur la croix, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » —, cela pour nous faire ressortir du gouffre, avec lui dans la lumière de sa résurrection. C'est ce que préfigure la procession de Rameaux, comme procession de l’entrée dans la Jérusalem promise, dans la Jérusalem future.

C’est cette promesse que nous fêtons à Rameaux, même sans tout en comprendre. Une joie simple, un accueil chantant de celui qui nous rejoint aussi jusque dans nos fêtes, qui donnent quelques moments, quelques jours de lumière dans le temps pourtant sombre qui s’annonce pour Jésus. Quelques moments de lumière annonçant la lumière de Pâques, la lumière de la résurrection.


RP, Poitiers, Rameaux, 25/03/18


dimanche 18 mars 2018

État des lieux et fidélité de Dieu




Jérémie 31.31-34 ; Psaume 51 ; Hébreux 5.7-9 ; Jean 12.20-33

Jérémie 31, 31-34
31 Des jours viennent – dit le SEIGNEUR – où je conclurai avec la communauté d’Israël – et la communauté de Juda – une alliance nouvelle.
32 Non comme lorsque que je l’ai conclue avec leurs pères quand je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte ; alliance qu'ils ont rompue, bien que je sois leur maître – dit le SEIGNEUR.
33 Voici donc l’alliance telle que je la conclurai avec la communauté d’Israël après ces jours-là – oracle du SEIGNEUR : je déposerai ma loi au fond d’eux-mêmes, je l'écrirai sur leur cœur ; je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple.
34 Ils ne s’instruiront plus entre compagnons, entre frères, répétant : « Apprenez à connaître le SEIGNEUR », car ils me connaîtront tous, petits et grands – dit le SEIGNEUR. Je pardonne leur faute ; leur péché, je ne m’en souviens plus.

Jean 12, 24-26
24 En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance.
25 Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui cesse de s’y attacher en ce monde la gardera pour la vie éternelle.
26 Si quelqu’un veut me servir, qu’il se mette à ma suite, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera.

*

Jérémie — état des lieux du VIe siècle av. J.C. : l’alliance antique a été rompue par le peuple ! Mais Dieu s’est engagé : lui demeure fidèle, l’alliance sera donc renouvelée, d’une nouvelle façon (c’est ce sens qu’elle est nouvelle) : inscrite dans les cœurs. Ce qui suppose évidemment pour que cela se concrétise la reconnaissance de l’état de fait pour un retour à Dieu, c’est-à-dire, en termes techniques : repentir.

À commencer, donc, pour ce retour à l’Alliance, par ce qui vaut à Jérémie beaucoup d’ennemis : faire cet indispensable état des lieux — à l’instar du Psaume de ce jour que nous avons entendu, le Psaume 51. Bref, humilité : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il se mette à ma suite » — « Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui cesse de s’y attacher en ce monde la gardera pour la vie éternelle. »

État des lieux : tous ont des problèmes avec l’Alliance, à commencer par le roi, ou les dirigeants, et à continuer par chacun et tout le peuple. Il s’agit de le reconnaître : c’est ce que fait le roi David au Psaume 51 ; et c’est ce que ne font pas ses successeurs au temps de Jérémie ! Et Dieu se détourne, comme fatigué…

Ce qui vaut au temps de Jérémie vaut à d’autres époques, et notamment, donc, en nos temps actuels… État des lieux : avons-nous comme Église et comme peuple été attentifs, finalement, à l’Alliance de Dieu, à ce qu’il attend de nous selon les dispositions de son Alliance ?

Sinon, et si on reconnaît qu’on n’a pas été fidèles à l’Alliance, Dieu promet : il va la renouveler. Lui va le faire ! Il ne s’agit pas de se vouloir en nouveauté de vie par ses propres désirs et ses propres efforts. Ça, c’est mortifère : « Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui cesse de s’y attacher en ce monde la gardera pour la vie éternelle. » Ça vaut aussi pour l’Église ! Comment renouveler la vie de l’Église ? En acceptant de mourir à soi-même, comme avec l’image du grain de blé !

C’est de cette façon que Dieu va tout renouveler, selon qu’il est, lui, demeuré fidèle tandis que ne l’ayant pas été, ayant préféré s’agiter, on s’agite encore pour se donner l’illusion de survivre — faire, toujours faire ! — cela tout en continuant à faire ce que les clauses de l’Alliance disent de ne pas faire, se détournant de ses préceptes, et en n’écoutant pas ce que disent les prophètes. Mais Dieu demeure fidèle à l’Alliance que nous avons rompue en ne l’écoutant pas, et il va la renouveler.

Comment ? En l’inscrivant dans les cœurs, pas en nous demandant d’en faire toujours plus au lieu de l’écouter — s’agiter pour être toujours plus sûrs de ne pas l’entendre ! — comme ces enfants qui se dispersent en mille activités que personne ne leur demande, histoire de ne pas faire la seule chose qui leur est demandée !

Ce n’est pas en remplaçant son Esprit par nos propres désirs et nos propres efforts qu’on va redresser ce qui est tordu ! Au contraire !

Jean 12 :
24 En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance.
25 Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui cesse de s’y attacher en ce monde la gardera pour la vie éternelle.
26 Si quelqu’un veut me servir, qu’il se mette à ma suite, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera.


Jésus vient de dire, parlant de lui : « Elle est venue, l’heure où le Fils de l’homme doit être glorifié » (v. 23), avant de parler, pour nous — « Ce n’est pas pour moi que cette voix a retenti, mais pour vous » (v. 30) — avant de parler, pour nous, de la mort à soi-même (v. 24-26). Puis il poursuit, le concernant (v. 27 sq.) :

27 « Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais c’est précisément pour cette heure que je suis venu.
28 Père, glorifie ton nom. » Alors, une voix vint du ciel : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
29 La foule qui se trouvait là et qui avait entendu disait que c’était le tonnerre ; d’autres disaient qu’un ange lui avait parlé.
30 Jésus reprit la parole : « Ce n’est pas pour moi que cette voix a retenti, mais pour vous.
31 C’est maintenant le jugement de ce monde, maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors.
32 Pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »
33 En parlant ainsi, il indiquait de quelle mort il devait mourir.


Dans l’Évangile de Jean, la mort de Jésus, mort réelle, douloureuse, sa mort est appelée « glorification », « élévation » : à la croix, c’est Dieu qui l’élève à lui. Ça vaut pour nous aussi, pour la mort à soi-même de chacun de nous, nous que Jésus appelle à venir à sa suite, selon l’image du grain de blé : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il se mette à ma suite, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera. »

Là, et là seulement, est la nouveauté de vie, là est le renouvellement éternel de l’Alliance et de la Vie, là est le principe des enseignements de Dieu, inscrits dans les cœurs, pas dans les vaines agitations qui ont prouvé leur impuissance, et qui ont vu et voient mourir hier comme aujourd’hui, le peuple et l’Église : Celui qui veut à tout prix maintenir par lui-même sa vie, la perd, il ne vit pas ! Mais celui qui cesse de s’y attacher (littéralement : la déteste) en ce monde (et elle n’y est pas toujours drôle !) la gardera pour la vie éternelle — par la seule confiance en la promesse de Dieu : leur faute je ne m’en souviens plus, j’inscris mon Alliance dans leur cœur.

Car Dieu a promis : vous avez rompu mon Alliance, mais moi je reste fidèle. Et je vais la renouveler en l’inscrivant dans vos cœurs. C’est un véritable appel à la confiance à travers le renoncement à soi-même qui nous est lancé par les paroles du prophète Jérémie et par Jésus.


RP, Poitiers, 18/03/18


dimanche 11 mars 2018

C’est par la grâce que vous êtes sauvés par la foi pour un fruit préparé




2 Ch 36, 14-23 ; Ps 137 ; Éphésiens 2, 4-10 ; Jean 3, 14-21

Éphésiens 2, 4-10
4 […] Dieu est riche en miséricorde ; à cause du grand amour dont il nous a aimés,
5 alors que nous étions morts à cause de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ — c’est par grâce que vous êtes sauvés,
6 avec lui, il nous a ressuscités et fait asseoir dans les cieux, en Jésus Christ.
7 Ainsi, par sa bonté pour nous en Jésus Christ, il a voulu montrer dans les siècles à venir l’incomparable richesse de sa grâce.
8 C’est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés par la foi; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu.
9 Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n’en tire orgueil.
10 Car c’est lui qui nous a faits ; nous avons été créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance afin que nous nous y engagions.

Jean 3, 14-21
14 Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l’homme soit élevé
15 afin que quiconque croit ait, en lui, la vie éternelle.
16 Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle.
17 Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
18 Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
19 Et le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré l’obscurité à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises.
20 En effet, quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de crainte que ses œuvres ne soient démasquées.
21 Celui qui fait la vérité vient à la lumière pour que ses œuvres soient manifestées, elles qui ont été accomplies en Dieu."

*

« À cause du grand amour dont il nous a aimés [, …] c’est par la grâce […] que vous êtes sauvés par la foi ; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n’en tire orgueil […] ; nous avons été créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance afin que nous nous y engagions. » (Ép 2, 8-10). C’est au fond tout l’Évangile qui est dit là.

Le ch. 3 de l’Évangile de Jean développe de même, dans un dialogue imagé de Jésus avec un homme à la piété exemplaire, Nicodème, cet Évangile en trois volets : la grâce, la foi, le fruit que sont les œuvres de lumière.

Le premier volet, l’essentiel, la grâce, y est donné dans l’image de la nouvelle naissance qui précède le passage que nous venons de lire. Avec pour chute le v. 8 : « Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » En bref, la naissance d’en Haut, c’est comme la naissance tout court : on n’y peut rien. Le souffle de Dieu, dont on ne connaît pas les voies, en est la source. C'est là la grâce.

Puis, second volet : la foi, don de la grâce. La grâce, comme le vent dont on ne sait ni d’où il vient ni où il va, on n’en conçoit rien ; elle nous précède, on n'y peut rien ; la foi on en est conscient : on sait que l’on croit. Mais à part cela, on ne peut pas en dire grand-chose — si ce n’est qu’elle nous prive de la maîtrise du salut.

Jésus illustre cela par l’évocation de l’épisode du serpent d’airain, ce serpent que Moïse avait fait forger pour que quiconque le regarde après avoir été mordu par les serpents, fût guéri.

Il en est de même de la crucifixion du Christ : une élévation sur une perche similaire à l’élévation sur une perche du serpent d’airain de Moïse de sorte que quiconque lève son regard vers lui, croit en lui, ait la vie éternelle, soit sauvé d’une mort aussi certaine que celle qui suit la morsure d’un serpent venimeux.

Quiconque croit en lui, le pendu élevé de la terre, a la vie éternelle de la même façon que quiconque regardait le serpent de Moïse était guéri des morsures des serpents venimeux. Cela nous est juste donné à croire. Et nous voilà avec le verset qui est peut-être le plus connu du Nouveau Testament : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle ».

Tout est dit dans ces quelques mots. Les versets qui suivent nous éclairent plus avant. Il est question d’extraction des ténèbres vers la lumière.

Quel est donc l’acte de foi qui reçoit la grâce de Dieu donnée en plénitude dans le signe du don de son Fils ? C’est tout simplement le regard qui du cœur des ténèbres, du chaos, du péché et de la culpabilité, de la souffrance, bref : de l’exil loin de Dieu — se tourne vers la lumière sans crainte, comme les pères au désert mordus par les serpents se tournaient vers le serpent d’airain dressé dans la lumière.

Alors s'ouvre le troisième volet : c'est en vue d'un fruit, les œuvres bonnes que Dieu a préparées d'avance. « En effet, quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de crainte que ses œuvres ne soient démasquées. Qui fait la vérité vient à la lumière pour que ses œuvres soient manifestées, elles qui ont été accomplies en Dieu. »

On est passé au-delà du jugement : le simple fait de venir au Christ est en soi se détourner des œuvres de ténèbres, et s'engager vers les œuvres bonnes que Dieu a préparées d'avance, comme semence d'une parole appelée à donner un bon fruit. C'est par la grâce que vous êtes sauvés par la foi en vue de ces œuvres bonnes.


R.P., Poitiers, AG, 11.03.18


dimanche 4 mars 2018

"Lui parlait du temple de son corps"




Exode 20, 1-17 ; Psaume 19 ; 1 Corinthiens 1, 22-25 ; Jean 2, 13-25

Jean 2, 13-25
13 La Pâque juive était proche et Jésus monta à Jérusalem.
14 Il trouva dans le temple les marchands de bœufs, de brebis et de colombes ainsi que les changeurs qui s'y étaient installés.
15 Alors, s'étant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, et les brebis et les bœufs; il dispersa la monnaie des changeurs, renversa leurs tables;
16 et il dit aux marchands de colombes: "Ôtez tout cela d'ici et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic."
17 Ses disciples se souvinrent qu'il est écrit: Le zèle de ta maison me dévorera.
18 Mais les Judéens prirent la parole et lui dirent: "Quel signe nous montreras-tu, pour agir de la sorte?"
19 Jésus leur répondit: "Détruisez ce temple et, en trois jours, je le relèverai."
20 Alors les Judéens lui dirent: "Il a fallu quarante-six ans pour construire ce temple et toi, tu le relèverais en trois jours?"
21 Mais lui parlait du temple de son corps.
22 Aussi, lorsque Jésus se releva d'entre les morts, ses disciples se souvinrent qu'il avait parlé ainsi, et ils crurent à l'Écriture ainsi qu'à la parole qu'il avait dite.
23 Pendant que Jésus était à Jérusalem, à la fête de Pâque, plusieurs crurent en son nom, voyant les miracles qu’il faisait.
24 Mais Jésus ne se fiait point à eux, parce qu’il les connaissait tous,
25 et parce qu’il n’avait pas besoin qu’on lui rendît témoignage d’aucun homme ; car il savait lui-même ce qui était dans l’homme.

*

Qu’est-ce qu’un Temple, au fond ? Demeure de Dieu ? La tradition juive a déjà répondu à cette question — dans la ligne de la promesse qui annonçait : « ils me feront au temple, et je demeurai au milieu d’eux » ; et des paroles bibliques données lors de l’édification du temple de Salomon : « les cieux des cieux ne peuvent le contenir » !

Puis le Temple de Salomon a été abattu par les troupes babyloniennes… Et Dieu n’a pas disparu… Et le Temple a été rebâti, sans que ce soit Dieu qui en ait besoin. Un temple, c’est pour nous, pas pour Dieu !

Au temps de Jésus, le Temple vient d’être embelli par Hérode. Un temple magnifique… abattu à son tour, par les Romains, et dont il reste… un mur.

Une petite histoire :
Une journaliste apprend qu'un vieux juif va prier au mur occidental du Temple (dit "mur des Lamentations") depuis 60 ans sans interruptions.
Flairant le scoop, elle s'y précipite et voit venir un petit vieux qui trottine vers le mur et se met à prier.
Elle attend qu'il ait fini et soit revenu et lui demande :
- Bonjour. Est-il vrai que vous priez ici depuis 60 ans ?
- Oui, c'est vrai, depuis 60 ans.
- Et que demandez-vous ?
- Je prie pour la paix mondiale, pour que les hommes s'aiment et que les juifs et les Arabes deviennent frères, que mes enfants aient un avenir.
- Et que se passe-t-il depuis 60 ans ?
- Je parle à un mur…


Illustration de ce que peut n’être pas l’exaucement de la prière… Ou de ce que cela peut être !

*

L’évangile de ce jour nous conduit au geste de Jésus chassant les marchands du Temple. Étrange façon d’aimer son prochain que de le chasser à coups de fouet ! N’est-ce pas une remarque que l’on fait parfois ?

Autre texte de ce jour, le Décalogue, résumé de la Loi, qui se résume encore en cette double parole : tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et (pour) ton prochain comme toi-même. Et voilà Jésus qui use du fouet contre ce prochain ?!

Eh bien, je vous propose ce matin de recevoir ce double commandement dans le récit de ces gestes de Jésus au Temple. Rassurez-vous, sans masochisme !

Amour de Dieu — a-t-on dit. Amour de Dieu — c’est-à-dire refus de l'idolâtrie. Et c'est ce que voulaient garantir les contemporains de Jésus à travers cette institution du change à l'entrée du Temple ! Eh bien, Jésus s'inscrit en fait dans cette logique, mais la pousse à son terme. Car, au fond, son geste montre qu'il est bel et bien d'accord — avec le principe — du change à l'entrée du Temple. Rappelons en effet ce qu'il en est. C'est là le cœur du problème.

On vient au Temple pour sacrifier. Jésus lui-même, selon l'Évangile de Luc, a été au bénéfice de cette pratique à l'occasion de sa présentation au Temple. Conformément à la Loi, ses parents ont sacrifié à cette occasion "un couple de tourterelles ou deux petits pigeons" (Luc 2, 24).

Lorsque des croyants montent de Galilée à Jérusalem, comme c'est le cas de Joseph et Marie, il est peu vraisemblable qu'ils amènent les animaux du sacrifice avec eux. Alors ils les achètent sur place, pour plusieurs d'entre les fidèles en tout cas.

Et donc, à l'entrée du Temple, dans la première partie, s'installent des marchands. On n'est pas dans la partie proprement sacrificielle du Temple, mais déjà dans son enceinte. Déjà dans un lieu sacré qu'il s'agit de ne pas profaner. Et surtout pas par l'idolâtrie.

Mais il faut bien les acheter, ces animaux à sacrifier. Et il se trouve que la monnaie courante, romaine, est ornée des idoles de l'Empire, à commencer par l'Empereur divinisé. Or le Temple a pouvoir de frapper monnaie, dernière marque de sa souveraineté perdue. On change donc auparavant la monnaie impériale en monnaie du Temple pour acheter les animaux du sacrifice. Il n'est pas exclu que les parents de Jésus eux-mêmes aient fait ainsi.

Cette perspective, la légitimité du change et de la vente d'animaux, permet de bien comprendre le geste de Jésus. Le geste de Jésus ne contredit pas la perspective des prêtres du Temple, mais va dans son sens en lui donnant toute sa radicalité. « Le zèle de ta maison me dévore ».

Mais c'est que du coup, en donnant toute sa radicalité et sa logique à la pratique courante, Jésus la rend concrètement et paradoxalement impossible. Non seulement le Temple n'est pas méprisé par Jésus, mais il est vénéré au point que son sens entre dans l'inaccessible. C’est en ce sens que son corps ressuscité et le Temple s'assimilent comme signe de la présence sainte de Dieu.

Ainsi glisse-t-il du Temple à son corps qui, détruit, sera relevé en trois jours. Destruction du Temple et résurrection du Christ son mis en parallèle. Promesse et avertissement à la fois. Avertissement sur la destruction prochaine du Temple, promesse de sa résurrection, lieu définitif et indestructible de la présence de Dieu. Et en même temps, combat définitif, et victoire, contre l'idolâtrie, qui subsiste évidemment, d'une façon cachée, jusque sous la pratique du change. Ce qui a exaspéré Jésus.

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Présence de Dieu par le Christ ressuscité, par le Christ présent en ce jour au milieu du Temple ? Par un être humain ? Voilà qui nous conduit évidemment au deuxième commandement : tu aimeras (pour) ton prochain comme toi même, équivalent du premier sur l'amour de Dieu — ce qui exclut toute possibilité de violence, à commencer par la violence fanatique, au nom de Dieu ; et qui donne tout son sens à la promesse : au milieu d’eux — « ils me feront au temple, et je demeurai au milieu d’eux »

Cela en nous dévoilant ce qui est infiniment aimable dans le prochain : ce qui est à l'image de Dieu, précisément ; sa présence cachée en Christ. Rappelez-vous Matthieu 25 : « tout ce que vous avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que l'avez fait ». Ou dans l'Évangile de Jean, le Cep et les sarments : « demeurez en moi ».

La présence cachée du Christ en mon prochain, voilà qui en fait ce qu'il est vraiment, être à l'image de Dieu, lieu concret de l'exercice de l'amour de Dieu.

Cela, précisément — et aucun des faux-semblants, autant de mensonges qui défigurent l'image de Dieu en nous. Cette façon de se cacher, qui est ici dans cette volonté de demander des signes. Jésus vient de montrer par son geste toute la légitimité de son ministère aux yeux de qui sait voir. La radicalité de son zèle pour Dieu, sa filiation divine. Et on a besoin de signes pour croire ! Façon de se cacher derrière son petit doigt.

De toute façon, des signes, il va en donner, en forme des miracles, toujours gratifiants pour ceux qui en bénéficient. Et qui peuvent susciter une certaine foi. Mais dont Jésus ne fait pas grand cas. La vraie foi n'est pas fondée sur les bénéfices spectaculaires qu'on en retire. Quiconque se laisse éblouir par quoi que ce soit d'autre que la parole de Dieu, par des signes — que ce soit des miracles, de l'éloquence, des coups d'éclats, un pouvoir de séduction en somme — n'a encore pas compris l'Évangile. Celui-là croit croire en Jésus, mais Jésus, nous dit le texte, ne croit pas en lui : il sait ce qui est en l'homme.

L'Évangile est caché sous ce dont on fait peu de cas. Le prochain, ainsi, n'est pas aimable parce qu'il brille, parce qu'on en dit du bien, parce qu'il a du pouvoir de séduction, parce qu'il fascine et laisse bouche bée. C'est ce que font les chefs de sectes. « Jésus, lui, précise le texte, ne se fiait point à eux, parce qu’il les connaissait tous, parce qu’il n’avait pas besoin qu’on lui rendît témoignage d’aucun homme ; car il savait lui-même ce qui était dans l’homme. » Ce qui est aimable en l'homme, c'est la présence, cachée, mystérieuse, de l'image de Dieu, dévoilée en Jésus, la parole de la vérité, qui ne flatte pas, qui ne séduit pas. Qui est vraie, simplement. Les disciples, ainsi, n'ont pas cru en Jésus parce qu'il a fait des miracles, qu'il était fascinant, séduisant, que sais-je encore. Ils ont cru en lui parce qu'ils ont perçu la vérité de ses paroles, de sa vie, ils ont perçu en lui la présence et l'image de Dieu par laquelle il est notre prochain et par laquelle chacun de nos prochains reçoit sa valeur infinie.

S’il est un Temple, c’est avant tout celui-là ; c’est aussi cette vérité que fera éclater sa résurrection. En Christ ressuscité, on sait désormais que l’on est le Temple de Dieu.

C’est le prochain d’une dignité infinie, contre un mammonisme chronique… qui explique largement la situation actuelle du monde. Où l’on mesure à quel point Jésus est fondamentalement d’accord avec ceux qui refusent l’argent romain au Temple. N’entre au Temple, en présence de Dieu, qu’une monnaie non idolâtre. Mais plus que ça, Jésus s’insurge contre l’idolâtrie inconsciente qui revient, avec cette monnaie du Temple, à faire de Dieu et César deux pouvoirs chacun à la tête de deux banques d’État qui fonctionnent en parallèle, avec possibilité de change — et pour une valeur équivalente.

Mammon est derrière de toute façon ! L’idole de Mammon est, depuis quelques temps, fortement ébranlée — la crise. Mais ne rêvons pas. Le Mammon qu’elle représente, et qui a mis le monde dans cet état, lui est protéiforme. De la pauvreté au terrorisme et retour via une économie mondialisée devenue folle.

L’indignation de Jésus, « le zèle de ta maison me dévore » est celle par laquelle il met en opposition radicale le Dieu qui est au-delà, et tous les pouvoirs, fussent-ils religieux, ici le pouvoir financier du Temple. Le Dieu saint, séparé de tous les pouvoirs, surtout s'ils se réclament de lui — n’est pas un dirigeant d’une institution de pouvoir, ni d’une institution financière, ni la caution de quelque fanatisme que ce soit qui utiliserait son Nom. Il est saint, séparé, son Temple est l’humain glorieux dévoilé par le Ressuscité. Son Royaume est d’une toute autre nature.


R.P., Châtellerault 4.03.18