dimanche 25 février 2018

Secret des actions divines





Marc 1, 29-45
29 En sortant de la synagogue, ils se rendirent avec Jacques et Jean à la maison de Simon et d’André.
30 La belle-mère de Simon était couchée, ayant la fièvre ; et aussitôt on parla d’elle à Jésus.
31 S’étant approché, il la fit lever en lui prenant la main, et à l’instant la fièvre la quitta. Puis elle les servit.
32 Le soir, après le coucher du soleil, on lui amena tous les malades et les démoniaques.
33 Et toute la ville était rassemblée devant sa porte.
34 Il guérit beaucoup de gens qui avaient diverses maladies ; il chassa aussi beaucoup de démons, et il ne permettait pas aux démons de parler, parce qu’ils le connaissaient.
35 Vers le matin, pendant qu’il faisait encore très sombre, il se leva, et sortit pour aller dans un lieu désert, où il pria.
36 Simon et ceux qui étaient avec lui se mirent à sa recherche ;
37 et, quand ils l’eurent trouvé, ils lui dirent : Tous te cherchent.
38 Il leur répondit : Allons ailleurs, dans les bourgades voisines, afin que j’y prêche aussi ; car c’est pour cela que je suis sorti.
39 Et il alla prêcher dans les synagogues, par toute la Galilée, et il chassa les démons.

40 Un lépreux vint à lui ; et, se jetant à genoux, il lui dit d’un ton suppliant : Si tu le veux, tu peux me rendre pur.
41 Jésus, ému de compassion, étendit la main, le toucha, et dit : Je le veux, sois pur.
42 Aussitôt la lèpre le quitta, et il fut purifié.
43 Jésus le renvoya sur-le-champ, avec de sévères recommandations,
44 et lui dit : Garde-toi de rien dire à personne ; mais va te montrer au sacrificateur, et offre pour ta purification ce que Moïse a prescrit, afin que cela leur serve de témoignage.
45 Mais cet homme, s’en étant allé, se mit à publier hautement la chose et à la divulguer, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer publiquement dans une ville. Il se tenait dehors, dans des lieux déserts, et l’on venait à lui de toutes parts.

Marc 9, 1-10
1 Il leur dit encore : Je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici ne mourront point, qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu venir avec puissance.
2 Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il les conduisit seuls à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ;
3 ses vêtements devinrent resplendissants, et d’une telle blancheur qu’il n’est pas de foulon sur la terre qui puisse blanchir ainsi.
4 Élie et Moïse leur apparurent, s’entretenant avec Jésus.
5 Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : Rabbi, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie.
6 Car il ne savait que dire, l’effroi les ayant saisis.
7 Une nuée vint les couvrir, et de la nuée sortit une voix : Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le !
8 Aussitôt les disciples regardèrent tout autour, et ils ne virent que Jésus seul avec eux.
9 Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur recommanda de ne dire à personne ce qu’ils avaient vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme fût ressuscité des morts.
10 Ils retinrent cette parole, se demandant entre eux ce que c’est que ressusciter des morts.

*

« C'est pour prêcher que je suis sorti » (Mc 1, 38), sorti de l'éternité pour venir vers nous.

Jésus, l'homme qui sort vers nous, depuis l'éternité bienheureuse, comme en écho du v. 29 : « En sortant de la synagogue », où, juste avant, Jésus libérait un homme possédé d'un esprit impur, faisant que « sa renommée se répandit aussitôt dans tous les lieux environnants de la Galilée » (Mc 1, 28). Puis une série de guérisons et de libérations, par compassion, précise un peu après le v. 41, dont celle de la belle-mère de Pierre.

Sorti pour proclamer la Parole de Dieu, après être sorti, seul au désert pour prier (Mc 1, 35 & 38), Jésus guérit, par compassion. Compassion, amour pour le prochain comme pour soi-même, c’est cela et rien d’autre qui faisait croître l’Église primitive. Jean 13, 35 : « À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres ». Le monde alentour en était impressionné. Compassion, « venant des entrailles » selon le mot grec employé ici, proche en cela du mot hébreu « miséricorde », entrailles de mère.

Et sa réputation se répand, et évente le secret qu’il demande…

*

« Jésus leur recommanda de ne dire à personne ce qu’ils avaient vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme fût ressuscité des morts » (Mc 2, 9).

Du silence opposé aux esprits impurs (cf. Mc 1, v. 25) aux nombreuses guérisons dont celle du lépreux trop loquace en passant par la guérison censément privée de la belle-mère de Pierre, l’Évangile de Marc voit commencer le ministère de Jésus en posant la nécessité de ce qui a été appelé le « secret messianique » (le « secret messianique » est requis : des esprits - Mc 1, 24-25 ; 1, 34, « il ne leur permettait pas de parler » ; 3, 11-12 - ; des personnes que Jésus guérit - Mc 1, 44 ; 5, 43 ; 7, 36 ; 8, 26 - ; des disciples - Mc 8, 30 ; 9, 9) — il est des choses qui ne peuvent se comprendre que lorsque leur vérité profonde est dévoilée. La publicité qui lui est faite contraint Jésus à se réfugier au désert (Mc 1, v. 45). Tandis que la mécompréhension de qui il est se déploie, jusqu’à lui valoir la croix.

Un premier dévoilement du secret, du mystère de son être, en sera donné à trois disciples, dévoilement de la part lumineuse du secret lors de la transfiguration — part lumineuse car il y a aussi la part sombre, qui est la croix. Ce qu’illustre un conte juif à propos d’Élie — présent lors de la transfiguration —, parlant de la signification du secret des actions divines…

*

Rabbi Josué ben Levi [début IIIe s.] était réputé pour son savoir et sa générosité : ses paroles étaient savantes, et ses actes bienveillants. Pourtant, il n’était pas heureux. Du matin jusqu’au soir, il priait sans boire ni manger, désireux d'une seule chose : que Dieu entende sa prière et lui accorde de rencontrer le prophète Élie.
Un jour à l'aube, alors que Josué priait, le prophète apparut devant lui : - Que veux-tu de moi ? lui demanda-t-il. Dis-moi quel est ton vœu.
- Les hommes me vénèrent, répondit Josué, mais je sais, en ce qui me concerne, que j’ai encore beaucoup à apprendre. Je souhaite t’accompagner sur tes chemins, Élie.
Je verrai des actes pieux, des miracles par lesquels tu rends gloire au Dieu unique, et alors seulement je pourrai devenir sage. - À quoi te servira d'être à mes côtés ? - objecta Élie. Regarder ne te suffira pas pour comprendre mes actes, tu me poseras des questions, et le chemin nous deviendra pesant.
- Je te promets de ne poser aucune question, assura Josué. Je te regarderai faire sans rien te demander.
- C'est bien, dit Élie, alors viens avec moi. Mais si tu ne parviens pas à te taire, et que tu veuilles connaître la raison de mes faits, nous nous séparerons aussitôt.
Josué accepta la condition, et bientôt les deux hommes se mirent en route. Après une longue marche, ils arrivèrent à la nuit tombée au logis d’un pauvre. Dans sa cabane qui tenait à peine, on voyait clignoter les étoiles à travers le toit, et le seul bien que ce malheureux possédât, était une vache, maigre, attachée dans la petite cour. L’homme et sa femme cependant accueillirent leurs hôtes aimablement ; ils les firent dormir dans leur propre lit et eux-mêmes couchèrent dans le foin, au grenier.
Au matin, Josué se réveilla juste à temps pour entendre la prière d’Élie, et il faillit s’étouffer d’indignation : celui-ci demandait à Dieu de tuer l’unique vache du pauvre homme, et dès qu’il eut fini de prier, la bête tomba morte sur la terre. - Que fais-tu là ? demanda-t-il d’un air plein de reproche. Ces gens sont déjà pauvres, et toi, au lieu de les récompenser de leur bonté, tu accrois encore leur misère. - Je veux bien te répondre, dit Élie, mais il faudrait ensuite que nous nous séparions ; souviens-toi de notre accord.
Josué n’insista donc pas et continua de faire route avec le prophète sans rien dire. Les voyageurs arrivèrent le lendemain soir chez un homme très riche. Sa maison avait plusieurs pièces, agréablement aménagées ; de la cuisine se dégageait une bonne odeur de rôti ; mais Élie et Josué ne reçurent chez lui ni lit ni repas. Près de la maison du riche, se dressait un mur à moitié en ruines, que le maître se préparait à reconstruire.
Il allait se mettre au travail mais, à ce moment, Élie fit une prière, et sur les ruines s’éleva un mur tout neuf.
- Qu’est-ce donc que cette justice ? pensa Josué. Un homme aussi avare, et voilà qu’Élie lui vient en aide ! Mais il ne dit mot et, les lèvres serrées, rempli d’amertume et de tristesse, il continua de suivre le prophète. Ils parvinrent ce jour-là à un beau temple. Tout y était d’or et d’argent ; les bancs de prière étaient confortables, garnis de coussins. Quand Élie entra avec Josué dans le temple, trois hommes richement vêtus s’y trouvaient.
- Encore des mendiants, fit l’un d'eux en hochant la tête sans même leur accorder un regard. Qui va leur donner à manger ?
- Du pain sec et un peu d'eau, ce sera assez pour des vagabonds comme eux, répondit l’autre homme.
Puis les riches s'en allèrent, mais aucun d'eux ne revint avec la nourriture ; Élie et Josué passèrent la nuit dans le temple, par terre, dans le froid. Le matin, lorsque les hommes vinrent prier, Élie leur dit : - Dieu fasse que vous deveniez tous trois les chefs de la communauté !
Josué eut peine à cacher son dépit. « Comment Élie peut-il être aussi généreux envers ceux qui mériteraient plutôt un châtiment ? se demandait-il, affligé. Peut-on rester muet devant une telle manière d’agir ? » Josué s'apprêtait à demander à Élie de s’expliquer mais, au dernier moment, il se rappela sa promesse. Il se contenta donc de hocher la tête devant l’étrange comportement d’Élie et, plus triste encore qu’auparavant, il poursuivit sa route à ses côtés.
Au coucher du soleil, les deux hommes atteignirent une autre ville. À peine eurent-ils mis le pied dans ses rues, que les gens les saluèrent cordialement, chacun s’empressant de leur offrir l'hospitalité. Finalement, les voyageurs passèrent la nuit dans la plus belle demeure, où ils reçurent également un repas et des boissons de choix. Le matin, les plus illustres notables de la cité vinrent leur faire leurs adieux. Le prophète ne fit pas même allusion à leur aimable accueil, leur souhaitant simplement : - Dieu fasse que l’un de vous devienne le chef de cette cité !
Cette fois, Josué n’y tint plus : - Élie ! s’écria-t-il avec humeur, je voulais rester avec toi le plus longtemps possible, mais je ne peux plus me taire. Dis-moi pourquoi tu récompenses les méchants, et non les bons ? Ne pouvant te comprendre, je préfère me séparer de toi plutôt que d'être tourmenté par tes actions ! - Comme tu voudras, acquiesça le prophète avec indulgence. Je te révélerai donc ce que tu tiens à savoir, puis chacun reprendra son chemin. Sache donc, Josué, que le pauvre qui a perdu son unique vache, devait voir ce même jour mourir sa femme. L’ange de la mort était déjà dans la maison, et c'est pourquoi j’ai demandé à Dieu de prendre la vie de l’animal plutôt que celle de sa femme. Dieu a exaucé mon vœu, et le brave homme pourra encore vivre avec elle de longues années de bonheur. J’ai relevé le mur du riche qui nous avait chassés, car dans les assises du mur était enfoui un grand trésor, et si le riche avait reconstruit son mur lui-même, il l’aurait certainement trouvé. Les hommes du temple somptueux ignoraient l’hospitalité, c’est pourquoi j’ai souhaité à tous de devenir les maîtres de la communauté. Ils ne parviendront pas à s’accorder, se querelleront, et leur désunion conduira la ville à sa perte. Car c’est avec raison que l’on dit : « Plusieurs capitaines font couler un navire, tandis qu’un seul maître à bord le mènera à bon port. » C’est pourquoi j'ai souhaité à la ville qui nous avait accueillis avec amitié de n’avoir qu’un seul chef.
Élie termina son discours, serra Josué dans ses bras, et ajouta à voix basse :
- Tu voulais apprendre de moi une grande sagesse, mais celle-ci contient tout : si tu rencontres un impie, à qui la vie réussit, et un juste qui est dans la peine, ne t’y trompe pas. Tu as vu que Dieu est équitable et que Son jugement dépasse l’entendement humain.
Qui pourrait donner à Dieu des conseils ?
Sur ces mots, Élie bénit Josué, et avant qu’il ait pu réagir, le prophète disparut de sa vue.
(D'après « Voyage avec Élie », Contes juifs, éd. Gründ, p. 65-67.)

*

Marc 9, 9-13
9 Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur recommanda de ne dire à personne ce qu’ils avaient vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme fût ressuscité des morts.
10 Ils retinrent cette parole, se demandant entre eux ce que c’est que ressusciter des morts.
11 Les disciples lui firent cette question : Pourquoi les scribes disent-ils qu’il faut qu’Élie vienne premièrement ?
12 Il leur répondit : Élie viendra premièrement, et rétablira toutes choses. Et pourquoi est-il écrit du Fils de l’homme qu’il doit souffrir beaucoup et être méprisé ?
13 Mais je vous dis qu’Élie est venu, et qu’ils l’ont traité comme ils ont voulu, selon qu’il est écrit de lui.

Le « secret messianique » de l’évangile, proche de celui d’Élie, est ainsi celui du sens, du pourquoi de la crucifixion du Saint de Dieu, qui éclate dans sa future résurrection, révélée à trois disciples lors de la transfiguration…


RP, Poitiers, 4/02/18 :
Job 7.1-7 ; Psaume 147 ; 1 Corinthiens 9.16-23 ; Marc 1.29-39
Châtellerault (AG) 11/02/18 :
Lévitique 13.1-2,45-46 ; Psaume 102 ; 1 Corinthiens 10.31–11.1, Marc 1.40-45
Niort, 25/02/18, Transfiguration :
Genèse 22.1-18 ; Psaume 116 ; Romains 8.31-34 ; Marc 9.2-10


dimanche 18 février 2018

À Toi, mon Dieu, mon cœur monte




Genèse 9.8-15 ; Psaume 25 ; 1 Pierre 3.18-22 ; Marc 1.12-15

Psaume 25
1 De David.
Seigneur, je suis tendu vers toi.
2 Mon Dieu, je compte sur toi ; ne me déçois pas ! Que mes ennemis ne triomphent pas de moi !
3 Aucun de ceux qui t’attendent n’est déçu, mais ils sont déçus, les traîtres avec leurs mains vides.
4 Fais-moi connaître tes chemins, Seigneur ; enseigne-moi tes routes.
5 Fais-moi cheminer vers ta vérité et enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve. Je t’attends tous les jours.
6 Seigneur, pense à la tendresse et à la fidélité que tu as montrées depuis toujours !
7 Ne te souviens pas des péchés de ma jeunesse ni de mes révoltes ; Souviens-toi de moi selon ta bienveillance, À cause de ta bonté, Seigneur.
8 Le Seigneur est si bon et si droit qu’il montre le chemin aux pécheurs.
9 Il fait cheminer les humbles vers la justice et enseigne aux humbles son chemin.
10 Toutes les routes du Seigneur sont fidélité et vérité, pour ceux qui observent les clauses de son alliance.
11 Pour l’honneur de ton nom, Seigneur, pardonne ma faute qui est si grande !
12 Un homme craint-il le Seigneur ? Celui-ci lui montre quel chemin choisir.
13 Il passe des nuits heureuses, et sa postérité possédera la terre.
14 Le Seigneur se confie à ceux qui le craignent, en leur faisant connaître son alliance.
15 J’ai toujours les yeux sur le Seigneur, car Il dégage mes pieds du filet.
16 Tourne-toi vers moi ; aie pitié, car je suis seul et humilié.
17 Mes angoisses m’envahissent ; dégage-moi de mes tourments !
18 Vois ma misère et ma peine, enlève tous mes péchés !
19 Vois mes ennemis si nombreux, leur haine et leur violence.
20 Garde-moi en vie et délivre-moi ! J’ai fait de toi mon refuge, ne me déçois pas !
21 Intégrité et droiture me préservent, car je t’attends.
22 O Dieu, rachète Israël ! Délivre-le de toutes ses angoisses !

Marc 1, 12-13
12 Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert.
13 Durant quarante jours, au désert, il fut tenté par Satan. Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.

*

Pour entrer en ce premier dimanche de Carême et accompagner notre réception de l’épreuve de Jésus au désert, nous nous arrêterons sur le Psaume 25, avec lequel nous sommes invités à nous recueillir aujourd'hui.

Voyons donc d'abord ce qu’il dit en son premier sens, dans le contexte proposé aux premiers versets : le roi David est aux prises avec des ennemis. C’est un peu le destin normal d’un chef politique, me direz-vous, et de quiconque est doté ne serait-ce que d'un peu de pouvoir, fût-il seulement symbolique, suscitant la jalousie, et même malgré lui.

Face à cela, ce qui peut faire la faiblesse du roi attaqué, ce sont ses fautes éventuelles. Que font ses ennemis ? Ils cherchent à le discréditer. Quel homme, ou femme en vue ne connaît pas cela ?

Fautes éventuelles… David, on le sait, a connu, hélas ! L'affaire Bathshéva. Non seulement il a séduit la femme d’un autre, mais pour écarter le mari, un de ses généraux, il l’a exposé sur le champ de bataille de sorte qu’il a été tué. Quant à cet adultère doublé d’un quasi-meurtre, David a eu la chance d’avoir affaire à un prophète discret, le prophète Nathan. Il n’en a pas moins été traité par lui très sévèrement et David a dû s’humilier devant Dieu comme il le méritait. Et a avoué amèrement sa faute devant Dieu. On va voir combien cela est important.

Le roi, en effet, sera d’autant plus accessible à ses ennemis, à ceux qui le trahissent, qu’ils auront « du grain à moudre » comme on dit — fût-ce d'ailleurs un tissu de faussetés… Comme c’est le cas dans le Ps 25 (qui ne parle pas de l'affaire Bathshéva ou d’une quelconque faute précise et réelle).

Mais, et c’est là une leçon importante du Psaume, quand les accusations sont fausses, que fait David ? Il demande à Dieu de le pardonner ! Non pas pour les péchés qu’il n’a pas commis, et dont on l’accuse à tort pour mieux l’abattre ; mais pour ce qu’il est un homme en proie à la faiblesse : si on l’accuse à tort, il ne prétend pas pour autant être l’agneau qui vient de naître. Il n’en sait que mieux le danger auquel il est exposé.

Et il ne présume pas de ses forces propres.

Il ne s’appuie donc pas sur son innocence, pourtant réelle en l’espèce, mais sur la fidélité de Dieu, qui s’est allié avec lui, et dont il n’a pas trahi l’alliance, contrairement à ses ennemis tapis dans l’ombre pour l’attaquer.

Et quelle est cette alliance ? Ici c'est l’alliance royale bien sûr — il y fait allusion, selon laquelle son trône subsistera parce que Dieu en est garant. Mais ça vaut aussi pour l’alliance qui nous concerne tous, scellée avec Abraham, l’alliance de la foi, de la fidélité de Dieu, qui ne laisse pas tomber celui qui compte sur lui, et de la confiance qu’on peut lui faire.

*

Voilà qui vaut pour chacun de nous : je suis d’autant plus faible que je suis loin de Dieu, et que donc, je me crois fort ! Ce qui fait de moi la proie de toutes les attaques. Derrière les ennemis de David, on peut imaginer tout ce qui peut nous séparer de Dieu — autant de figures, comme les ennemis de David, de celui que le Nouveau Testament appelle l’ « ennemi de nos âmes ».

Alors la prière, le Psaume, commence par : « à toi mon Dieu, mon cœur monte » (selon la traduction de Clément Marot, que nous chantons jusqu’aujourd’hui) et se termine par : « délivre-moi, ne me déçois pas », avant la louange finale : Dieu a exaucé cette prière.

Auprès de Dieu est la vie : élever son cœur vers Dieu est recevoir la vie, loin de lui sont tous les dangers. Oui en moi je suis faible, susceptible de pécher, de me laisser abattre par mes ennemis, mon ennemi. Et cela je le reconnais : combien de fois m’est-il arrivé de succomber, et de devenir ainsi la proie de ceux qui veulent me séparer de Dieu, rompre l’alliance.

Alors, pardonne les péchés de ma jeunesse, — c’est-à-dire éventuellement ceux d’hier matin. Et garde-moi de présumer de mes forces, et de croire que je puisse me mettre moi-même à l’abri du péché. Dès aujourd’hui je me place devant toi tel que je suis.

Et, « montre-moi, Seigneur la route, qui seule conduit à toi. » (trad. Marot)

Nous voilà donc entre l’élévation vers Dieu — et l’éloignement de Dieu, qui conduit au péché, et nous laisse en proie à tous les dangers, et à toutes les attaques injustes de l’ennemi qui veut nous abattre, et qui peut être parfois tout à fait personnalisé. « Ils sont plus nombreux que les cheveux de ma tête, ceux qui me haïssent sans cause » (Psaume 69, 5). Inimité au fond contre une parole qui dérange, et vaut persécution. Rappelez-vous : « heureux serez-vous lorsqu’on dira de vous toute sorte de mal à cause moi » (Matthieu 5, 11).

Face à cela est la montée de notre cœur vers Dieu, qui est notre seul abri.

Et déjà ce seul tournement vers Dieu, cette conversion, est le salut, l’entrée sur le chemin de vérité et de vie, quels que soient les dangers, risques, les tentations, etc.

*

Et à ce point le Psaume a été lu dans l’histoire de l’Église comme parlant du Christ — poussé par l’Esprit au désert, où, durant quarante jours, au désert, il fut tenté par Satan ; étant avec les bêtes sauvages, tandis que les anges le servaient (Marc 1, 12-13).

« Fais-moi connaître tes chemins, Seigneur ; enseigne-moi tes routes. Fais-moi cheminer vers ta vérité et enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve. Je t’attends tous les jours » (Ps 25, 4-5).

Cf. Jean 14, 4-6 : « "Quant au lieu où je vais, vous en savez le chemin." Thomas lui dit : "Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin ?" Jésus lui dit : "Je suis le chemin et la vérité et la vie. Nul ne va au Père si ce n’est par moi." »

Les Psaumes ont été lus dans l’histoire de l’Église comme parlant du Christ pour nous en ce sens que Jésus s’est identifié aux pécheurs.

Il a fait siennes nos prières, en faisant sienne notre humanité. Jusqu'à partager notre faim. C'est aussi ce que dit son jeûne au désert, où le pousse le souffle de Dieu après son baptême par lequel il marque sa solidarité avec nous, pécheurs, dans le repentir que prêche Jean. Le juste, parole éternelle qui ne passe pas, est devenu l’un de nous, un homme mortel. Selon les termes de l’Épître aux Hébreux (4, 15) : « Nous n’avons pas, en effet, un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses ; il a été éprouvé en tous points à notre ressemblance, mais sans pécher. »

Cela au point de faire siennes nos prières, nos Psaumes tout humains, à un point qui nous choque lorsque dans les Psaumes où nous croyons reconnaître le Christ — on en arrive à des confessions de péché et des demandes de pardon. Mais ce n’est plus le Christ cela, pensons-nous naturellement !

Eh bien en un sens, si, c’est lui. Non pas qu’il aurait péché lui-même ! — mais qu’il a fait siennes les conséquences de nos fautes. Et que donc, il confesse notre faute, nos fautes, en solidarité avec nous.

Il a fait siennes toutes nos limites, jusqu’à notre mortalité. Il a fait siens nos deuils : il a pleuré la mort de Lazare. Il a fait sienne notre humanité au sens le plus précis. Comme nous, il est devenu un individu, cet individu, appartenant à ce moment de l’histoire — né sous César Auguste, crucifié sous Ponce Pilate — ; appartenant à ce peuple, le peuple juif, préparé comme peuple de l’Alliance et donc peuple premier de Dieu. Cela aussi Jésus le fait sien jusqu’au bout ! Et c’est comme cela, qu’il nous sauve. Celui qui est la parole éternelle, qui a fondé le monde et connaît tous les méandres de nos vies a emprunté un chemin, celui de l’alliance qui va d’Abraham au Royaume.

Héritier, selon les évangiles, de l’alliance royale scellée avec David : nous venons de le lire : « ses enfants après lui auront la terre en partage ». Et ses enfants, particulièrement, selon la foi chrétienne, en cet enfant particulier qui est le chemin, le Christ. « Montre-moi, Seigneur, la route qui seule conduit à Toi » priait le Psaume de David.

Il est entré en nos chemins pour devenir notre chemin, chemin de vérité en qui seul est la vie. Faisant dès lors de la prière du Psaume celle de notre salut. On m’accuse à tort, certes, prie le Psaume ; cela dit, mon salut n’est pas dans ma justice, mais dans la fidélité de Dieu à son alliance. Ma justice n’est rien que petit commencement.

L’ennemi est celui qui voudrait me déstabiliser à cause de cela et me séparer de mon seul soutien, de ma seule assurance : Dieu m’a rejoint dans mon chemin, et m’a ainsi montré le chemin, la vérité et la vie. Alors « à toi mon Dieu mon cœur monte ! »


RP, Poitiers, 18.02.18



Psaume 25,
Traduction Clément Marot 1543,
adaptée par Marc-François Gonin (éd. Vida 1998) :

I

1 À Toi, mon Dieu, mon cœur monte,
2 En Toi mon espoir est mis ;
Dois-je tomber dans la honte
Au gré de mes ennemis,
3 Jamais on n'est confondu
Quand sur Toi l'on se repose ;
Mais le méchant est perdu,
Car c'est à Dieu qu'il s'oppose.

II

4 Montre-moi, Seigneur, la route
Qui seule conduit à Toi ;
Fais-moi dépasser le doute,
Et progresser dans la foi.
5 Car enfin j’ai reconnu
Ta vérité évidente ;
En Toi, Dieu de mon salut
Est chaque jour mon attente.

III

6 Seigneur si fidèle, pense
Que tu montras en tout temps
La miséricorde immense
À laquelle je m’attends.
7 Mets loin de ton souvenir
Les péchés de ma jeunesse,
Et daigne encor me bénir,
Seigneur, selon ta promesse.

IV

8 Dieu, très juste et véritable,
Est aussi plein de pitié ;
Il ramène le coupable
Sur le bon et droit sentier.
9 Il prend le pauvre homme en main,
Vers la justice il l'oriente.
Il enseigne son chemin
À l'âme pauvre et souffrante.

V

10 Fidélité, bienveillance
Sont les sentiers du Seigneur
Pour qui garde l'alliance
En fidèle adorateur.
11 Hélas, Seigneur Dieu parfait,
Pour l'amour de ton Nom même,
Pardonne-moi mon forfait
Car c'est une faute extrême.

VI

12 Est-il quelqu'un à vrai dire
Cherchant Dieu sincèrement ?
L'Éternel pour le conduire
Parle au cœur du vrai croyant.
13 Il peut reposer la nuit
La paix est son héritage
Et ses enfants après lui.
Auront la terre en partage,

VII

14 Dieu révèle ses pensées
À ceux qui l’aiment vraiment ;
Il les leur fait voir tracées
Au long se son testament.
15 Quant à moi tous mes regards
Se dirigent vers sa face,
Il me sauve sans retard
Du filet où l’on m’enlace.

VIII

16 Jette enfin sur moi la vue,
Je suis seul et humilié ;
Que ta pitié soit émue,
Les hommes sont sans pitié.
17 Hélas, je sens empirer
De jour en jour ma détresse.
Seigneur, viens me délivrer
De ce fardeau qui m'oppresse.

IX

18 Fais sur moi briller ta face,
Vois ma peine et mon souci.
J'ai péché! Seigneur, efface
Tout le mal que j'ai commis.
19 Vois les ennemis qui sont
Contre nous en si grand nombre ;
Tu sais la haine qu'ils ont,
Combien l'avenir est sombre !

X

20 Préserve de toute embûche
Ma vie, et délivre-moi
De peur que je ne trébuche.
Alors que j'espère en Toi.
21 Que la simple intégrité
Qui convient aux tiens me serve.
22 Sauve Israël ; ta bonté
Seule, ô Seigneur, le conserve.