dimanche 5 novembre 2017

"Quiconque s’élèvera sera abaissé"




Malachie 2, 1-10 ; Psaume 27 ; 1 Thessaloniciens 2, 6-13 ; Matthieu 23, 1-12

Matthieu 23, 1-12
1 Alors Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples:
2 "Les scribes et les Pharisiens siègent dans la chaire de Moïse :
3 faites donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes, car ils disent et ne font pas.
4 Ils lient de pesants fardeaux et les mettent sur les épaules des hommes, alors qu’eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt.
5 Toutes leurs actions, ils les font pour se faire remarquer des hommes. Ils élargissent leurs phylactères et allongent leurs franges.
6 Ils aiment à occuper les premières places dans les dîners et les premiers sièges dans les lieux de culte,
7 à être salués sur les places publiques et à s’entendre appeler Maître par les hommes.
8 Pour vous, ne vous faites pas appeler Maître, car vous n’avez qu’un seul Maître et vous êtes tous frères.
9 N’appelez personne sur la terre votre Père, car vous n’en avez qu’un seul, le Père céleste.
10 Ne vous faites pas non plus appeler Docteurs, car vous n’avez qu’un seul Docteur, le Christ.
11 Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.
12 Quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé.

*

Il ressort de notre texte que ce qui importe pour Jésus c’est la vérité des paroles annoncées, qu'il reconnaît aux pharisiens : « faites et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire »… La vérité des paroles annoncées, et puis surtout la mise en pratique de ces paroles… Faites ce qu’ils disent, qui est très bon, faites ce qu’ils disent de toute façon, à défaut de faire ce qu’ils font, dit Jésus de ces bons prédicateurs. Quant aux actes — « … ne vous réglez pas sur leurs actes, car ils disent et ne font pas ». Mais, de quoi s'agit-il, que ne font-ils pas ?

Pour percevoir ce dont il s’agit, il faut tout d’abord savoir qui sont et que font pharisiens et scribes : des gens remarquables que ces scribes à qui nous devons notre Bible, dont ils ont transmis les textes avec une fidélité minutieuse. Paul n'aurait pas été aussi grand s'il n'avait été pharisien. Des gens qui allaient jusqu'à donner la dîme de tous leurs biens ! Quel trésorier d’Église ou d'entraide n’aimerait pas avoir un peu plus de pharisiens parmi les cotisants et donateurs ?!

Oui, avant de commencer à dresser le début d'un réquisitoire, il est utile de penser à cette richesse spirituelle qui est la leur. Vraiment, pharisiens et scribes étaient parés de toutes les vertus. On va voir que n'est pas leur absence de vertus qui fait problème à Jésus, ça en est la surabondance ! De quoi s’agit-il donc ? Puisque loin de ne pas en faire, des œuvres, ils en font au contraire, au point que leurs actes sont remarquables ! Et que du coup tout le monde les remarque ! Cela leur vaut cette estime commune qu’ils semblent goûter tant.

*

Où l’on doit tenter d’en venir en deçà de la surface, à ce que pourrait être l’héritage commun à mettre en œuvre : « ne vous laissez pas imposer de fardeaux », ces fardeaux qu’ils ne touchent pas, dit Jésus de certains de ceux qui l’interpellent ! Qu’est-ce à dire ? De quoi est-il question, puisqu’il ne faut pas entendre par là des bonnes œuvres ? — dont ils ne manquent pas : ces fardeaux-là, les bonnes œuvres, ils les touchent, et plus que du doigt, ils en portent vraiment le poids. Il faut donc chercher ailleurs…

Par exemple, si on lit le texte, être salué sur les places publiques, admiré, etc., quel fardeau pour y parvenir — fardeau dont eux n’ont pas besoin de s’encombrer : ils sont déjà installés dans les meilleurs sièges des repas et des temples !

Mais sont-ils à la mesure de la vérité qui leur vaut — qui nous vaut éventuellement — tant d’éloges ?… Vérité que se gardent bien de pratiquer les flatteurs qui en disent tant de bien… Où il vaut mieux, pour s’assurer la compagnie des flatteurs et des gens importants, ne toucher la vertu de vérité qu'avec prudence et modération… « Celui qui mange à la table du roi — ou du notable — ne peut pas dire la vérité au roi — au notable », dit un proverbe africain. Bref, ce genre de fardeaux-là, ils « se refusent à les remuer du doigt ». Où le goût de la popularité fait bien limite à la vertu.

Vous, dit Jésus à ses disciples, ne vous en laissez pas imposer. Faites simplement ce qu’ils disent, ce qu'ils prêchent, qui est très juste. C’est aussi, pour qui sait entendre, une bonne nouvelle qui sort de leur bouche, à recevoir par la seule confiance, la foi seule. Entendez-y donc les promesses de la grâce — gratuite mais pas à bon marché — car cela vous ôtera éventuellement quelques privilèges.

Ils élargissent les phylactères, comme certificat de vertu, de piété, d'humilité, pour être mieux appréciés ? Pas pour vous, dit Jésus… Du coup on est devenu plus subtil ! Pas de phylactères, pas de franges de prière, pas de tenue spéciale… On a retenu la leçon de Jésus — ou on croit l'avoir retenue —, et on laissé les phylactères visibles et autres tenues attitrées… pour d’autres certificats d’humilité, plus discrets ! Cela dit, on a gardé le goût des premières places chez les officiels et aux unes des magazines.

Pour ceux qui veulent être disciples de Jésus de la façon que prône Jésus, les choses sont appelées à se passer autrement…

Malaisé à entendre par les chercheurs de prestige médiatique. À ceux qui veulent de belles paroles de sagesse, ou des paroles puissantes et renversantes, rappelons-nous, Paul aux Corinthiens (ch. 1 et 2) : il oppose la faiblesse et l’insipide de la croix.

Jésus, avant lui, n’est dupe ni des critiques, ni des compliments, qui sont finalement la même chose, autant de pièges. De sa parole, il n’attend pas en écho des compliments et des échos dans les journaux. « Il a bien parlé », dira-t-on pour se croire dispensé de mettre en pratique sa parole ou de comprendre ce qu’il veut dire concrètement… Lui attend la mise en pratique qui libère en vérité.

Et puisque, apparemment, il ne cherche pas les compliments, on essaie donc de le déstabiliser en ruinant son audimat par des pièges… ce qui revient au même.

Car s’il n’a peut-être pas les phylactères aussi larges, on lui donne volontiers les titres flatteurs, et il n’a même pas la fausse de humilité de les refuser, remarquez — « un seul est votre docteur, le Christ », souligne-t-il. Ses disciples sont mis en garde, on tentera la même chose pour eux, les flatter, et cela leur plaira, nous plaira, forcément, bien que pour eux ce ne soit peut-être pas aussi mérité, ni exempt de la tentation de s’y complaire. Et ça ne vaut pas que pour les prédicateurs et autres scribes, théologiens et savants.

La vraie valeur est autre. « Quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé ». Celui qui à nos yeux ne compte pas, c’est lui que Dieu exalte ; et c’est bien lui que le Christ a rejoint (Philippiens 2).

Alors pourquoi pas les rites, par lesquels même la parole de Dieu se fait signe, pourquoi pas les phylactères (Jésus n’a rien dit contre), pourquoi pas les différentes façons de célébrer la sainte Cène ou autres actes pastoraux, à la luthérienne, à la réformée ou autre, pourquoi pas les différentes organisations de l’Église. À l’instar des phylactères, cela a son sens, mais comme tout signe, cela est second, n’a pas fonction d’exalter celui qui en bénéficie, mais de le renvoyer, de nous renvoyer à la vérité de parole de Dieu et à son fruit.

La gloire, ici, est cachée. De sorte que la liberté du salut nous place devant Dieu seul. Vivre devant Dieu par la foi seule, c’est cela mettre en pratique la parole de la vérité, la loi de la liberté annoncée depuis la chaire de Moïse.


RP, Poitiers, 05.11.17


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