dimanche 26 février 2017

"Qui de vous peut, par ses inquiétudes..."




Ésaïe 49.14-15 ; Psaume 62 ; 1 Corinthiens 4.1-5 ; Matthieu 6.24-34

Ésaïe 49.14-15
14 Sion disait : « Le SEIGNEUR m’a abandonnée,
mon Seigneur m’a oubliée ! »
15 La femme oublie-t-elle son nourrisson,
oublie-t-elle de montrer sa tendresse à l’enfant de sa chair ?
Même si celles-là oubliaient,
moi, je ne t’oublierai pas !

Matthieu 6, 19-21 & 24-34
19 Ne vous amassez pas de trésors sur la terre, où les vers et la rouille détruisent et où les voleurs fracturent pour voler.
20 Amassez-vous plutôt des trésors dans le ciel, là où ni vers ni rouille ne détruisent et où les voleurs ne fracturent ni ne volent.
21 Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.
[…]
24 Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un, et aimera l’autre ; ou il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon.
25 C'est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez ou de ce que vous boirez, ni, pour votre corps, de ce dont vous serez vêtus. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ?
26 Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment pas, ils ne moissonnent pas, ils ne recueillent rien dans des granges, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux ?
27 Qui de vous peut, par ses inquiétudes, rallonger tant soit peu la durée de sa vie ?
28 Et pourquoi vous inquiéter au sujet du vêtement ? Observez comment poussent les lis des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas ;
29 et pourtant je vous dis que pas même Salomon, dans toute sa gloire, n'a été vêtu comme l'un d'eux.
30 Si Dieu habille ainsi l'herbe des champs qui est là aujourd'hui et demain sera jetée au four, ne le fera-t-il pas à bien plus forte raison pour vous, gens de peu de foi ?
31 Ne vous inquiétez donc pas, en disant : « Qu'allons-nous manger ? » Ou bien : « Qu'allons-nous boire ? » Ou bien : « De quoi allons-nous nous vêtir ? »
32 — tout cela, c'est ce que les gens de toutes les nations recherchent sans relâche — car votre Père céleste sait que vous en avez besoin.
33 Cherchez d'abord le règne de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît.
34 Ne vous inquiétez donc pas du lendemain, car le lendemain s'inquiétera de lui-même. À chaque jour suffit sa peine.

*

« Qui de vous peut, par ses inquiétudes, rallonger tant soit peu la durée de sa vie ? »
(v. 27)

Jésus ne dit pas qu'il n'y aurait pas de problèmes qui prêtent à s'inquiéter, mais il interroge sur l'effet de l'inquiétude, qui ne rapporte rien de plus à la situation, aussi inquiétante soit cette situation… La leçon est proche de l'Ecclésiaste, qui écrivait — Ecc 9, 10-12 :

10 Tout ce que ta main trouve à faire, avec ta force, fais-le ;
car il n'y a ni activité, ni raison, ni connaissance, ni sagesse
dans le séjour des morts, où tu vas.
Le malheur arrive tout à coup
11 J'ai encore vu sous le soleil
que la course n'appartient pas aux rapides,
ni la guerre aux vaillants,
ni le pain aux sages,
ni la richesse aux intelligents,
ni la faveur à ceux qui savent,
car tous sont à la merci des temps et des circonstances.
12 L'être humain ne connaît pas plus son temps
que les poissons qui sont pris au filet, pour leur malheur,
ou que les oiseaux qui sont pris au piège ;
comme eux, les humains sont attrapés à l'heure néfaste qui s'abat sur eux à l'improviste.


Aussi, « Ne vous inquiétez donc pas du lendemain, car le lendemain s'inquiétera de lui-même. À chaque jour suffit sa peine. »

Il est manifeste, à la lecture parallèle de ces textes, que la sagesse, la philosophie de vie de Jésus est inscrite dans la lignée de l’Ecclésiaste.

Voilà qui nous permet d’approcher ce que Jésus entend par « ciel » — « Amassez-vous des trésors dans le ciel… Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. » Mammon c'est le trésor terrestre, dont la loi est « agitez-vous, soyez inquiets, quitte à piétiner le prochain : tout dépend de l’accumulation » !

La clef de lecture de la philosophie de vie des évangiles est à chercher dans la lignée biblique telle que reprise par l’Ecclésiaste, plutôt que dans des envolées vers des irréalismes invitant à ne pas vivre ici-bas, en ce temps-ci… C'est l'inquiétude qui est en question, en tant qu'elle ne donne rien de plus que de l'inquiétude précisément. C'est l'inquiétude le problème, pas l'agir. Une invitation au sens du repos, du précepte du repos en sa dimension intérieure.

*

« Il était intelligent mais il avait tendance à prendre les choses au sérieux, y compris les congrès et l'univers, qui n'est peut-être lui-même qu'une plaisanterie cosmique », écrit Jorge Luis Borges, dans sa nouvelle "Le stratagème" (recueil Le livre de sable). Voilà bien le problème…

C'est quelque chose de cet ordre qui est dans la sagesse du Sermon sur la Montagne, selon que « Dieu est au ciel et toi sur la terre » comme le dit encore l’Ecclésiaste (ch. 5, v. 1).

« Toi, tu es sur la terre ». Et c'est ici plutôt qu’en de vagues arrière-mondes, que s'ancre pour toi le ciel où il s’agit de s’amasser des trésors impérissables, pour faire sous le ciel ce que ta main trouve à faire dans le temps bref qui t’est imparti…

Un ciel inaccessible par les inquiétudes, signe d’un Dieu qui nous envoie sur la terre : « les choses cachées sont au Seigneur notre Dieu, les choses révélées sont pour nous et nos enfants, pour toujours, afin que nous mettions en pratique toutes les paroles de cette loi. » (Deut 29, 28)

Où l’on retrouve la conclusion de l’Ecclésiaste : « Crains Dieu et observe ses commandements. C'est là tout l'humain. » (ch. 12, v. 13) Et ici tout particulièrement le commandement du repos, reçu en sa dimension intérieure.

La loi comme indication de ce qu’est le bonheur, en ce temps-ci : dans une certaine qualité de relation à Dieu, dans l'ignorance heureuse et confiante de ce qu'il fait — et ipso facto au prochain, sachant que le temps est bref pour l’animal social qu’est l’être humain.

Ésaïe 49.14-15
14 Sion disait : « Le SEIGNEUR m’a abandonnée,
mon Seigneur m’a oubliée ! »
15 La femme oublie-t-elle son nourrisson,
oublie-t-elle de montrer sa tendresse à l’enfant de sa chair ?
Même si celles-là oubliaient,
moi, je ne t’oublierai pas !


Quand c’est là le cœur de la philosophie enseignée par Jésus dans ces lignes du Sermon sur la Montagne, voilà qui le situe bien près de la sagesse du Qohéleth, l’Ecclésiaste, mais qu'il ancre dans la confiance…

Philosophie de Jésus que l’on spécifie souvent à juste titre par ces mots, tirés du même Sermon sur la Montagne que ceux cités plutôt haut : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. Alors vous serez enfants de votre Père qui est dans les cieux, car il fait lever son soleil sur les mauvais et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? » (Matthieu 5, 44-46)…

Ladite récompense devient alors une qualité de vie en lien avec la compréhension que cela nous est donné en ce temps-ci ; dans une parole à mettre en œuvre, une parole dont l'écoute porte son fruit — « tout ce dont le besoin peut vous peser, c'est ce que les gens de toutes les nations recherchent sans relâche ». Cela vaut jusques et y compris dans l'écoute de l'enseignement de Jésus, à recevoir en la chambre intérieure de nos êtres…

*

« Levant les yeux sur ses disciples, Jésus dit :
"Heureux, vous les pauvres : le Royaume de Dieu est à vous.
Heureux, vous qui avez faim…
Heureux, vous qui pleurez…
Heureux êtes-vous lorsque les hommes vous haïssent, lorsqu'ils vous rejettent et qu'ils insultent…" »

Alors Simon Pierre dit : "Est-ce qu'on doit apprendre tout ça ?"
Et André dit : "Est-ce qu'il fallait l'écrire ?"
Et Philippe dit : "J'ai pas de feuille".
Et Jean dit : "Les autres disciples n'ont pas eu à l'apprendre, eux !"
Et Barthélemy dit : "Est-ce qu'on l'aura en devoir ?"
Et Jacques dit : "Est-ce qu'on sera interrogé sur tout ?"
Et Marc dit : "Ça sera noté ?"
Et Mathieu quitta la montagne sans attendre et dit : "Je peux aller aux toilettes ?"
Et Simon le zélote dit : "Quand est-ce qu'on mange ?"
Et Jude dit enfin : "Y’a quoi après pauvres...?"

Alors un grand prêtre du temple s'approcha de Jésus et dit :
"Quelle était votre problématique ?
Quels étaient vos objectifs et les savoir-faire mis en œuvre ?
Pourquoi ne pas avoir mis les disciples en activité de groupe ?
Pourquoi cette pédagogie frontale ?"

Alors Jésus s'assit… et pleura !!!

*

Que dit cette petite histoire, qui résume fort bien la problématique du Sermon sur la Montagne, sinon souligner la parole finale de l'Ecclésiaste ? — « Crains Dieu et observe ses commandements. C'est là tout l'humain » (Ecc 12, v. 13). « Ne vous inquiétez donc pas », tel est le cœur du commandement du repos. Ne vous inquiétez pas : votre Père céleste sait vos besoins. Vous, cherchez d'abord le règne de Dieu et sa justice, et tout ce qui doit vous échoir vous sera donné par surcroît, pas comme fruit de vos inquiétudes !


RP, Châtellerault, 26/02/17


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire