dimanche 17 avril 2016

"Personne ne pourra les arracher de ma main"




Actes 13.14-52 ; Psaume 100 ; Apocalypse 7.9-17 ; Jean 10.27-30

Jean 10, 27-30
27 Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles me suivent.
28 Et moi, je leur donne la vie d'éternité ; elles ne périront pas pour l'éternité et personne ne pourra les arracher de ma main.
29 Mon Père est celui qui m'a donné plus grand que tout : nul n'a le pouvoir d'arracher quelque chose de la main de mon Père.
30 Moi et le Père nous sommes un.

*

Pourquoi une garantie soulignée deux fois — Jésus et le Père tiennent les brebis de sorte que rien ne peut les ravir, les arracher de leur main — ? Pourquoi en de tels termes : « ne pas pouvoir arracher » ? Une telle menace pèse-t-elle sur nous ? « Mes brebis ne périront pas pour toujours ». Y a-t-il un tel risque ? Autant de questions qu'il faut se poser si l'on veut comprendre un tel texte.

Aujourd'hui de telles menaces ont disparu : l'homme est devenu si bon, n'est-ce pas, notamment depuis le XXe siècle, qu'il est certain depuis que « nous irons tous au paradis » ; ou en d’autres termes que rien ne menace notre paix intérieure. Du coup la grâce n'a aucun sens, puisqu'elle n'est plus une grâce mais, sinon un dû, au moins un acquis. Et ce texte devient incompréhensible : sans menace, pas besoin de protecteur.

Eh bien à l'époque de notre texte, c'est moins simple : il y a risque, il y a menace pour le salut, la paix intérieure. Rien n'est sûr en ce domaine.

De nombreux textes du Nouveau Testament le redisent — je cite par exemple 2 Thessaloniciens, ch. 1, 4-9 : (4) […] dans toutes les persécutions et épreuves que vous supportez, (5) il y a un indice du juste jugement de Dieu, pour que vous soyez jugés dignes du royaume de Dieu, pour lequel vous souffrez. (6) Car il est de la justice de Dieu de rendre l’affliction à ceux qui vous affligent, (7) […] lorsque le Seigneur Jésus apparaîtra du ciel avec les anges de sa puissance, (8) au milieu d’une flamme de feu, pour punir ceux qui ne connaissent pas Dieu et ceux qui n’obéissent pas à l’Évangile de notre Seigneur Jésus. (9) Ils auront pour châtiment une ruine éternelle, loin de la face du Seigneur et de la gloire de sa force.

Bref, « il viendra pour juger les vivants et les morts », et rien n'est acquis d'avance. Mais, allons plus loin. « Punir ceux qui ne connaissent pas Dieu et ceux qui n’obéissent pas à l’Évangile de notre Seigneur Jésus » (2 Th 1, 8), on l'a lu, concerne bien sûr les persécuteurs. Leur âme est tourmentée… Derrière eux, le diable, lion dévoreur, selon Pierre,… qui risque d’arracher les brebis de la main du Père. Avec pour acteurs, les persécuteurs, donc… Quoique… À bien regarder le grec, il faut lire, littéralement : « ceux qui ne connaissent pas / ou ne voient pas Dieu » — or, quand on sait que « nul n'a jamais vu Dieu », voilà qui peut interroger — si ça concerne certes les persécuteurs, incapables de voir l'image de Dieu dans ceux qu'ils pourchassent, est-ce que ça ne concerne qu'eux ? Est-ce que j'ai vu Dieu ? — d'autant plus que juste après, « ceux qui n’obéissent pas à l’Évangile », est littéralement « ceux qui n’écoutent pas l’Évangile » (un mot quasiment le même que celui de notre texte d’aujourd’hui : « mes brebis écoutent ma voix » (v. 27)…).

Telle est la situation, situation de menace concrète de persécution que connaissent les premiers disciples, dite par l'Apôtre en des termes propres à les faire légitimement douter d’eux-mêmes — souvenez-vous au jeudi saint, Jésus annonçant que l'un d'eux va les trahir. Et tous : « est-ce moi ? » Bref si l'on se fie à notre propre courage ou à notre propre bonté, c'est, plutôt que le salut, le tourment pour tous qui est certain.

Allons encore un pas plus loin, puisque nous ne sommes pas, en Europe actuelle, en situation de persécution, puisque la haine du monde que Jésus annonce pour ses disciples semble n'être pas à l'ordre du jour pour l’Église sous nos climats, puisque donc nous n'avons pas à nous poser la question des douze au jeudi saint : « est-ce moi qui vais trahir ? »

Reprenons donc, pour comprendre la valeur, la force, toujours actuelle, de cette parole répétée par Jésus : « nul n'arrachera de ma main les brebis qui écoutent ma voix, qui entendent ma voix ». Pas de persécution dans nos pays, pas de menace de trahison pour nous sentir visés. Et pourtant, il s'agit de percevoir que nous sommes visés, et en quel sens, pour percevoir la force de la promesse de Jésus.

Ça vaut pour tous, pour moi, pour toi, et dès aujourd'hui. Pour tous ceux qui, présumant de leur force ou de leurs qualités morales, ne se posent pas la question des disciples : est-ce moi qui m'apprête à trahir ?

À l'inverse : « mes brebis écoutent ma voix et je les connais, et nul ne pourra les arracher de ma main et de la main du Père » (Jean 10, 27-30). Point, pour elles, de mort pour l'éternité (v. 28). Qu'est-ce que cette histoire de mort pour l'éternité ? C'est ici qu'il faut reparler de ce que le Nouveau Testament appelle première mort, mort spirituelle, à laquelle Jésus donne pour remède, dès aujourd’hui, la résurrection spirituelle, la première résurrection — à savoir que la résurrection a lieu dans nos vies aujourd’hui.

Qu'est-ce donc que cette mort spirituelle ? — que Jésus a le pouvoir de vaincre, comme il va en donner le signe au chapitre suivant en ressuscitant Lazare. Cette mort spirituelle, atroce angoisse, c'est le désespoir, le désespoir profond qui nous ronge, qui ronge nos sociétés « apaisées » et qui se traduit, hélas, par des litanies et des litanies de détresse, de remords pour ce qu'on a vécu ou pour ce qu'on n'a pas vécu, de culpabilité, bref on connaît les affres infernales. Et nous en sommes tous là, un séjour des morts, un enfer que l'on tente de noyer de tous temps dans la distraction, aujourd'hui dans le bruit permanent, par exemple, diffusé maintenant dans des centres commerciaux, des lieux publics habités de musiques de fond, et autres moyens d'étouffement provisoire d'un enfer qui revient quand on l'attend le moins.

C'est face à cela que Jésus nous donne la certitude du salut dans la confiance en lui, un avec le Père, qui nous connaît chacun. Il est une autre voix qui résonne silencieusement au cœur de nos êtres, la voix du bon berger — « Ce n'est pas un discours, il n'y a pas de paroles, aucun son ne se fait entendre », dit le Psaume 19. Et pourtant, Psaume 19 encore : « Le jour l'annonce au jour, la nuit l'explique à la nuit. » La voix de la paix contre toute détresse.

C'est la voix du bon berger qui promet la vie d'éternité dans l'aujourd'hui. Je leur donne la vie d'éternité, et elles ne mourront pas pour l'éternité. Cette mort qu'est le désespoir qui ronge en tout temps n'a pas le dernier mot : « personne ne pourra les arracher de ma main. Mon Père est celui qui m'a donné plus grand que tout : nul n'a le pouvoir d'arracher quelque chose de la main de mon Père. Moi et le Père nous sommes un. » Source silencieuse d'un immense bonheur, celui d'être connu et aimé comme on est, plus profondément que tout.


RP, Poitiers 17/04/16


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