dimanche 10 mai 2015

Du cep au fruit




Actes 10, 25-48 ; Psaume 98 ; 1 Jean 4, 1-11 ; Jean 15, 9-17

Jean 15, 9-17
9 Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés ; demeurez dans mon amour.
10 Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme, en observant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour.
11 "Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite.
12 Voici mon commandement: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.
13 Nul n'a d'amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu'il aime.
14 Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande.
15 Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur reste dans l'ignorance de ce que fait son maître ; je vous appelle amis, parce que tout ce que j'ai entendu auprès de mon Père, je vous l'ai fait connaître.
16 Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure: si bien que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l'accordera.
17 Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres.

*

Ces versets sont l’explication de la parabole qui précède — Jésus, dans les évangiles, donne souvent à ses disciples l’explication de ses paraboles. Ici, il s’agit du cep et des sarments, aux versets précédents : qu’est-ce que donne le cep qu’est Jésus dans les sarments que nous sommes si nous croyons en lui ? C’est l’amour du Père — contre toutes les inimitiés, quoiqu'il en coûte. Qu’est ce que le fruit que produisent les sarments attachés au cep : ce sont les actes qui en découlent. C’est-à-dire des actes de gratuité. « Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples », dit Jésus dans le verset précédent. Et puis ici : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. »

Amour donné comme don de la vie de Jésus, et auquel il appelle ses disciples, ses amis, désormais, par cette connaissance qu’il leur a donnée. Connaissance qui leur a fait connaître la volonté de Dieu au point que toute demande qu’ils peuvent formuler s’inscrit forcément dans la volonté de Dieu ! C’est à nous aussi qu’il s’adresse, si nous entendons sa parole !

Choisis par Dieu, les disciples sont envoyés, nous sommes envoyés — avec son commandement : « ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres ». Tout un programme, dans un mouvement qui se commande et qui ainsi, fécondité, porte ce fruit qui fait pousser le monde vers le Royaume, immanquablement… « Que vous alliez porter du fruit »

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Mais comment peut-on dire que Dieu nous aime, que Dieu est amour ?! Parole incroyable, ou, si on la prend au sérieux, une telle parole pose ipso facto une mystérieuse souffrance en Dieu. Et effectivement ce qui fonde cette assertion, c’est qu’ « à ceci, nous avons connu l’amour : c’est qu’il a donné sa vie pour nous », selon ce qu’indique la 1ère épître de Jean. La croix ! Amour égale, d’une façon ou d’une autre, souffrance.

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« Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés », dit Jésus. L’amour de Jésus pour les siens est celui de Dieu à son égard. Il est comme la sève, don de Dieu, coule du cep dans les sarments et leur fait porter du fruit.

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Nous sommes, disciples de Jésus, choisis pour aller, aller vers le monde, aller hors de — comme Jésus est allé hors de, aller, ce qui est déjà porter du fruit. C'est tout le mouvement de l'envoi de Jésus par le Père qui se poursuit dans l'Église. Cela s'appelle, en terme classique, la mission. L'Église est faite pour cela. « Que vous alliez porter du fruit »… Quelle que soit l’opposition, l'adversité, l'inimitié, l’incompréhension de l'amour sans écho — qui a valu la croix à Jésus et qui vaut l'inimitié aux disciples. Car c'est là une source d’incompréhension, qui récapitule toutes les incompréhensions qui nous font souffrir. C'est face à cela qu’apparaît la fameuse phrase : « Dieu est amour », dans un seul texte biblique, la 1ère épître de Jean, répétée deux fois : 1 Jn 4, 8 et 16. Face à l'incompréhension — d'un monde vers lequel il faut aller et qui pour cela, pourra aller jusqu'à vous haïr, vous persécuter comme il m'a persécuté, annonce Jésus à ses disciples — :

1 Jean 4, 1-16
1 [...] car plusieurs faux prophètes sont venus dans le monde.
[...]
4 Vous, petits enfants, vous êtes de Dieu, et vous les avez vaincus, parce que celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde.
5 Eux, ils sont du monde ; c’est pourquoi ils parlent d’après le monde, et le monde les écoute.
[...]
7 Bien-aimés, aimons nous les uns les autres ; car l’amour est de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu.
8 Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour.
9 L’amour de Dieu a été manifesté envers nous en ce que Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui.
10 Et cet amour consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés.
11 Bien-aimés, si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres.
12 Personne n’a jamais vu Dieu ; si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour est parfait en nous.
13 Nous connaissons que nous demeurons en lui, et qu’il demeure en nous, en ce qu’il nous a donné de son Esprit.
14 Et nous, nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde.
15 Celui qui confessera que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu.
16 Et nous, nous avons connu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour ; et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.

Là s'explique la profondeur de l'annonce : « je vous appelle amis, parce que tout ce que j'ai entendu auprès de mon Père, je vous l'ai fait connaître. » Jésus s'est donné, a tout donné, et lorsqu'il va au bout de l'amour et du don… il est trahi, par tous, abandonné jusque par les siens, qui pourtant l'ont supplié — rappelez-vous : « tout ce que vous demanderez vous sera accordé. » Nous l’avons tous supplié de ne pas nous abandonner à notre détresse, et lorsqu’il est allé jusqu’au bout de la réponse d'amour, il a été trahi, abandonné par tous… pour, dans un redoublement d'amour, pardonner ! Ce qui nous sera demandé aussi.

Nous sommes alors conduits au cœur du mystère de la création et s'explique ipso facto ce qu'il faut entendre par ce commandement paradoxal, lié à ce qu'aimer semble pourtant ne pas se commander : « ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres. » Eh bien le don de Jésus fait entrer dans le mystère du don de Dieu produisant la création dans une souffrance mystérieuse, dévoilant son mystère comme celui de se donner. Et nous sommes invités à entrer dans ce mystère, pour une radicale conversion intérieure, retour intérieur, méditation de la beauté de l'acte créateur comme don — « quand tu pries entre dans la chambre de ton intimité » — pour y découvrir la sève de tout bon fruit. Aimer est la seule chose dont on ne puisse pas la faire en faisant semblant. On peut accomplir tous les commandements et rites sans que notre cœur soit impliqué. Pour aimer, ce n'est pas possible : cela implique forcément tout l'être. D'où ce commandement d'imiter Dieu — « comme je vous ai aimés, c'est-à-dire comme le Père m'a aimé » — qui revient à un appel à plonger au cœur du mystère de Dieu, qui est le cœur de notre être : alors la vérité de l'amour en découlera comme la sève coule du cep dans les sarments.


R.P. Poitiers, 10.05.15


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