dimanche 5 avril 2015

Pâques - "Ne vous effrayez pas"


 

Actes 10, 34-43 ; Paume 118, 1-18 ; 1 Corinthiens 5, 6-8 ; Marc 16, 1-8

Marc 16, 1-8
1 Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller l'embaumer.
2 Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil étant levé.
3 Elles se disaient entre elles : "Qui nous roulera la pierre de l'entrée du tombeau ?"
4 Et, levant les yeux, elles voient que la pierre est roulée ; or, elle était très grande.
5 Entrées dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme, vêtu d'une robe blanche, et elles furent saisies de frayeur.
6 Mais il leur dit : "Ne vous effrayez pas. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié : il est ressuscité, il n'est pas ici ; voyez l'endroit où on l'avait déposé.
7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre: Il vous précède en Galilée ; c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit.
8 Elles sortirent et s'enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées ; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.
*

"Elles sortirent et s'enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées ; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur."

*

Qu'est-ce que cette frayeur des femmes alors qu'elles s'éveillent à la résurrection du Christ ? Est-ce que nous ne nous attendrions pas à une autre réaction ? Aller crier sur les toits ce qui les fait exploser de joie, d'enthousiasme, que sais-je !?

Mais les voilà dans la peur, et dans le silence, dans un bouleversement tel qu'il les mure dans le silence. Qu'est-ce à dire ? La réponse à cette question se situerait-elle quelque part en lien avec les idées reçues sur la féminité des trois embaumeuses ? On sait que certains ne se sont pas gênés de l'imaginer - du genre : sensiblerie et imagination fragile de femmes que tout cela... Il se trouve pourtant que cette vision des choses est absente du Nouveau Testament. Et ce n'est pas que les hommes de l'époque manquaient de machisme.

C'est qu'il faut chercher ailleurs...

D'abord un peu de bon sens. La supposée sensiblerie aurait dû les faire fondre en larmes, pleurer de joie, mais pas se taire, effrayées... Et au regard de cela, le fait que des femmes réputées irrationnelles aient bénéficié de la première connaissance du ressuscité n'est, du coup, pas indifférent. Parce que, soyons logiques, à y regarder de près, c'est une réaction plutôt rationaliste à laquelle on a affaire, on va le voir. Et si les femmes ont une réputation de sensiblerie, elle aurait ici pour fonction de nous faire penser que si des femmes émotives ont ici un comportement si typiquement rationaliste, c'est que la résurrection bouleverse vraiment tous les cadres rationnels.

Mais de toute façon, les femmes d'alors sont appelées - pour des raisons sociales évidentes à l'époque, liées au partage des tâches dans l'organisation ancienne de la société, quand les hommes sont en mer ou aux champs -, les femmes sont alors appelées aux charges concernant l’éducation des enfants, et à l'autre bout de la chaîne de la vie, à embaumer les morts, comme ici. Autant de tâches qui les contraignent à avoir les pieds sur terre.

Et c'est justement le fait d'avoir les pieds sur terre, en tout cas pour ces trois-là, qui explique leur réaction.

La résurrection ne bouleverse pas seulement leur esprit, mais tous les cadres de la rationalité. On veut des choses habituelles, compréhensibles, généralisables : un corps humain, ça croît, ça commence par remplir ses couches, et ça finit, plus tard, par mourir. C'est la loi simple de la nature, c'est toujours comme ça, ce sera toujours comme ça, et quand il semble que cela se passe autrement, il doit y avoir une explication quelque part qui fait rentrer les choses dans l'ordre. Dans l'ordre rationnel, dans l'ordre de ce qui peut se reproduire à volonté, éventuellement en laboratoire. On sait comment les choses se produisent avec régularité, se reproduisent dans des éprouvettes, et prennent un terme dans la décomposition.

Ça, c'est le « en général », c'est comme ça. Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. Chose justement : dans le monde généralisable, il n'y a finalement que des choses, gérables, catégorisables, jusqu'au prochain lui-même qui devient catégorisable.

Catégorisable en prochain et en lointain, en chrétien et musulman, noir et blanc, hommes et femmes, de mon monde et pas de mon monde. On est dans les catégories simples, où un Marseillais a l'accent, fait rire et boit du pastis, un Alsacien est rigide et mange de la choucroute, où les femmes sont irrationnelles et tremblantes. Un monde bien carré, bien rangé, où celui qui dérange est insupportable, finit par effrayer... Et mieux vaut l'expulser. Et éliminer le problème.

On naît, on grandit, on vieillit, on meurt, et le corps se décompose, se disent les femmes. C'est ignoble, mais c'est comme ça. C'est ignoble, certes, et c'est pourquoi on va embaumer le mort. Empêcher cela autant que possible, par des moyens connus, explicables par la chimie, les effets les plus durs de la décomposition.

C'est dans cet état d'esprit, on ne peut plus tendre à l'égard du défunt d'ailleurs - l'embaumer, soigner son corps décédé -, on ne peut plus rationnel aussi, que les femmes sont parties ce dimanche matin. Tout est réglé, même l'observance religieuse : on a attendu, comme il se doit que la fête de la Pâque soit passée pour accomplir cette tâche, incompatible avec une telle célébration, qu'est la embaumement d'un mort.

Tout va bien, tout est dans l'ordre. Il n'est pas jusqu'à cet ignoble mal au ventre, cette douleur du deuil qui tenaille qui ne soit dans l'ordre des choses. On s'en débarrasserait bien de ce mal au ventre, de cette nausée qui tire les larmes et empêche de manger, de ce voile noir qui leur est tombé sur les yeux, et sous lequel on accomplit les devoirs dus au mort de façon machinale.

Tout ici est dans le rationnel, le généralisable. On sait.

*

Et voila que s'est produit le plus inattendu, l'indicible : le mort n'est plus là.

Oh ! on pourrait être tenté de se dire que tout va bien, qu'on a déplacé, volé le cadavre, mais là c'est décidément autre chose. On comprend bien que c'est plus compliqué, plus terrible. On pressent l'indicible. Et on a peur, on va se taire, tremblantes.

Voila qui fait de ce qu'ont vu les femmes autre chose qu'une histoire de sensiblerie, si on lit bien ce qui est écrit, l'inverse en fait qu'une histoire de sensiblerie, qu'un "conte de bonnes femmes". C'est bien la raison qui est ici bouleversée par la réalité non rationalisable, non généralisable. Une résurrection, effectivement ne se reproduit pas en laboratoire, ne se reproduit pas à volonté, et ça casse donc notre quotidien compréhensible, nos repères, notre catégorisation dans le général.

Alors ici naît un autre monde, le monde de la réalité inclassable, le monde de l'existence de chacune et chacun comme être irréductible. Irréductible aux classements et catégories. Aujourd'hui, il va falloir tout reconsidérer, de fond en comble. Et ça effraie, ça laisse silencieux.

Non classable, l'événement est unique, le Ressuscité est l'Unique, et ceux qui au prix de ce vertige qui effraie tant les premiers témoins, sont promis à la résurrection sont autant d'uniques.

Alors "Ne vous effrayez pas". N'ayez pas peur !

La résurrection du Christ marque la naissance de l'unique irréductible. Et par la promesse qui y est incluse, de chacune et chacun comme unique devant Dieu. La promesse est qu'ici cet aboutissement le plus irréfutable des choses généralisables, la mort, par quoi tout finit dans la poussière - cet aboutissement irréfutable est aujourd'hui brisé. Dès lors plus personne n'est classable en généralités puisque tous peuvent recevoir la promesse sortie du tombeau vide. Chacun devient dès à présent une exception, enfant de l'exception inouïe, celle du dimanche de Pâques.


RP, Poitiers, Pâques, 5.04.15


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