dimanche 11 janvier 2015

Solidaire




Esaïe 55, 1-11 ; Esaïe 12 ; 1 Jean 5, 1-9 ; Marc 1, 7-11

Marc 1, 7-11
7 Il proclamait : « Celui qui est plus fort que moi vient après moi, et je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la lanière de ses sandales.
8 Moi, je vous ai baptisés d’eau, mais lui vous baptisera d’Esprit Saint. »
9 Or, en ces jours-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée et se fit baptiser par Jean dans le Jourdain.
10 A l’instant où il remontait de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit, comme une colombe, descendre sur lui.
11 Et des cieux vint une voix : « Tu es mon Fils bien-aimé, il m’a plu de te choisir. »

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Avez-vous noté que ce qui se passe actuellement au cœur de cette parole de solidarité, « je suis Charlie », qui résonne dans tout notre pays et au-delà, fait remarquablement écho à Jésus disant sans mot, au moment de son baptême, « je suis chacun de vous » ?...

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Le baptême de Jean renvoie aux bains rituels du judaïsme, il renvoie au miqvé, ce bain dans de l’eau vive, bassin non fermé ou rivière. Ici le Jourdain. Le Jourdain, et en arrière-plan la Mer Rouge, renvoient aux grandes traversées historiques des exodes et des retours d’exil — on revenait d’exil en traversant forcément le Jourdain — ; ces exils fruits de catastrophes qui ont marqué les mémoires en Israël. Baptême de « retour », et en vérité de retour à Dieu, « repentance » donc, que le baptême de Jean.

Où on a aussi une allusion au déluge ! — et par-delà le déluge aux eaux primordiales de la Genèse, comme un lieu du chaos du fond de nos âmes, dont les exils réactivent la mémoire enfouie, forgeant l’attente d’une naissance nouvelle dans un nouvel Exode.

Mais dans tous les cas : l’exil, le déluge ou les eaux primordiales, on a le vis-à-vis de l’Esprit, comme la touche d’espérance, qui « planait au-dessus des eaux » au début de la Genèse, reconnu dans la présence de la colombe au déluge. On se souvient du retour de la colombe qui annonce la fin de la catastrophe. Et puis, Jésus remonte de l’eau. Et « il vit les cieux se déchirer et l’Esprit, comme une colombe, descendre sur lui.  » (v. 10)

Où le baptême de Jésus renvoie à quelque chose de profondément inscrit dans nos angoisses. Référence à cette dimension enfouie d’un sens du chaos signifié par le déluge inscrit dans la valeur symbolique du baptême, et donc du baptême de Jésus par Jean. Jésus est descendu, il est descendu avec nous au cœur de nos peurs les plus enfouies, au cœur du chaos, au cœur du déluge — c’est aussi ce que nous dit son baptême —, mais il y est descendu pour nous en faire remonter, pour donner un sens à tout ce qui ne semble que chaos, un sens porté par l’Esprit de Dieu, le souffle de Dieu.

Une descente aux enfers, annoncée à son baptême, qui est le trajet qui sera celui de son ministère, et qui débouche de la sorte — 1 Pierre 3, 18-21 — :

18 Le Christ lui-même a souffert pour les péchés, une fois pour toutes, lui juste pour les injustes, afin de vous présenter à Dieu, lui mis à mort en sa chair, mais rendu à la vie par l’Esprit.
19 C’est alors qu’il est allé prêcher même aux esprits en prison,
20 aux rebelles d’autrefois, quand se prolongeait la patience de Dieu aux jours où Noé construisait l’arche, dans laquelle peu de gens, huit personnes, furent sauvés par l’eau.
21 C’était l’image du baptême qui vous sauve maintenant.

Le rapport entre baptême et déluge, autour de la plongée du Christ dans notre chaos, se précise bien. C’est sans doute tout le sens de la descente aux enfers de ce passage de 1 Pierre, qu’un Calvin considère comme concernant essentiellement l’agonie à Gethsémané.

Ainsi, la mort du Christ est bien un élément de sa plongée dans notre chaos, notre enfer d’ici-bas, annoncée à son baptême.

Le Christ plongeant au plus bas de l’humanité, tel est le signe de la solidarité avec chacun de nous jusqu'au cœur de son chaos, marqué par la présence de cet autre signe, la colombe, rappel de la fin du déluge, et signe de l’Esprit de Dieu qui va donner forme au chaos. Le baptême dit aussi cela, et nous conduit donc a une parole terrible sur nous-mêmes, nous-mêmes, humanité.

Pourquoi se soumettre à ce signe de repentir qu'est le baptême de Jean pour un homme qui n'a pas à se repentir, Jésus ?! Dans ce baptême de repentir Jésus nous rejoint jusqu'en ce que nous, voire nos prières, avons de plus trouble, il se repent de nos péchés. Il se solidarise avec nous à ce point !

Voilà qui nous conduit dès lors très loin dans le tragique de notre condition... — pour nous en faire enfin sortir : c’est la bonne nouvelle que porte pour nous Jésus à son baptême.

Mais en vis-à-vis de cela, en deçà de cela, nous sommes renvoyés à la parole la plus terrible prononcée par la Bible à propos de l’humanité : Genèse 6, 6 : « le Seigneur se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. » Parole qui précède et origine le déluge.

Dieu « se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre » ! Dieu ne s’est pas repenti d’avoir fait les cafards, les crocodiles, les requins et autres animaux, mais l’homme ! — Un repentir tel qu'il débouche sur l’engloutissement du déluge !

Où l’on trouve peut-être les protestations de Job ! — auquel Dieu répond, justement, qu’il a aussi créé les monstres et autres crocodiles.

Quant à l’homme, il aurait peut-être fallu y penser avant, avant de le créer, plutôt que de se repentir après, semble dire Job, et avec lui Jérémie, et pas mal d’autres dans l’histoire : il aurait mieux valu que je ne naisse pas ! — disent-ils ! Parole insensée, parole de révolté !

Parole de sagesse aussi, selon l’Ecclésiaste : « L’avorton, celui qui n’a pas vu le jour, vaut mieux que celui qui ne se rassasie pas de bonheur » (Ecclésiaste 6, 3), mais qui à la place ne voit que le malheur qui se vit sous le soleil !

Eh bien c’est au cœur de ce chaos-là, au cœur de ce drame, que Jésus nous rejoint par son baptême, début d’un ministère qui à vue humaine laisse à se demander si la vie de cet homme, Jésus, valait bien d’être vécue ! — pour se terminer comme elle s’est terminée...

Voilà qui prend tout un sens dans l'actualité de ces derniers jours et qui justifie les slogans que l'on a beaucoup entendu : « je suis Charlie », « je suis Ahmed », « je suis juif », slogans solidaires s'il en est, solidaires de toute victime, quoiqu'il en soit par ailleurs de nos croyances, non-croyances, appartenances diverses, et sans que quiconque ne soit fondé à se sentir en supériorité par rapport à quiconque, fût-ce par rapport aux bourreaux !... À l'instar de Jésus se repentant, en solidarité humaine, y compris avec ceux qui le haïssent, de fautes qu'il n'a pas commises.

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Puis Jésus remonta de l’eau, dit alors l’évangile... les cieux se déchirant et l’Esprit, comme une colombe, descendant sur lui. Tandis que des cieux vint une voix : « Tu es mon Fils bien-aimé, il m’a plu de te choisir. » Or cette proclamation céleste se produit au moment où Jésus vient de marquer sa solidarité avec toute l'humanité. Il est, à ce moment, chacun de nous.


RP, Poitiers, 11/01/15


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