dimanche 9 février 2014

Sel de la terre et lumière du monde




Ésaïe 58.5-10 ; Psaume 112 ; 1 Corinthiens 2.1-5 ; Matthieu 5.13-16

Matthieu 5, 13-16
13 « Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel ? Il ne vaut plus rien; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes.
14 « Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée.
15 Quand on allume une lampe, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
16 De même, que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux. »


*

« Que votre lumière brille devant les hommes afin qu’ils voient vos œuvres bonnes ». Quel rapport entre cette parole de Jésus et celle qu’il donne quelques versets plus loin (ch. 6, v. 1 sq.) : « gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour en être vus, autrement vous n'aurez pas de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux » ?

D’un côté Jésus invite ses disciples au secret ! « Gardez-vous de pratiquer votre justice pour être vus » — d'un autre, il demande « Que votre lumière brille devant tous »… Y aurait-il contradiction ?

Dans les deux cas Jésus invite à prendre au sérieux le message de la Bible. Psaume 119, v. 11 : « Je serre ta promesse / ta parole dans mon cœur afin de ne pas pécher contre toi ». Et alors seulement ce qu’il attend de nous se produira, et se verra, sans qu’on le sache ou qu’on le veuille.

Autrement dit, il ne s’agit pas de faire voir une pratique religieuse particulière, qui au fond ne change rien à la situation du monde. Là s'explique la question du sel qui perd sa saveur, en fait : qui est « devenu fou », dans le texte grec — et la question de la lampe cachée.

La lampe et le sel sont deux illustrations que donne Jésus pour expliquer ce qu’il veut dire : une lampe est faite pour éclairer. Le sel pour empêcher la corruption (en un temps où on ne pratique pas la réfrigération) et pour relever le goût…

Une lampe est faite pour éclairer, la chose est claire. On ne la cache pas. Mais la lumière vient de l’intérieur de la lampe. Comme la lumière de la parole de Dieu rayonne depuis le cœur qui la reçoit : « Je serre ta parole dans mon cœur ».

Quant au sel, il ne sert pas s’il est « devenu fou », littéralement. Qu’est-ce à dire ? — « devenu fou » ? Je vois une seule façon pour le sel de « devenir fou » : se prendre pour une fin en soi. Cela peut se faire de deux façons : soit le sel s’imagine qu’il est le plat à lui tout seul, la chose la plus importante, et que du coup il faut en mettre beaucoup (ce qui, en fait, gâte le plat), soit s’imaginant toujours qu’il est une fin en soi, il juge qu’il n’a qu’à rester dans la salière pour servir par exemple, tout seul, à être goûté en entrée ou au dessert…

Dans les deux cas le sel est devenu fou parce qu’il se prend pour autre chose que ce pourquoi il est fait. Il n’a pas perdu son goût comme on l’imagine (le sel ne perd pas son goût !) — mais sa saveur, au sens de son intérêt... Il s’est pris la tête dans la salière.

En fait le sel est peu de chose (et à l’époque en Israël, il ne coûtait pas très cher — pensez : la mer morte est à côté), mais il a une fonction bien précise : assaisonner le reste de la nourriture : c’est tout et c’est essentiel, outre son usage essentiel contre la corruption.

C’est le rôle de Jérusalem, c’est le rôle des disciples, notre rôle si nous avons entendu cet appel. Et c’est de la sorte que nous serons lumière du monde. C’est ainsi que le rôle de Jérusalem, ville sur la montagne, ou bien de l’Église, est d'être comme un grain de sel dans les rouages du monde, qui tourne trop bien, mais de travers.

*

Au temps où Jésus parle, la menace de se voir foulés aux pieds par les hommes, par les nations, comme le sel « devenu fou », est proche. Le jour de la destruction du Temple approche... Le jour où l'on abandonne définitivement des pratiques devenues par trop manifestement inutiles, voire corrompues, à force d'être affadies, est proche.

Le jour où l'on se plie aux idoles communes. Un exemple pour aujourd'hui : le repos, précepte au cœur du décalogue, contre contre Mammon, l'idole / le démon du gain, de l'argent, de l'ambition, qui tue la paix du monde — en empêchant d'entendre la promesse : « le Seigneur pourvoira ».

Qui aujourd'hui n'admet pas, parfois fièrement !, que le repos doit céder le pas à la consommation et à ses moyens — avec ce symbole éloquent, s'insinuant sous forme de question : et pourquoi ne pas abolir le précepte du repos ; et sa forme symbolique le dimanche, qui pour n'être pas le shabbat, n'en symbolise par moins l'appel à la confiance en Dieu — mais... « Dieu a-t-il vraiment dit ? » — ; pourquoi ne pas l'abolir si ça doit rapporter, aux uns comme aux autres ?! On a nommé Mammon, selon le nom imagé de cette idole qui domine le monde.

Mammon est une des trois idoles pour la Bible en tout temps dominantes. Trois idoles : — Mammon, donc, l'Argent, la recherche du gain ; — Baal, comme figure du Sexe devenu marque de pouvoir sur le monde, jusque sur les éléments, sur la terre et la pluie, figure omniprésente de tout temps ; — et le taurillon d'or, symbole de la force : le Pouvoir.

Mammon possède la clé de ce trio qui abîme le monde. Lui que l'on ne peut servir si l'on veut servir Dieu. C'est en lui que se source la haine, la violence et les guerres qui déchirent le monde et font souffrir les enfants. C'est lui qui rend méchant, et qui transforme d'anciens enfants en racistes à la babine dégoûtant de haine. Mammon, maître de la peur qui les fait tordre sur leur bouche le rictus qui fait pleurer les enfants. C'est Mammon.

Rien de nouveau sous le soleil, donc. Mais vient le jour où Jérusalem, puis l’Église, acquiesce à ce qui bien sûr n'a jamais cessé d'en être le piège que lui tend le diable — tentation aux figures protéiformes, jusqu'à la figure où elle finit par sembler au fond bien innocente et naturelle, même aux yeux de ceux qui sont appelés à être les témoins du Christ !

C'est le jour où, au lieu d'être des témoins de la lumière du Christ, on devient une partie, négligeable et négligée, méprisée, d’un vécu de vanité : c'est le jour de l'exil loin de Dieu, le jour de l'amertume et de l'engloutissement de la vérité dans la nostalgie des jours où le soleil était lumière, des jours où le sel donnait du goût — relevait les plats (faut-il entendre aussi les encéphalogrammes plats, signe de proche décomposition ?).

Il est ici question de vivre la foi, il est question d’une nourriture de l'être intérieur par les exigences d'une Loi qui dérange visiblement — et point une pratique qui s’affiche : « gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour en être vus, autrement vous n'aurez pas de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux ».

Ce que Dieu attend de nous, c'est que nous écoutions sa Parole, ses commandements, ses promesses, pour que l’image du Christ, la lumière du monde et le sel de la terre, apparaisse en nous, cette lumière qui rayonne de la présence de Dieu.

Le disciple du Christ ne se caractérise pas par ses rites particuliers, ou autres apparences — Jésus avait les mêmes que les autres en Israël de son temps —, mais par son écoute de la Parole de Dieu ; et tout ce qui en découle, tout ce qui s’en suit, nous sera donné en plus.

C'est ainsi que nous serons sel de la terre, relevant le goût de la vie qui en germe, contre la corruption qui la dénature, et pour la résurrection à laquelle la Création est promise.

C'est ainsi que nous serons lumière du monde, celle du Christ lumière du monde — avez-vous noté que cette même appellation est donnée ici aux disciples, là au Christ ? Le Christ se formant en nous devient en nous la source de la lumière de Dieu, par l'écoute de sa parole, source de toute lumière, appelée à rayonner en nous pour le monde.


RP, Poitiers, 09/02/14


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