dimanche 22 septembre 2013

Un gérant habile




Amos 8, 4-7 ; Psaume 113 ; 1 Timothée 2, 1-8 ; Luc 16: 1-13

Luc 16, 1-13
1 Jésus dit à ses disciples :
"Un homme riche avait un gérant qui fut accusé devant lui de dilapider ses biens.
2 Il le fit appeler et lui dit : Qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends les comptes de ta gestion, car désormais tu ne pourras plus gérer mes affaires.
3 Le gérant se dit alors en lui-même : Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gérance ? Bêcher ? Je n'en ai pas la force. Mendier ? J'en ai honte.
4 Je sais ce que je vais faire pour qu'une fois écarté de la gérance, il y ait des gens qui m'accueillent chez eux.
5 Il fit venir alors un par un les débiteurs de son maître et il dit au premier : Combien dois-tu à mon maître ?
6 Celui-ci répondit : Cent jarres d'huile. Le gérant lui dit : Voici ton reçu, vite, assieds-toi et écris cinquante.
7 Il dit ensuite à un autre : Et toi, combien dois-tu ? Celui-ci répondit : Cent sacs de blé. Le gérant lui dit : Voici ton reçu et écris quatre-vingts.
8 Et le maître fit l'éloge du gérant trompeur, parce qu'il avait agi avec habileté. En effet, ceux qui appartiennent à ce monde sont plus habiles vis-à-vis de leurs semblables que ceux qui appartiennent à la lumière.
9 "Eh bien ! moi, je vous dis : faites-vous des amis avec l'Argent trompeur pour qu'une fois celui-ci disparu, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
10 "Celui qui est digne de confiance pour une toute petite affaire est digne de confiance aussi pour une grande ; et celui qui est trompeur pour une toute petite affaire est trompeur aussi pour une grande.
11 Si donc vous n'avez pas été dignes de confiance pour l'Argent trompeur, qui vous confiera le bien véritable ?
12 Et si vous n'avez pas été dignes de confiance pour ce qui vous est étranger, qui vous donnera ce qui est à vous ?
13 "Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent."

*

Voilà une parabole que l'on serait porté à trouver au moins immorale ! Jésus ne semble-t-il pas donner d'étranges conseils : gruger son maître une dernière fois, après l'avoir grugé au point de se faire virer ?! Et voilà que le maître félicite son mauvais gérant : « bravo, tu as été malin de dilapider mes biens une dernière fois » ! C'est à n'y rien comprendre ! Un monde de corruption, des pratiques qui semblent ne pas déranger Jésus !... Puisque c'est tout de même lui qui présente en cette parabole ce curieux conseil... Choquant ?! À moins qu'on ne passe à un autre niveau. Faisons un petit détour pour y parvenir...

*

« Qui dit-on que je suis ?... Et vous qui dites-vous que je suis ? » avait demandé Jésus à ses disciples. Chez Matthieu la réponse est sous-entendue dans la première question de Jésus — en ces termes : « Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l’homme ? » (Matthieu 16, 13-15)

Il se présente donc lui-même comme le Fils de Homme. Le Fils de Homme est cette figure, connue des disciples, qui annonce dans des livres comme Ézéchiel ou Daniel la fin de ce monde et l’inauguration du Royaume de Dieu : il s'agit d'un être céleste, qui demeure auprès du Père, le Fils de l'Homme qui est dans les cieux — et qui vient sur la terre.

Dans sa question, Jésus vient donc de dire que c'est lui ce Fils de l'Homme, celui, donc, qui vient inaugurer et apporter le Royaume. D'où la réponse de Pierre : « qui est-tu ? Mais, Fils de l'Homme, tu es donc le Christ — le Messie ! » D'où son refus de le voir mourir.

À cette compréhension de Pierre (qui a compris à sa façon : celui qui est venu du ciel ne peut mourir !), Jésus (Matthieu 16, 20 sq.) répond aux disciples qu'il sera crucifié, avant d'ajouter qu'il leur faut aussi se préparer (v, 24-27) : « 24 Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. 25 Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la trouvera. 26 Et que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s’il perdait son âme ? ou, que donnerait un homme en échange de son âme ? 27 Car le Fils de l’homme doit venir dans la gloire de son Père, avec ses anges ; et alors il rendra à chacun selon ses œuvres. »

Le monde nouveau, qu'inaugure la venue du Fils de l'Homme, s'est donc approché...

*

Eh bien la parabole du « gérant habile » parle de la même chose : la fin d'un monde s’annonce. Il y a deux mondes. Un monde géré de façon injuste, cherchant son seul profit — ce qu'a fait le gérant —, et l’autre monde, celui du Règne de Dieu, géré par le service de Dieu et le soin du prochain : ce monde nouveau est en passe de remplacer le premier.

Cette parabole enseigne en fait qu'il s’agit de vivre en sachant que le monde nouveau est déjà là, à la porte, et que le monde ancien est déjà fichu ! Et dès lors, « que servirait-il à un homme de gagner le monde, s’il perdait son âme ? » « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la trouvera » ! (Matthieu 16, 26-27)

… Son âme, sa vie, est même est déjà perdue pour ce monde, nous enseigne la leçon du gérant indélicat qui va être renvoyé pour sa mauvaise gestion, et qui donc, prépare son avenir dans son nouveau monde, sous la forme imagée, ici, de son futur emploi.

***

Reprenons la parabole : l'immoralité apparente de la leçon nous a mis la puce à l'oreille : Jésus n'est pas en train de parler d'une affaire financière ou de donner des leçons de morale d'entreprise. « L'homme riche », dans les paraboles, désigne à plusieurs reprises Dieu. Les intendants, les gérants, eux, sont les gens de religion, d'Église, ceux ayant un ministère quel qu'il soit ; bref, nous tous ici, qui avons entendu son appel.

Or qu'est-ce qu'un gérant de Dieu a à gérer ? Qu'est qui lui est confié ? On le sait : sa grâce. Nous sommes gérants de la grâce. Notre gérant dilapide ce que son maître lui a confié : la parole de sa grâce. Il est curieux que Jésus, voulant parler des pharisiens, scribes, apôtres et pasteurs, ne donne d'image que celle d'un gérant qui dilapide les biens de son maître, qui plonge dans la caisse, s'y sert abondamment, et contracte envers son maître des dettes que comme le gérant, il ne pourra jamais payer, ignorant sans doute, d’ailleurs, que ce sont des dettes, pensant même que c'est normal de se servir ainsi ! C’est la grâce, quoi !

Et c'est la tentation qui nous guette tous, tentation de se faire à soi-même grâce, en se justifiant soi-même de tous ses actes, y trouvant toutes les bonnes excuses ; tentation de s'administrer toutes les indulgences possibles, plongeant pour son profit personnel dans les trésors de la miséricorde divine, de sa bonté, de sa grâce. À cette première tentation se conjoint une autre, celle d'oublier qu'on n'est que son gérant et de penser qu'on est propriétaire des trésors de la grâce de Dieu. Les autres, pour qui on est gérants, restent ses débiteurs. Et voilà notre gérant, indulgent pour soi-même, pas pour les autres !

« Le maître fit venir son gérant et lui dit : Qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends compte de ta gestion, car tu ne pourras plus désormais administrer mes biens. » C'est que plus on s'auto-justifie, plus on trouve les autres injustes ; plus on se trouve digne de la grâce, plus on considère les autres comme indignes... Et moins on leur accorde la grâce.

Menacé de renvoi, le gérant de la parabole va alors faire preuve de l’ingéniosité et de la prudence que nous avons lues, en commettant ce qui est apparemment une nouvelle injustice ! En fait, il se convertit au vrai sens de la grâce. Et c’est ce que Jésus donnera en exemple : faites-vous des amis de cette manière injuste aux yeux des hommes, qui consiste à baisser leurs dettes, mais qui est la justice généreuse. Le jugement appartient à Dieu, et à lui seul. Et qu’on vous jugera à la mesure dont vous aurez jugé. Faites-vous, par votre miséricorde à l’égard des fautes d’autrui, autant de compagnons de la grâce.

Et une fois encore, donc, le gérant de la parabole va dilapider les biens de son maître — cette fois non plus à son profit, mais au profit des autres. S'il puise encore dans les trésors de son maître — et donc dans le trésor de la grâce —, ce n'est plus pour lui seul, mais d'abord pour les autres débiteurs. Dans la sévérité de la mise en garde : « tu va être renvoyé », cet homme vient de découvrir qu'il était gérant de son maître pour les autres. Alors, pour la première fois de sa vie, le gérant prend soin des autres, il prend même un soin particulier — remarquons-le — des plus gros débiteurs, de ceux qui ont envers Dieu les dettes les plus grandes. Cet homme a découvert que, quoique étant intendant, gérant, administrateur de Dieu, il restait du côté des hommes. Et le maître loua le gérant injuste de ce qu'il avait agi prudemment, se ménageant un avenir dans le Royaume du Fils de L'homme, qui s'est approché. Le Fils de l'Homme est ici, à la porte, demandant : « Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l’homme ? » « Et vous qui dites-vous que je suis ? »


RP,
Poitiers, culte de rentrée, 22/09/13


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