dimanche 18 août 2013

"Un feu sur la terre"




Jérémie 38.4-10 ; Psaume 40 ; Hébreux 12.1-4 ; Luc 12.49-53

Jérémie 38, 4-10
4 Les chefs dirent au roi : Que cet homme soit mis à mort ! car il décourage les hommes de guerre qui restent dans cette ville, et tout le peuple, en leur tenant de pareils discours ; cet homme ne cherche pas le bien de ce peuple, il ne veut que son malheur.
5 Le roi Sédécias répondit : Voici, il est entre vos mains ; car le roi ne peut rien contre vous.
6 Alors ils prirent Jérémie, et le jetèrent dans la citerne de Malkija, fils du roi, laquelle se trouvait dans la cour de la prison ; ils descendirent Jérémie avec des cordes. Il n’y avait point d’eau dans la citerne, mais il y avait de la boue ; et Jérémie enfonça dans la boue.
7 Ebed-Mélec, l’Ethiopien, eunuque qui était dans la maison du roi, apprit qu’on avait mis Jérémie dans la citerne. Le roi était assis à la porte de Benjamin.
8 Ebed-Mélec sortit de la maison du roi, et parla ainsi au roi:
9 O roi, mon seigneur, ces hommes ont mal agi en traitant de la sorte Jérémie, le prophète, en le jetant dans la citerne ; il mourra de faim là où il est, car il n’y a plus de pain dans la ville.
10 Le roi donna cet ordre à Ebed-Mélec, l’Ethiopien : Prends ici trente hommes avec toi, et tu retireras de la citerne Jérémie, le prophète, avant qu’il ne meure.

Luc 12, 49-53
49 Je suis venu jeter un feu sur la terre, et qu’ai-je à désirer dès lors qu’il est allumé ?
50 Il est un baptême dont je dois être baptisé, et combien il me tarde qu’il soit accompli !
51 Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Non, vous dis-je, mais la division.
52 Car désormais cinq dans une maison seront divisés, trois contre deux, et deux contre trois ;
53 le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère.

*

Un monde scindé, coupé en deux, là où on ne s’y attendrait pas : « désormais cinq dans une maison seront divisés, trois contre deux, et deux contre trois ; le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. »

Des centaines d’années plus tard, « au XIXe siècle, dans un petit village de Russie, deux familles [juives] cherchaient à marier leurs filles. Elles ont réussi à faire venir deux jeunes gens de très loin. Pendant leur voyage, le train est attaqué par des cosaques, et l’un des deux jeunes gens est tué. Finalement le rescapé arrive. Les deux mères s’écrient chacune que c’est bien le jeune homme destiné à sa fille. On décide de s’en remettre au jugement du rabbin.
- Coupez-le en deux, conclut celui-ci, et chaque jeune fille aura ainsi la moitié de son corps.
- Oh non ! s’écrie l’une des deux mères. Ne le tuez pas, ma fille en trouvera un autre !
- Si ! Si ! Coupez-le ! exige la seconde.
Le rabbin montre alors la seconde et conclut :
- C’est elle la belle-mère ! »

(M.-A. Ouaknin, Dory Rotnemer, La bible de l’humour juif, coll. J’ai lu, 1995, p. 197).

Tout ça pour dire qu’on serait prêt à comprendre les tensions familiales. Un classique… Que Jésus donne cependant pour anormal, au point qu’il en fait l’exemple extrême et étrange de ce qui se prépare. Division là où elle n’aurait pas lieu d’être. Ce qui se prépare, qui va jusqu’à diviser ce qui ne devrait pas l’être, c’est un monde scindé… Comme un partage des eaux de l’histoire en train de s’opérer par cet « autre baptême » de Jésus, la croix.

Scindé très rapidement — le feu descendu sur terre court —, de Jérusalem jusqu’au bout du monde, Rome… 15 ans après la crucifixion de Jésus déjà, en 49, les juifs sont chassés de Rome par Claude — expulsion connue par ailleurs comme étant due, selon Suétone (Claude, § 25) à ce que les juifs « fomentaient de constants tumultes à l'instigation de "Chrestus" » — à savoir, naturellement, « Christ ». Cause de divisions, comme il l’annonçait.

De Jérusalem jusqu’à Rome — d’où le feu court. Il atteint Corinthe… Le livre des Actes des Apôtre, ch. 18, faisant référence à l’expulsion de Rome alors célèbre, nous relate un épisode où les juifs de Corinthe, comprenant des exilés de Rome, se disputent entre partisans du Christ et les autres — ça continue donc !…

Les « chrétiens » de Corinthe sont bien juifs pour la plupart. La prédication de Paul divise la synagogue : le chef Crispos lui-même se convertit et est remplacé par un autre, Sosthène. Paul se met donc à prêcher à côté, chez Titius Justus, après avoir prévenu — en écho à l’avertissement de Jésus — que les querelles vont tourner aux coups, voire au sang, de la part des deux partis.

Sous l’œil indifférent (pour l’instant) des autorités régionales romaines. On pressent que ce qui s’est passé à Rome pend au nez des croyants de Corinthe : trouble à l’ordre public. Une description des choses propre à faire frémir : Sosthène, chef de la synagogue, roué de coups !

À l’instar des descriptions des conflits dans les anciens livres bibliques, le livre des Actes se contente de décrire, de constater le fait et l’indifférence des autorités romaines. Les choses changeront dans la suite des temps, quand les autorités romaines finiront par appuyer les chrétiens contre les juifs.

Le débat ne saurait être autre que celui de la parole dont Paul entend user librement — « ne te tais pas », lui confirme sa vision (Actes 18. 9) —, une libre parole qu’exercent plusieurs dans les deux camps qui se forment.

Hélas déjà on glisse aux invectives et aux coups — était-ce alors évitable ? L’histoire n’a pas donné que cela soit évité.

« Je suis venu jeter un feu sur la terre », avait averti Jésus — « et qu’ai-je à désirer dès lors qu’il est allumé ? Il est un baptême dont je dois être baptisé, et combien il me tarde qu’il soit accompli !  »

La croix, signe de contradiction. Un feu sur la terre. Jésus en est conscient — « qu’ai-je à désirer dès lors qu’il est allumé ? » —, et au-delà de la souffrance qui s’annonce pour lui — « Il est un baptême dont je dois être baptisé, et combien il me tarde qu’il soit accompli ! » —, il perçoit avec douleur ce qui s’en suivra.

*

Il apparaît alors que désormais, on sera ou d’un côté de la coupure du monde, ou d’un autre ! À moins qu’on ne soit ni d’un côté ni de l’autre mais avec Jésus, au cœur de la brèche que son baptême dans la mort a opérée.

… N’être jamais d’un camp de la violence. Rappelons-nous que le camp qui se réclame du Christ a été à Corinthe de ceux qui ont roué de coups Sosthène ! — un monde divisé en deux camps qui ne s’épargnent ni l’un ni l’autre la violence.

Pourtant les deux camps ont été prévenus. Ainsi le dit le Talmud : « quand un méchant persécute un juste, Dieu est du côté du juste contre le méchant, quand un méchant persécute un méchant, Dieu est du côté du méchant persécuté contre le méchant persécuteur, quand un juste persécute un méchant, Dieu est du côté du méchant persécuté contre le juste persécuteur ». Et Paul d’abord persécuteur des chrétiens s’entendait interpeller : « je suis Jésus que tu persécutes ».

Refuser d’user de la force devenue vaine est ce qui vaudra la persécution de Jérémie (ch. 38) :
4 Les chefs dirent au roi : Que cet homme soit mis à mort ! car il décourage les hommes de guerre qui restent dans cette ville, et tout le peuple, en leur tenant de pareils discours ; cet homme ne cherche pas le bien de ce peuple, il ne veut que son malheur.
5 Le roi Sédécias répondit : Voici, il est entre vos mains ; car le roi ne peut rien contre vous.
6 Alors ils prirent Jérémie, et le jetèrent dans la citerne de Malkija, fils du roi, laquelle se trouvait dans la cour de la prison ; ils descendirent Jérémie avec des cordes. Il n’y avait point d’eau dans la citerne, mais il y avait de la boue ; et Jérémie enfonça dans la boue.

Pour l’heure Jérémie s’en sort suite à l’intercession de l’Éthiopien Ebed-Mélec. Il n’en sera pas toujours ainsi. Mais la fidélité à Dieu dans le refus des façons trop humaines de faire venir le Règne de Dieu restera à l’ordre du jour.

C’est ainsi qu’il s’agit pour nous d’être avec Jésus crucifié dans la brèche du refus de ce qui, au sein des nations, des religions, des Églises, et jusqu’au sein des familles, et fût-ce en son nom, déchire le monde…


RP,
Poitiers, 18.08.13


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