mardi 25 décembre 2012

In Excelsis & in Terra




Ésaïe 52.7-10 ; Psaume 98 ; Hébreux 1, 1-6 ; Luc 2, 1-20

Luc 2, 1-20
1 Or, en ce temps-là, parut un décret de César Auguste pour faire recenser le monde entier.
2 Ce premier recensement eut lieu à l’époque où Quirinius était gouverneur de Syrie.
3 Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville;
4 Joseph aussi monta de la ville de Nazareth en Galilée à la ville de David qui s’appelle Bethléem en Judée, parce qu’il était de la famille et de la descendance de David,
5 pour se faire recenser avec Marie son épouse, qui était enceinte.
6 Or, pendant qu’ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva;
7 elle accoucha de son fils premier-né, l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle d’hôtes.
8 Il y avait dans le même pays des bergers qui vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau.
9 Un ange du Seigneur se présenta devant eux, la gloire du Seigneur les enveloppa de lumière et ils furent saisis d’une grande crainte.
10 L’ange leur dit: "Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple:
11 Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur;
12 et voici le signe qui vous est donné: vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire."
13 Tout à coup il y eut avec l’ange l’armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait:
14 "Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés."
15 Or, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, les bergers se dirent entre eux: "Allons donc jusqu’à Bethléem et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître."
16 Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire.
17 Après avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant.
18 Et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que leur disaient les bergers.
19 Quant à Marie, elle retenait tous ces événements en en cherchant le sens.
20 Puis les bergers s’en retournèrent, chantant la gloire et les louanges de Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé.

*

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux » ont chanté les anges — « multitude de l’armée céleste ». Il s’est passé là quelque chose d’extraordinaire, qui fait chanter toute la création visible et invisible, qui fait chanter jusqu’à toute la « gendarmerie céleste », pour employer le vocabulaire de Calvin parlant des anges.

Mais voilà donc que la chose essentielle, celle qu’ils chantent là, s’est passée à Bethléem, s’est passée dans l’humilité, et concerne celui qui vaut que toutes les puissances de la Création y joignent leur louange.

Cela concerne les bergers, et nous concerne avec eux. Cela aussi les anges le clament ! C’est le deuxième aspect de leur chant de louange : « paix sur la terre parmi les hommes de la bienveillance ». Dans et l’espace et le temps, il a donné ce signe de sa présence aux bergers, puis par eux à tous : l’humanité du Christ.

*

Deux aspects de la fête de Noël. L’aspect universel, plus vaste que le christianisme, que la religion chrétienne, aspect représenté ici par les anges, qui concernent selon la lecture que fait le judaïsme de la Torah, toutes les traditions et religions. On retrouve cela dans le Nouveau Testament, notamment dans les Épîtres de Paul, avec l’idée que les puissances dirigent toutes les réalités de ce monde.

Aspect universel donc. Toutes les puissances, de toutes les traditions et religions, sont appelées à se réjouir de la manifestation universelle de la Lumière. C’est ce que le christianisme a parfaitement assumé en retenant comme date de Noël, non pas la date de la naissance historique de Jésus, que l’on n’a pas à connaître, mais la date de la fête païenne romaine de la lumière, du soleil invaincu, au solstice d’hiver. Le Christ déploie la lumière, le Soleil de justice que toutes les lumières de ce monde symbolisent pour la foi au Christ.

Ce sont ces mêmes Anges et Puissances que célèbrent les nations qui ont célébré la Lumière lorsque qu’ils l’ont chantée et annoncée aux bergers. Et c’est le deuxième aspect de la fête de Noël : la découverte de la plus humble des vérités de la Lumière dans l’humilité de l’enfant de la crèche.

Cet aspect est intime, plus secret donc. Il est dévoilé mystérieusement. C’est l’Évangile. Il est annoncé ce jour-là uniquement aux bergers.

Avant d’en venir à ce second aspect, essentiel, il nous appartient de ne pas mépriser l’autre aspect, celui de la Lumière universelle, qui rayonne sur tous les peuples, toutes les religions et toutes les traditions.

Noël est signe de la venue de la Lumière pour tous les peuples… parmi lesquels l’attente de la lumière divine est universellement partagée, qu’elle s’appelle Hanoukka selon le judaïsme dans la perspective de la révélation biblique, ou qu’elle soit annoncée par l’étoile des Mages, le Solstice des Romains, le Père Noël lutin scandinave, ou autres…

Fête universelle pour une attente universelle de délivrance. « D’Israël la gloire, Lumière des nations », comme nous le chantons, « en lui brille ton nom », le nom de la lumière universelle, du Dieu de l’Univers.

*

C’est là que vient le second aspect : pour celui qui sait découvrir cela, c’est l’aspect de l’humilité de Noël. Là où l’on attendait quelque chose de fracassant, de glorieux, de rayonnant, le Roi de l’Univers naît dans une étable, de parents sans domicile où le langer, et la nouvelle de sa naissance est annoncée à des itinérants, des gens sans dignité reconnue, les bergers.

Cela veut dire beaucoup de choses. La vérité de Noël, la vérité fondamentale, la vérité cachée, est cachée, précisément. Elle ne s’affiche pas de façon criarde et publicitaire. Ce n’est pas pour rien si ce sont des bergers, au cœur de la nuit, qui en ont reçu l’annonce. Ils ont reçu l’annonce de la naissance d’un enfant dans une étable.

Pouvait-il arriver quelque chose d’intéressant à des bergers ? Mal vus à cause de leur métier qui les maintenait à l’écart, dans une sorte de nomadisme, ils étaient marginaux, exclus, bons à tout et propres à rien. Des gens pas très recommandables en somme.

Et pourtant, c est à eux, ces humbles, ces pauvres, que l’Ange va annoncer, en premier, la nouvelle de la naissance de Jésus. Aussitôt ils se lèvent, se mettent en marche pour « aller voir ». Puis, sur le chemin du retour, ils racontent à ceux qu’ils rencontrent tout ce qui est arrivé. Eux, dont le témoignage n’avait aucune valeur, deviennent les témoins de la Bonne Nouvelle.

Difficile d’accepter qu’ils soient les premiers servis, ceux que nous classerions parmi les gens à regarder de travers — qu’ils soient les premiers témoins ! Et Dieu en a décidé ainsi. C’est d’eux qu’est venu le premier mot de l’Évangile de Noël ! Aurions-nous été disposés à recevoir d’eux quelque chose à partager ? Sommes-nous prêts à attendre quelque chose de ceux qui leur ressemblent ? Ce quelque chose est rien moins que la vraie Bonne Nouvelle !

On est loin des lumières des fêtes illuminées et des guirlandes électriques aux devantures des supermarchés, qu’elles annoncent « Joyeux Noël » ou « Joyeuses fêtes » ! Et c’est ainsi que « le monde vit moins par ceux qui se mettent en lumière, que par ceux qui peuvent montrer le lieu où se trouve la lumière ! »

Mais c’est aussi pourquoi il est mal venu de s’indigner de ce que la fête lumineuse et publique de Noël semble n’être pas en phase avec ce qui fait l’essentiel de Noël. Exiger que Noël soit au public une fête chrétienne, au sens intime et fort du terme, serait une aberration, une confusion, tout simplement des deux niveaux de signification de Noël. La fête de l’enfant pauvre de l’étable de Bethléem, annoncée aux bergers puis par eux, dans la nuit, à la seule lumière incréée et secrète signifiée par la lumière des Anges ne saurait se faire au cœur des lumières de la ville, sous les ors des palais. Elle nous dérangera toujours et nous déplacera toujours, comme les Bergers.

La fête aux guirlandes, celle de tous les temps, est légitime, mais elle n’est que signe de la vraie fête intime et cachée, celle de la naissance mystérieuse de la vérité de Dieu au cœur secret de nos vies dans lesquelles germe ainsi la parole de la vie éternelle, cette parole radicalement renversante prophétisée par la Vierge Marie du Magnificat, parole par laquelle nous sommes faits enfants de Dieu. Cela n’est pas venu à la lumière criarde, mais vraie lumière, jaillie au secret d’une étable.


R.P.
Noël, 25.12.12, Poitiers


lundi 24 décembre 2012

Au pied de l’arbre de Jessé




Luc 1.46-56
46 Et Marie dit : Je magnifie le Seigneur,
47 je suis transportée d’allégresse en Dieu, mon Sauveur,
48 parce qu’il a porté les regards sur l’abaissement de son esclave. Désormais, en effet, chaque génération me dira heureuse,
49 parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses. Son nom est sacré,
50 et sa compassion s’étend de génération en génération sur ceux qui le craignent.
51 Il a déployé le pouvoir de son bras ; il a dispersé ceux qui avaient des pensées orgueilleuses,
52 il a fait descendre les puissants de leurs trônes, élevé les humbles,
53 rassasié de biens les affamés, renvoyé les riches les mains vides.
54 Il a secouru Israël, son serviteur, et il s’est souvenu de sa compassion
55 – comme il l’avait dit à nos pères – envers Abraham et sa descendance, pour toujours.

*

“Magnificat”— Cantique de Marie. Voilà la seule prière de Marie qui nous est proposée : le Magnificat — d’après son premier mot en latin : « mon âme magnifie le Seigneur » v. 46.

Pour le lecteur de l’Église primitive, dont la Bible est celle d'Israël, le Cantique de Marie rappelle irrésistiblement — avec les grandes ancêtres comme Sara recevant la promesse à Abraham — le Cantique d'Anne (1 Samuel 2, 1-10), face au Dieu de tous les impossibles : on croirait savoir que les stériles n'enfantent pas, non plus que les vierges ; on croirait savoir que les morts ne ressuscitent pas et que les pains ne se multiplient pas pour les pauvres ! Et voilà que Dieu intervient !

On se souvient alors, et c’est scellé dans les Évangiles, Luc comme Matthieu, que Marie est la fille, lointaine descendante, de Jessé, père de David, devenu figure royale du Messie — Jessé ou Isaï dont le vieux tronc, comme le dit un de nos chants citant la Bible, porte le Messie fils de David.

C'est ce que signifie notre arbre de Noël, figure de l'arbre de Jessé et reprise de l'arbre de toute la création que Dieu fait croître à sa rencontre.

Un arbre de Jessé qui porte le Messie que sa descendante Marie va enfanter, un pour dire le chant de toute la création tournée vers la rencontre de la lumière à laquelle elle est appelée.

Un antique symbole que cet arbre, repris dans l'Alsace protestante pour lui donner comme autre sens la vérité du 25 décembre, ancienne date du solstice d'hiver devenu symbole de la naissance du Christ.

Un arbre qui se dresse vers la lumière annoncée par l'étoile des Mages, comme celui de la famille de Jessé et de David vers le Messie, et celui de toute la création vers son salut.

Cela en passant par la faute même qu'il s'agit de couvrir, symbolisée par les boules des arbres de Noël, qui sont au départ simplement des pommes stylisées - pommes (malum en latin), pommes du bien et du mal, mal (malum aussi en latin)...

Le mal englouti, comme sous la neige, par le Christ, dans la lumière, qui dès lors parcourt toute la création, lumière figurée par les guirlandes de lumière qui courent dans tout l'arbre...

C’est au pied de cet arbre que retentit le Cantique de Marie, Le Magnificat ! Cantique pour le moins renversant, en tout cas pour ceux qui se trouvent élevés en dignité du haut de leur trône (v. 52), ou en richesse du haut de leur rassasiement (v. 53). Voilà une parole qui bouscule.

Le Magnificat s'inscrit ainsi dans la lignée des libérations opérées par le Dieu fort à l'égard des humiliés ; le Dieu qui fait germer les délivrances, comme dans le sein vierge de Marie. Et c'est de cela qu’elle se réjouit : elle exulte d'être la mère de ce Messie libérateur des humiliés, dans une joie qui sera proclamée, dit-elle, par toutes les générations (v. 48).

RP
Veillée de Noël
Poitiers 24.12.12


dimanche 23 décembre 2012

“Tu es bénie entre les femmes”




Michée 5, 1-5 ; Psaume 80 ; Hébreux 10, 5-10 ; Luc 1, 39-45

Luc 1, 39-45
39 En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se rendre dans le haut pays, dans une ville de Juda.
40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
41 Or, lorsque Élisabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant bondit dans son sein et Élisabeth fut remplie du Saint Esprit.
42 Elle poussa un grand cri et dit : « Tu es bénie plus que toutes les femmes, béni aussi est le fruit de ton sein !
43 Comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ?
44 Car lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l'enfant a bondi d'allégresse en mon sein.
45 Bienheureuse celle qui a cru : ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s'accomplira ! »

*

Après l’annonce de l'ange la concernant — « je te salue Marie, toi qui as la faveur de Dieu » (Luc 1, 28) —, on retrouve ici Marie enceinte qui rend visite à sa parente Élisabeth enceinte elle aussi, miraculeusement elle aussi (Luc 1, 36).

On a appris par ailleurs dès le début de l'Évangile que la famille d'Élisabeth est une famille de prêtres. Élisabeth elle-même est une descendante du premier prêtre d'Israël, Aaron (Luc 1, 5). Zacharie son mari est prêtre.

La visite de Marie correspond dès lors à ce qu'enseigne la Torah en matière de soupçon d’infidélité conjugale (Nombre 5) : un mari suspicieux devait faire appel à un prêtre. Ce que ne fait pas Joseph, mais Luc suggère ainsi que Marie fait indirectement attester par un prêtre la vérité de ce qui lui arrive. L’acclamation d’Élisabeth en témoigne : « tu es bénie entre toutes les femmes », s’exclame-t-elle à la vue de Marie.

Cela signifie aussi, Élisabeth étant sa parente, que par Marie, Jésus se rattache à la lignée des prêtres d’Israël. Ce qui est sans doute loin d'être indifférent quand on sait que c’est Jean le Baptiste, le fils d'Élisabeth, qui le désignera (dans le quatrième Évangile) comme l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde : l'annonce du pardon, une tâche affectée à la lignée des prêtres.

Or Jésus est présenté, par Luc lui-même, comme fils de David, et donc de tribu royale, par la généalogie, adoptive, de Joseph. De lignée royale, symbole nécessaire pour être le Messie, mais qui exclut a priori l'aspect sacerdotal, qui est pourtant capital pour ce qui s'avèrera être le plein sens de sa tâche. L'aspect sacerdotal, Jésus comme prêtre, apparaît dans la visite d'aujourd'hui.

*

Le fils d'Élisabeth, Jean, sera celui qui investira Jésus dans sa fonction sacerdotale en le baptisant — malgré sa célèbre réticence à le baptiser, selon son humilité devant celui dont il hésite même à « délier les sandales ».

Jean hésitant à le baptiser confesse alors, à nouveau dans le quatrième Évangile, que Jésus le précède de toute l'éternité : « il était avant moi », dit-il !

C'est la même idée que l'on retrouve ici. Jean, déjà dans le sein de sa mère, tressaille en la présence de la mère enceinte du Messie. Et la mère de Jean traduit, selon l'Esprit saint, précise le texte, le sens de ce tressaillement : « Tu es bénie entre les femmes et le fruit de ton sein est béni. Cela m'est un privilège que tu me visites ! » — « Bienheureuse celle qui a cru. »

« Bienheureuse parce que tel est le fruit de ton sein. » On retrouve plus tard, en Luc 11 (v. 27-28), une bénédiction semblable prononcée par une autre une femme, anonyme, celle-là : « Une femme, élevant la voix du milieu de la foule, dit à Jésus : Heureux le sein qui t’a porté ! Heureux les seins qui t’ont allaité ! Et il répondit : Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! »

Bénédiction similaire à celle d'Élisabeth, prononcée d'abord par Élisabeth dans l'intimité des commencements.

*

L'épisode du ch. 11 renvoie donc à ce ch. 1, à notre passage, et au v. 48, où Marie y fait elle-même écho : « toutes les générations me diront bienheureuse », disait Marie. Makaria, le même mot : la femme du ch. 11 entame l'accomplissement de la parole l’Élisabeth, et la parole de Marie sur elle-même : « toutes les générations me diront bienheureuse ».

Et Jésus, lui, la renvoie à cette autre bénédiction que prononçait Élisabeth sur sa mère : en Luc 1, 45, elle prononçait : « heureuse celle qui a cru ». Et voilà qui nous renvoie aussi à toutes les grandes ancêtres, et en premier lieu à Sara, et à la promesse à Abraham. Espérer contre toute espérance, écouter la parole de Dieu et la garder pour la voir germer. « Heureux ceux qui écoutent la Parole et la gardent ». Et plus encore, ici : c'est le Fils de Dieu que Marie a porté.

Ici Dieu a renversé tous les impossibles : on croirait savoir que les stériles n'enfantent pas, pas plus que les vierges ; on croirait savoir que les morts ne ressuscitent ni que les prophètes ne marchent sur les eaux ou que les pains se multiplient pour les pauvres !

*

Et voilà que Dieu intervient ! Voilà que s'approche le temps où les souffrances prennent fin. Voilà que l'on découvre dans l'intimité de la rencontre de deux femmes, que Dieu, discrètement, prépare ce grand moment de façon cachée dans le sein d'une femme.

Cela, Jean dans le sein de sa mère et Élisabeth à son tour, le pressentent : le jour de la délivrance approche. Ce jour que nous fêtons à Noël. Et Élisabeth a perçu le comment de l'accueil de cette délivrance : « heureuse celle qui a cru à l'accomplissement de la promesse. » Et elle est bien placée pour savoir, Élisabeth, elle, stérile mais qui a bénéficié pour sa part du miracle de l'enfantement.

Mais le miracle fondamental, c'est bien sûr le mystère de la Parole. Cette Parole non seulement a fait germer le sein d'Élisabeth, et le sein de Marie —, mais c'est cette Parole-même que Marie porte en son sein, c'est le Messie par qui vient la délivrance. Élisabeth l'a compris. Son miracle à elle est là comme signe, comme tout autre miracle, jamais fin en soi.

Marie, elle, porte une toute autre réalité. En elle la Parole se fait chair, pour porter toutes nos délivrances. Cette Parole est la Parole qu'il faut écouter et recevoir. Cette même Parole que Marie recevait et qui faisant fructifier son sein vierge, cette Parole est ainsi annoncée comme une semence, qui, contre tous les malheurs, est destinée à germer jusque dans le Royaume.

L'intervention de Dieu n'est pas tant de l'ordre du coup d'éclat que du type de la semence. La semence d'une parole qui, reçue et gardée, produira des fruits inimaginables depuis le cœur de nos malheurs. La semence de la parole de Dieu dans le sein de Marie est celle du corps du Christ ressuscité.

Cette Parole engendre par le Christ des enfants qui ne sont pas nés de la chair ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu. Au cœur des impossibles, c'est la Parole de Dieu seul qui fait germer son Royaume.

Bienheureux non seulement le ventre qui a porté le Christ et le sein qui l'a nourri, mais quiconque reçoit cette Parole qui a le pouvoir de faire germer le Royaume de Dieu, où toute douleur se taira enfin.


R.P.
Poitiers, 23.12.12


dimanche 16 décembre 2012

Cadeau




Ésaïe 12 ; Sophonie 3, 14-20 ; Philippiens 4, 4-7 ; Luc 3, 10-18

Sophonie 3.14-20
14 Crie de joie, fille de Sion,
pousse des acclamations, Israël,
réjouis-toi, ris de tout ton cœur,
fille de Jérusalem.
15 Le SEIGNEUR a levé les sentences qui pesaient sur toi,
il a détourné ton ennemi.
Le roi d'Israël, le SEIGNEUR lui-même, est au milieu de toi,
tu n'auras plus à craindre le mal.
16 En ce jour-là, on dira à Jérusalem : « N'aie pas peur, Sion,
que tes mains ne faiblissent pas ;
17 le SEIGNEUR ton Dieu est au milieu de toi
en héros, en vainqueur.
Il est tout joyeux à cause de toi,
dans son amour, il te renouvelle,
il jubile et crie de joie à cause de toi. »
18 Je rassemble ceux qui étaient privés de fêtes ;
ils étaient loin de toi
— honte qui pesait sur Jérusalem.
19 Je vais agir à l'égard de tous ceux qui te maltraitent
— en ce temps-là —,
je sauverai les brebis boiteuses,
je rassemblerai les égarées.
Je vous mettrai à l'honneur et votre renom s'étendra
dans tous les pays ou vous avez connu la honte.
20 En ce temps-là, je vous ramènerai,
ce sera au temps où je vous rassemblerai ;
votre renom s'étendra, et je vous mettrai à l'honneur
parmi tous les peuples de la terre
quand, sous vos yeux, je changerai votre destinée, dit le SEIGNEUR.

Philippiens 4.4-7
4 Réjouissez-vous dans le Seigneur en tout temps ; je le répète, réjouissez-vous.
5 Que votre bonté soit reconnue par tous les hommes. Le Seigneur est proche.
6 Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute occasion, par la prière et la supplication accompagnées d'action de grâce, faites connaître vos demandes à Dieu.
7 Et la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, gardera vos cœurs et vos pensées en Jésus Christ.

Luc 3.16-18
16 Jean répondit à tous : « Moi, c'est d'eau que je vous baptise ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales […] »
18 Avec bien d'autres exhortations encore, Jean annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.

*

Textes de réjouissance, promesses de réjouissance, tout cela donné, cadeau…

Dans l'Évangile selon Matthieu, les Mages, prêtres lointains, amèneront comme en signe et en écho à cela, des cadeaux aux pieds d'un enfant né comme en secret, dans les ténèbres de l'humilité — dans la nuit, donc, selon le temps angélique —, un enfant couvrant de lumière jusqu'à sa Galilée mal sortie de cette nuit, selon le prophète Ésaïe (ch. 9, v. 1-2). Et puis…

Ésaïe 12
1 Tu diras, ce jour-là : Je te rends grâce, SEIGNEUR,
car tu étais en colère contre moi,
mais ta colère s'apaise et tu me consoles.
2 Voici mon Dieu Sauveur,
j'ai confiance et je ne tremble plus, car ma force et mon chant,
c'est le SEIGNEUR ! Il a été pour moi le salut.
3 Vous puiserez de l'eau avec joie aux sources du salut
4 et vous direz ce jour-là :
Rendez grâce au SEIGNEUR, proclamez son nom,
publiez parmi les peuples ses œuvres, redites que son nom est sublime.
5 Chantez le SEIGNEUR, car il a agi avec magnificence :
qu'on le publie par toute la terre.
6 Pousse des cris de joie et d'allégresse, toi qui habites Sion,
car il est grand au milieu de toi, le Saint d'Israël !

Il enseignera que les plus petits que nous croisons sont lui-même, venu dans le secret : « ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25).

C'est là ce qu'a très bien compris un évêque de l'Antiquité, nommé Nicolas — devenu saint Nicolas. Il ne supportait pas, lui disciple d'un enfant pauvre, de voir la misère, plus particulièrement celle des enfants, dit-on. Alors en secret, il leur faisait des cadeaux qui allégeaient leur peine, comme les Mages avaient offert leurs dons au Christ.

Derrière saint Nicolas, un simple homme, derrière l’humilité de celui qui fait des cadeaux en secret, s'ouvre le monde angélique, dévoilant à son tour la réalité de Dieu.

Chacune de nos actions dévoile quelque chose de Dieu ; chacun, chacune de celui ou de celle qui accomplit une chose significative, même si elle peut sembler insignifiante, est comme un messager de la part de Dieu. Messager, le mot en français pour ange…

C’est dans l’Europe du Nord — où fructifiera la réforme luthérienne — que l’on donnerait, plus tard, la figure angélique de Noël derrière saint Nicolas.

Car on l’a compris, derrière son humilité, saint Nicolas laisse transparaître un ange ; comme derrière les Mages, étrangers en visite, rappelant les étrangers visitant Abraham, et dans lesquels s’ouvre pour le patriarche la présence du monde angélique.

Des anges, des messagers de la présence de Dieu même, comme ceux qui annonceront sa venue dans la naissance de son enfant.

Un ange est aussi derrière saint Nicolas, ange qui sera figuré sous les traits des anges de l’Europe du nord, elfes et lutins, et qui emprunte au passage la pourpre épiscopale du saint qu'il représente à une célèbre boisson gazeuse l'embauchant pour une publicité ! Ce sera pourtant là la figure du père Noël, que dévoile saint Nicolas : la figure angélique du don gratuit. Qui a perçu cela comprend que le père Noël existe, secret, rare — mais peut-être pas tant que ça : c'est le don gratuit qui est là représenté sous sa forme d'ange rouge... et qui se cachait une fois sous les traits de saint Nicolas.

Nicolas avait entendu le Baptiste — texte de l’Évangile de ce jour :

Luc 3.10-18
10 Les foules demandaient à Jean : « Que nous faut-il donc faire ? »
11 Il leur répondait : « Si quelqu'un a deux tuniques, qu'il partage avec celui qui n'en a pas ; si quelqu'un a de quoi manger, qu'il fasse de même. » […]
15 Le peuple était dans l'attente et tous se posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean : ne serait-il pas le Messie ?
16 Jean répondit à tous : « Moi, c'est d'eau que je vous baptise ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales […] »
18 Ainsi, avec bien d'autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.

La vraie Bonne Nouvelle : le vrai cadeau. Voilà que Jean est le messager de ce vrai cadeau, dont tous les messagers, les anges, présents avec les Mages, ou les saint Nicolas représentés dans leur signification angélique du don gratuit comme Père Noël, ont finalement donné le signe : celui dont Jean annonce que lui-même, immense prophète, n’est pas digne d’en délier la sandale.

« Ainsi, avec bien d'autres exhortations encore, — comme celles qu’a entendue saint Nicolas offrant ses cadeaux en secret —, Jean annonçait au peuple la Bonne Nouvelle », le cadeau caché derrière les cadeaux, le cadeau de Noël : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. »


RP
Poitiers – 3e dimanche de l’Avent / fête de Noël,
16.12.12


lundi 10 décembre 2012

Osée, "Dieu dans la peau" !




Osée 1, 1 - 2, 3
1 1 Parole du SEIGNEUR qui parvint à Osée, fils de Bééri, aux jours d’Ozias, de Jotam, d’Achaz, d’Ezéchias, rois de Juda, et aux jours de Jéroboam, fils de Joas, roi d’Israël.
2 Début de ce que le SEIGNEUR a dit par l’entremise d’Osée :
Le SEIGNEUR dit à Osée : Va, prends une prostituée et des enfants de la prostitution ;car le pays se vautre dans la prostitution, en abandonnant le SEIGNEUR.
3 Il alla et prit Gomer, fille de Diblaïm. Elle fut enceinte et lui donna un fils.
4 Le SEIGNEUR lui dit : Appelle-le du nom de Jizréel ; car encore un peu de temps et je ferai rendre des comptes à la maison de Jéhupour le sang de Jizréel : je mettrai fin à la royauté de la maison d’Israël.
5 En ce jour-là je briserai l’arc d’Israël dans la vallée de Jizréel.
6 Elle fut de nouveau enceinte et mit au monde une fille. Il lui dit : Appelle-la du nom de Lo-Rouhama (« Celle dont on n’a pas compassion ») ; car je ne continuerai plus à avoir compassion de la maison d’Israël en lui pardonnant indéfiniment.
7 Mais j’aurai compassion de la maison de Juda ; je les sauverai par le SEIGNEUR, leur Dieu ; je ne les sauverai ni par l’arc, ni par l’épée, ni par la guerre, ni par les chevaux, ni par les chars.
8 Elle sevra Lo-Rouhama ; puis elle fut encore enceinte et mit au monde un fils.
9 Il dit : Appelle-le du nom de Lo-Ammi (« Pas mon peuple ») ; car vous n’êtes pas mon peuple, et moi, je ne serai rien pour vous.

2 1 Pourtant le nombre des Israélites sera comme le sable de la mer qui ne peut ni se mesurer ni se compter ; au lieu même où on leur disait : « Vous n’êtes pas mon peuple ! » on leur dira : « Fils du Dieu vivant ! »
2 Les Judéens et les Israélites seront rassemblés, ils se donneront un chef unique et sortiront du pays ; car grand sera le jour de Jizréel.
3 Dites à vos frères : Ammi ! (« Mon peuple ! ») Et à vos sœurs : Rouhama ! (« Toi dont on a compassion ! »)

*

Osée : nous ne savons rien de lui sinon que sa femme le trompe. Osée nous raconte ses déboires conjugaux avec son épouse infidèle, nommée Gomer. Osée, naturellement, souffre de ces déboires, et c’est de là que va partir sa prophétie. Il va comparer ses propres malheurs avec sa femme et ceux de Dieu avec son peuple, infidèle lui aussi.

On sait qu’Israël s’est coupé en deux après le règne de Salomon. Osée parle à Israël, royaume du Nord, séparé de la dynastie qu’il considère comme légitime, celle du Sud, Juda (ch. 3 v.5). Les indications chronologiques placées en tête du livre (sont nommés des rois de Juda, le Sud, et Jéroboam II, du Nord) permettent de dire que la prophétie réfère à une époque située entre 786 et 724 av. J.-C., époque sur laquelle on a quelques informations.

Jéroboam II, ici mentionné, a régné à Samarie, capitale du Nord, pendant 41 ans, dès 785 av. J.-C., env. ; rendant la prospérité au royaume.

Mais, avec la prospérité, la corruption, les injustices, l’abandon de Dieu et l'idolâtrie se développent ; le fossé entre les riches et les pauvres se creuse toujours davantage : les nantis vivent dans un luxe inouï, oppriment les plus pauvres, multiplient les injustices et les abus.

Et après la mort de Jéroboam II, la situation se dégrade. Ce sera la période la plus sombre de l'histoire d'Israël : des usurpateurs s'emparent du pouvoir, puis sont renversés à leur tour (4 successeurs de Jéroboam sont assassinés durant cette période) ; bref, c'est le règne du despotisme et de la confusion.

Le message d'Osée est principalement dirigé contre l'idolâtrie qui accompagnait la prospérité matérielle. Dès son entrée en Terre promise, Israël avait été confronté au culte de Baal, dieu de la pluie et de la fertilité. On subit les influences de l'idolâtrie. Le livre d'Osée témoigne d’un temps où la masse du peuple a adhéré au culte de Baal et d'Achéra, le plus immoral de tout l'ancien Orient : plusieurs fois par an, leurs fêtes étaient accompagnées de prostitution rituelle, violence et beuveries, etc.

Osée veut amener son peuple au repentir, le faire revenir au Dieu qui ne se lasse pas de l'aimer et de l'attendre. Comme lui, le prophète Osée, aime et attend Gomer.

Le livre commence donc par l'histoire du mariage et des malheurs conjugaux d'Osée : le texte nous dit que Dieu lui demande d'épouser une prostituée qui fatalement, quelque temps plus tard, lui devient infidèle. Non pas, probablement, que Dieu l’ait envoyé épouser une femme préalablement prostituée – qui plus est dans le but d’en faire sortir une prophétie ! Mais c’est rétrospectivement qu’Osée considère que ses déboires sont dans le regard de Dieu qui a évidemment prévu les choses. Et sachant que selon le Proverbe, c’est Dieu qui donne sa femme à chacun : « celui qui a trouvé une femme, c’est là un don de Dieu » ; Osée considère que la femme que Dieu lui a donnée, il la lui a donnée en sachant très bien l’aboutissement des choses : un Osée malheureux comme son Dieu. C’est une façon de nous dire que ce qu’Osée en est venu à découvrir à travers son vécu douloureux avec son épouse, correspond à ce que Dieu vit avec son peuple, qui se prostitue avec des divinités illusoires qui se font célébrer dans la prostitution dite sacrée, adultère à l’égard de Dieu.

Ainsi Osée peut s’identifier à lui, en quelque sorte, le comprendre. Quoiqu’il en soit de savoir si Gomer était déjà au moment du mariage ce qu'elle est devenue, Dieu connaissait ses dispositions profondes et il avait une intention prophétique : à travers cette histoire, il va parler à son peuple. C’est ainsi qu’Osée l’interprète.

Dieu n'avait-il pas, lui aussi, pris son peuple pour le combler de son amour, bien qu'il ait connu d'avance ses dispositions profondes et ce qui allait s'ensuivre ? Et le prophète de rappeler certaines choses : dès le désert du Sinaï, Israël a adoré le veau d'or (ch. 13 v. 2) ; puis entré en Terre promise, il a sacrifié à l’idole Baal (ch. 2. v 7s.), il a consulté les voyants (ch. 4 v. 12)... Tout cela équivaut à de l'adultère à l’égard de Dieu, à de la prostitution. Osée utilise cette image du mariage que bien des prophètes (Jer 2.2; 3.1-4; Isa 54.5; Eze 16.33) et des auteurs du Nouveau Testament (2 Co 11.2; Eph 5.23-32, etc.) reprendront pour décrire les relations de Dieu avec son peuple.

C’est de la sorte qu’à travers ses souffrances conjugales, Osée comprend celles de Dieu. Sa fidélité à l'épouse infidèle reflète la patience et l'amour de Dieu, inébranlable et fidèle. Le "prophète au cœur brisé" peut apporter le message — qui vaut à travers les siècles, jusqu’à nous — du Dieu dont le cœur est meurtri par les infidélités de son peuple. Reste cette promesse : Israël saura de nouveau quel est son Dieu et reviendra à lui.

C’est l’histoire du boulanger de Pagnol parlant à la chatte Pomponette pour lui expliquer le malheur du chat Pompon. Le boulanger qui parle en fait à sa femme, qui parle de sa femme. Osée parlant de son épouse parle en fait de Dieu.

Et Osée de souligner ainsi la sainteté de Dieu et son horreur pour le péché (2.4-5 ; 6.5; 9.9; 12.15, etc.), ainsi que son amour pour Israël (2.16-18, 22-25 ; 3.1; 11.1-4, 8-9; 14.5, 9 [4, 8], etc.). Le péché, en dernière analyse, est, sous sa plus terrible forme, une infidélité à l'amour. Il frappe Dieu au cœur.

La pensée essentielle du message d'Osée est alors la suivante : l'amour, puissant, inaltérable de Dieu pour le peuple, ne sera satisfait que lorsqu'il aura rétabli une parfaite harmonie entre le peuple et lui.


RP
10.12.12, CP Poitiers


dimanche 9 décembre 2012

Un baptême de conversion




Ésaïe 60 : 1-11 ; Psaume 126 ; Philippiens 1 : 4-11 ; Luc 3, 1-6

Luc 3, 1-6
1 L’an quinze du gouvernement de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d’Iturée et de Trachonitide, et Lysanias tétrarque d’Abilène,
2 sous le sacerdoce de Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean fils de Zacharie dans le désert.
3 Il vint dans toute la région du Jourdain, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés,
4 comme il est écrit au livre des oracles du prophète Ésaïe :
Une voix crie dans le désert :
Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
5 Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux seront redressés, les chemins rocailleux aplanis ;
6 et tous verront le salut de Dieu.

*

Jean proclamait un baptême de conversion. Il est une question que l’on se pose peu, à la lecture de cela, tellement il nous semble évident que l’on sait de quoi il s’agit. Et pourtant, si on s’y arrête — proclamer un baptême de conversion : qu’est que cela peut bien signifier ?

Il y avait une pratique baptismale dans le judaïsme du premier siècle, et qui existe toujours : c’est celle qui accompagne la conversion d’une famille au judaïsme. Lorsqu’une famille se convertit au judaïsme, tous ses membres sont baptisés : les hommes sont circoncis, et tous sont baptisés, hommes, femmes, enfants. Ceux qui naissent après cette conversion ne sont jamais baptisés : les garçons sont circoncis, et, estime-t-on, tous et toutes ont été baptisés lors du baptême collectif des parents, ou grands-parents, aïeuls, etc.

On trouve trace de cette pratique dans l’Église primitive, et notamment chez Paul écrivant aux Corinthiens que les enfants nés d’un parent croyant sont « saints ». La même idée, avec les mêmes termes, est derrière. L’appartenance à la communauté confère une participation à la sainteté du Dieu qui s’est allié avec elle. Ce qui est symbolisé, lors de l’entrée de la famille dans la communauté, par ce baptême communautaire. « Vos enfants sont saints », dit Paul aux Corinthiens, auxquels il dit aussi qu’il n’a pas voulu multiplier les baptêmes.

« Vos enfants sont saints ». Une conviction, qui si elle atteste la légitimité du baptême des enfants, est aussi fort proche du risque que souligne Jean prêchant un baptême de conversion au bord du Jourdain. Rappelons-nous qu’il récuse la prétention de ses auditeurs de se réclamer d’Abraham pour se dire ipso facto purs ou saints (v. 8) : « Produisez donc des fruits dignes de la repentance, et ne vous mettez pas à dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père ! Car je vous déclare que de ces pierres Dieu peut susciter des enfants à Abraham. »

Ayant dit tout cela, on situe mieux ce qu’il en est de ce baptême de conversion.

Conversion. C’est un mot que l’on peut traduire aussi par « repentir », ou, selon ce mot anglais devenu commun, « repentance ». Suivant le latin, le Moyen Âge disait « pénitence ». Autant de traductions approximatives de ce qui est littéralement « changement d’intelligence ». Jean prêchait un baptême de «changement d’intelligence», autrement dit « changement de compréhension ».

Le terme grec traduit le mot hébreu « retour » : retour à Dieu, dans le signe du retour de Babylone à Jérusalem, retour qui supposait la traversée du Jourdain — où Jean baptise. Retour donc de notre exil loin de Dieu — à Babylone. Si le retour géographique à déjà eu lieu, lors du retour d’exil, il reste à l’accomplir de façon spirituelle, à accomplir ce qu’il signifie : retour à Dieu.

À ce point, ayant vu la façon dont se comprenait le baptême — purification, au passage du paganisme — Babylone — à la sainteté de la communauté de l’Alliance — Jérusalem —, on comprend le sens de ce baptême de retour, de retour à Dieu, dans un changement d’intelligence, un changement de compréhension : vous pensez que le baptême est le rite qui vous a purifiés, ou plus précisément, qui a symbolisé votre purification ?

Quel que soit l’âge où le baptême vous a été administré, ce signe de votre venue à cette pureté qui est d’appartenir à la communauté d’Abraham (« vous rendez vos prosélytes pires que vous », dira de même Jésus) ; et ici cela nous concerne aussi, concernant la communauté ecclésiale — si vous pensez que le baptême vous a acquis une garantie… Si vous pensez cela, eh bien ! vous vous trompez vous-mêmes, dit Jean. Changez votre compréhension.

On n’est jamais assez bien purifié, même si on est le peuple avec lequel Dieu s’est allié.

Alors Jean va un peu plus loin avec son baptême de retour à Dieu, de conversion, ou repentance, changement d’intelligence en vue du pardon des péchés. Ce sont vos péchés qui vous éloignent de moi, dit Dieu. Vous qui prétendez être purs, qui l’avez symbolisé lors de votre entrée dans l’Alliance. Vous avez bel et bien besoin de confesser, de reconnaître que vous êtes impurs.

C’est le nouveau sens que prend le baptême avec la prédication de Jean. C’est pour cela que Jean sera tellement gêné à l’idée de baptiser Jésus. Et Jésus qui dit : « laisse faire » ! Non pas que Jésus soit pécheur à l’instar des autres ! Mais il se solidarise avec les autres, nous autres.

Mais du coup, aussi, on voit bien le sens du baptême de conversion, de repentance, de changement d’intelligence qui est celui de Jean, et c’est là que cela nous concerne tous. Si on veut comprendre le message de Jean, changer nos intelligences, vivre ce que Jésus y a vécu pour nous, il nous faut savoir que lorsque nous demandons le baptême pour nous ou pour nos enfants, nous sommes avant tout en train de dire que nous sommes des pécheurs, que nous reconnaissons que nous et nos enfants sommes des pécheurs — et de nous solidariser avec tous.

Depuis Jean, nous devons savoir que c’est cela que nous reconnaissons. Demander un baptême pour soi ou pour ses enfants, c’est dire, à moins de devoir encore écouter Jean et changer encore son intelligence —, c’est dire : je suis un pécheur, moi et les miens, comme tout le monde ; ou en d’autres termes, je n’ai rien, moi et les miens, de brillant, dont je puisse me prévaloir devant Dieu, comme tout le monde dont je suis ipso facto solidaire.

Alors évidemment — et ce n’est pas pour rien que cela se passe dans le désert —, pour Jean, dire cela, c’est « prêcher dans le désert » !

Et pourtant, il ne faut pas se faire d’illusions : la venue du salut de Dieu est à ce prix. Dieu ne sauve que des pécheurs. Et ici la tortuosité — vous savez : « rendez droits ses sentiers », dit Jean — la tortuosité ne consiste pas à se savoir tordu, mais à se prétendre droit.

Reconnaître être tordu est le premier pas pour être redressé. Se prétendre droit est le meilleur moyen de ne pas l’être, et de rester tordu. « Rendez droits ses sentiers ». Et comment la tortuosité est-elle redressée ? De la façon suivante : toute montagne, ou même colline — ou même taupinière, pourrait-on ajouter —, tout ce qui se prétend au-dessus des autres. Tout cela sera abaissé. Cela veut dire : humilité. Le salut de Dieu, c’est-à-dire la paix, est établi ainsi, et ne l’est pas autrement.

*

Alors, comment le salut de Dieu, qui naît avec la paix de Noël, qui naît tout petit avec l’enfant de la crèche — comment ce salut qui naît dans l’humilité peut-il venir sur la terre ?

Si l’Avent est l’attente du Christ, si l’attente du Christ consiste à aplanir ses sentiers, comme le prêche le Baptiste, qu’est-ce qu’il peut en être de notre attente du Christ ?

Jean proclame un baptême de changement d’intelligence pour préparer la venue du Seigneur, la venue de celui qui amène le salut de Dieu en venant tout petit à Noël. C’est ainsi que tous verront le salut de Dieu, et qu’il faudra donc bien vivre ensemble pour que règne sur la terre la paix de Noël.

Sinon, et si le souvenir de notre baptême n’est pas aussi le rappel de la nécessité de ce changement d’intelligence, de la reconnaissance concrète de ce que pécheurs, même à petite mesure, nous pouvons être des obstacles à la venue du salut de Dieu ; si nous n’avons pas changé notre compréhension des choses au point de reconnaître que tortueux, nous avons donc besoin d’être redressés, alors Noël risque de ne rester pour nous qu’une affaire tristement consumériste.

Mais nous le savons, Noël est aussi autre chose, et si nous l’avons compris, si notre intelligence se tourne vers l'humilité et entend la parole de Jean Baptiste, alors, Dieu peut être notre consolateur. N’ayons pas peur de venir à celui qui vient à nous comme un enfant pour nous donner sa paix, sans rien nous demander ; que, ravins ou montagnes, nous confessions être impuissants devant notre propre tortuosité. Alors le salut de Dieu s’est approché ; la paix de Noël, est là tout proche, offerte gratuitement.

Celui qui vient à Noël nous a précédés, si bien que se dévoile un tout autre niveau de cette conversion, de ce retour selon le sens premier, retour à Dieu. Il s’agit de se convertir à cette lumière, de se tourner vers la lumière qui précède tout ce qui n’en est que l’ombre…

Colossiens 1, 13-20 :
13 Il nous a arrachés au pouvoir des ténèbres et nous a transférés dans le royaume du Fils de son amour;
14 en lui nous sommes délivrés, nos péchés sont pardonnés.
15 Il est l’image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature,
16 car en lui tout a été créé, dans les cieux et sur la terre, […]
18 Il est le commencement, Premier-né d’entre les morts, afin de tenir en tout, lui, le premier rang.
19 Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude
20 et de tout réconcilier par lui et pour lui, et sur la terre et dans les cieux […].

C’est encore l’appel du prophète Ésaïe (60, 1-3) :

1 Mets-toi debout et deviens lumière, car elle arrive, ta lumière: la gloire du SEIGNEUR sur toi s’est levée.
2 Voici qu’en effet les ténèbres couvrent la terre et un brouillard, les cités, mais sur toi le SEIGNEUR va se lever et sa gloire, sur toi, est en vue.
3 Les nations vont marcher vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton lever.


R.P.
Poitiers, 9.12.12