dimanche 17 juin 2012

Voir l’invisible




Hébreux 11, 1 & 12, 1-2
11, 1 La foi est une ferme assurance des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas.

12, 1 Nous donc aussi, puisque nous sommes environnés d’une si grande nuée de témoins, rejetons tout fardeau et le péché qui nous enveloppe si facilement, et courons avec persévérance l’épreuve qui nous est proposée,
2 les yeux fixés sur Jésus, qui est l’auteur de la foi et qui la mène à la perfection. Au lieu de la joie qui lui était proposée, il a supporté la croix, méprisé la honte, et s’est assis à la droite du trône de Dieu.

Luc 9, 28-36
28 Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques et monta sur la montagne pour prier.
29 Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage changea et son vêtement devint d’une blancheur éclatante.
30 Et voici que deux hommes s’entretenaient avec lui ; c’étaient Moïse et Élie ;
31 apparus en gloire, ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem.
32 Pierre et ses compagnons étaient écrasés de sommeil ; mais, s’étant réveillés, ils virent la gloire de Jésus et les deux hommes qui se tenaient avec lui.
33 Or, comme ceux-ci se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : “Maître, il est bon que nous soyons ici; dressons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, une pour Élie.” Il ne savait pas ce qu’il disait.
34 Comme il parlait ainsi, survint une nuée qui les recouvrait. La crainte les saisit au moment où ils y pénétraient.
35 Et il y eut une voix venant de la nuée; elle disait : “Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu, écoutez-le !”
36 Au moment où la voix retentit, il n’y eut plus que Jésus seul. Les disciples gardèrent le silence et ils ne racontèrent à personne, en ce temps-là, rien de ce qu’ils avaient vu.

*

« Les yeux fixés sur Jésus ». Qu’est-ce à dire, sachant que « la foi est une ferme assurance des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas » ?

Cela nous enseigne beaucoup sur ce sens qu’est la vue, et qui renvoie au-delà de lui-même, au-delà de ce qu’on voit. C’est aussi ce que les arts de la vue répercutent pour nous. Car ce qu’il s’agit de voir, dans un tableau par exemple, mais ça vaut aussi pour la photo ou l’aspect visuel du cinéma, ce n’est pas ce qu’on voit, mais ce dont la vue nous donne le signe, et qui est au-delà de ce que l’on voit. Cela nous apprend à lire un portrait, qui dit un caractère, ou un paysage, qui dit, au-delà du tragique de la nature qui le fait advenir, la source de beauté qui le déborde infiniment — ce qu’essaie de dire l’abstraction —, comme elle déborde infiniment la couleur qui est donnée à nos yeux, à nos sens, à notre chair, qui devient l’interprète d’une lumière originelle qui précède toute couleur. Un signe alors que la couleur, signe — comme sacrement, « forme visible d’une réalité invisible » selon Augustin. Une parole donnée à nos yeux, à nos sens.

Les yeux fixés sur celui qu’on ne voit pas, voilà le résumé de la traversée du ch. 11 de l’Épître aux Hébreux… Celui qu’on ne voit pas, le Ressuscité et son Royaume ; qu’on ne voit pas, au moins depuis l’Ascension et la fin de ses apparitions. Pour ceux qui ont vu Jésus de sa naissance à sa mort, comme Siméon (Luc 2) dont les yeux ont vu en Jésus enfant le salut attendu, soit ! Encore qu’il fallait bien la lumière de l’Esprit saint pour reconnaître le Fils éternel de Dieu en un enfant semblable aux autres, puis en un homme semblable aux autres. Mais que dire nous concernant, nous qui n’avons pas frayé avec Jésus sur les routes de Galilée ou de Judée ?…

Et même pour ceux qui ont eu ce privilège, se pose la question de la foi, de cette œuvre de l’Esprit saint qui leur fait percevoir la présence de Dieu en cet homme. « Nul n’a jamais vu Dieu », souligne l’Évangile de Jean, qui précise : « Dieu Fils unique seul l’a fait connaître. » Alors, « les yeux fixés sur Jésus », qu’on ne voit pas, qu’est-ce à dire ?

Ou alors, serait-ce que contrairement à l’époque du Décalogue, on verrait désormais ? Avoir « fait connaître Dieu » l’aurait-il rendu visible ? Dieu dévoilé dans sa Gloire : est-ce ce que signifie la rencontre de Jésus ressuscité au dimanche de Pâques, ou au jour de la Transfiguration ?

Dieu serait-il devenu donc devenu comme visible, ou imaginable ? Pour que l’on ait, de la sorte, « les yeux fixés sur Jésus ». En effet, puisque, comme chrétiens, nous confessons avoir connu Dieu dans l’humanité du Christ, la gloire céleste du Fils de Dieu serait-elle donc devenue visible dans l’humanité visible du Christ ?

Ne serait-ce alors pas là la satisfaction notre tentation ? Voir Dieu. Déjà dans l’Exode, à Moïse : « fais-nous des dieux qui marchent devant nous » ! Cela ne correspond-il pas d’ailleurs à la tentation de Jésus lui-même : rendre Dieu visible en levant le voile de son humanité et en se montrant dans sa seule gloire céleste ? C’est bien le cœur de sa tentation au désert ! « Montre-toi comme tu es, Fils éternel de Dieu ! » Or, Jésus a résisté : quant à sa gloire, son ministère se déroulera dans le secret, dans l’anonymat.

La Transfiguration, comme un premier dimanche de Pâques est alors le moment où trois disciples reçoivent le privilège de voir lever un instant — pour leurs yeux ! — ce secret de la gloire cachée de celui qui demeure dans l’éternité auprès du Père. Secret qui ne sera pleinement levé pour la foi des croyants qu’au dimanche de Pâques, et universellement lors de la Parousie.

Mais que nous dit ce dévoilement d’un instant ? Il nous dit dès lors rien d’autre que cela : l’humanité, à laquelle Jésus n’a pas voulu renoncer, est au-delà de nos capacités de compréhension et a fortiori de vision. Et il serait mal venu, sous prétexte que Jésus a assumé une réelle humanité, et qu’il a refusé d’y renoncer, ou d’en lever pleinement le voile — de penser que du coup nous aurions prise sur lui ; que son humanité, en un mot, serait à la mesure de nos conceptions et de nos visions.

Au contraire, l’humanité de Jésus est l’humanité du Fils de Dieu, l’humanité en laquelle Dieu nous rencontre, l’humanité même de Dieu ! Sacrement qui fonde les autres, baptême et Cène, comme paroles visibles.

Une vision d’un instant, une parole visible d’un instant qui bouleverse notre humanité propre. « L’effroi avait saisi les disciples » dit le texte. Notre humanité propre, et celle de nos prochains, est comme cachée, au-delà de que nous en savons ou croyons en voir ou en savoir. « Votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » (Col 3, 3).

*

« Nous ne connaissons plus selon la chair », écrit Paul — à savoir : depuis la Résurrection, et a fortiori depuis la cessation des apparitions, des possibilités de vision du Ressuscité, cessation qui en soi est un enseignement.

La vérité du Christ, homme semblable à tous les êtres humains, est au-delà de ce que l’on peut en voir, de ce que ses disciples ont pu en voir. Semblable en son humanité à tous les êtres humains : du coup cela concerne chacun de nous et de nos prochains.

C’est aussi ce que nous disent les arts visuels : non pas imitation de la nature, reproduction de ce qui n’est pas reproductible, mais invitation à aller au-delà de ce que l’on y voit.

… Comme en écho de que nous disent les récits de la Transfiguration, lorsqu’ils nous dévoilent que ce Jésus que les disciples ont côtoyé n’est autre que le Fils éternel de Dieu fait homme. Au-delà de ce qu’ils ont vu ! Quant à lui, « écoutez-le », dit le texte. Écoutez-le aujourd’hui, précisera l’Épître de Pierre dans son récit de la transfiguration : aujourd’hui « nous avons la parole des prophètes qui est la solidité même » (2 P 1, 19). La Loi et les Prophètes.

*

Revenons donc à la Loi et aux Prophètes. Voilà ce dont se souviennent Pierre et les Évangiles. La Loi et les Prophètes, à savoir Moïse et Élie dans le récit de la Transfiguration selon les Évangiles.

Le récit de la Transfiguration est enraciné dans la mémoire du Sinaï (cf. Exode 24) : la montagne (Ex 24, 1 & 12-13), les six jours (Ex 24, 16), les trois personnes : Aaron, Nadav et Avihou (Ex 24, 1 & 9), la nuée et la voix (Ex 24, 15-17)… Derrière cette histoire, il y a le rappel du Sinaï où Moïse est médiateur de la Loi, la Torah. Et comme pour la Torah, ce qui est en bas renvoie à ce qui est en haut. Un tabernacle terrestre, ainsi le rappelle l’Épître aux Hébreux, signe d’un Tabernacle céleste contemplé par Moïse.

En bas : trois disciples. En haut, trois figures célestes : Jésus, Moïse et Élie. Moïse et Élie, « la Loi et les Prophètes ». Et entre les deux, le Fils de l’Homme qui est dans les cieux, en haut ; — et en bas, un projet de tabernacles, de tentes (selon que, Jn 1, 14, « il a “tabernaclé” parmi nous »).

Et au Sinaï qu’en est-il de ce qu’on voit ? — : une voix, une voix que le peuple voit : « vous avez vu la voix — les voix — de Dieu », est-il dit au peuple au Sinaï.

Et aussi, on peut le remarquer, la voix et la présence d’Élie orientent aussi vers l’attente du Messie à la fin des temps, selon le livre du Prophète Malachie. Les visions du Prophète Daniel sur la venue du Royaume. Plusieurs d’entre vous ne mourront pas avant d’avoir vu le Royaume disait Jésus juste avant la Transfiguration.

Alors, qu’ont-t-il retenu finalement, les trois disciples ? Pas grand chose de visualisable. Une Parole : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu, écoutez-le ! »… « Écoutez-le » : voilà ce qu’est « avoir les yeux fixés sur Jésus » — le voir !

Et quant à la vision proprement dite, le récit de l’épisode marque rien moins qu’un embarras : pour parler de la blancheur éclatante de la lumière, si le mot correspond, semble dire le texte, on n’a de comparaison que celle du teinturier. Ce jour-là c’était plus blanc encore, dit l’Évangile ! Que fait d’autre un peintre voulant rendre la clarté ? Ce qui ne renseigne pas beaucoup, sauf à comprendre qu’ici aussi, il s’agit d’aller au-delà de ce qui est accessible à nos sens, à notre vue…

Blancheur éclatante, lumière. Et voilà que pour fixer la lumière, comme si c’était possible, comme pour une impression photographique !, les disciples n’ont d’autre idée que de dresser des tentes — comme une chambre noire pour développement de l’impression ?! Mais après tout, pourquoi pas des tentes ? On peut imaginer qu’ils pensent aux tabernacles (même mot que tente) — tabernacles de la fête du même nom — référence à l’Exode (cf. aussi Jean 1, 14 cit. supra : « il a “tabernaclé” parmi nous »).

Mais la présence de Dieu ne se fixe pas. Il faudra redescendre de la Montagne. Où le texte fait apparaître que les disciples sont tout de même à côté de la plaque… photographique !

Et pour cause : ils sont de la terre. Ils se trouvent en présence de celui qui manifestement vient du ciel, qui provient de l’au-delà de toute lumière. Celui qui est au-delà des choses visibles du commencement jusqu’à la fin, et qui en ces jours est dévoilé en Jésus comme à leurs yeux.

*

Ce Jésus-là n’est autre que le Ressuscité. C’est ce qu’ont compris les disciples, plus tard. C’est bien le Ressuscité qui leur est apparu ce jour-là, avant même la crucifixion, celui qui demeure dans le sein du Père dans toute l’Éternité, celui en qui vient le Royaume ; qu’ils ont donc contemplé dans la Gloire avant même leur mort.

Et on a retenu la voix qui a retenti : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu, écoutez-le ! ». Écoutez ce que Dieu vous dit par lui. Déjà le Royaume est à l’intérieur de vous… Ne restez pas sur Mont de la Transfiguration. Allez suivre le Ressuscité là où il vous précède : « Écoutez bien ce que je vais vous dire : le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes. » — « Mais, poursuit le texte, ils ne comprenaient pas cette parole ; elle leur restait voilée ». Car il s’agit à présent, la vision ayant cessé, de vivre comme « comme voyant celui qui est invisible » (Hébreux 11:27)… « les yeux fixés sur Jésus », selon ce que l’on a entendu comme de nos yeux lors de la vision de la transfiguration : « écoutez-le », écoutez ce qu'il dit dans le témoignage des Apôtres transmis jusqu'à nous, attesté à nos sens, à notre vue, comme parole visible, don pour nous de la lumière invisible qui précède la lumière et ses signes, « forme visible de la grâce invisible », sacrements.

Alors nous sommes l’objet même de la prière de Jésus lui-même. Jean 17 : c’est pour eux que je prie — les Apôtres. Et aussi pour ceux qui, « sans avoir vu », auront cru par leur parole.

1 commentaire :

  1. Merci pour tous ces encouragements à aller de l'avant. Tu ns donnes ,sans compter ,les moyens de rester sur le Chemin.
    Que le Seigneur te bénisse et te garde ainsi que tte ta chère famille

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