dimanche 18 mars 2012

Lumière et ténèbres




2 Ch 36, 14-23 ; Ps 137 ; Éphésiens 2, 4-10 ; Jean 3, 14-21

Éphésiens 2, 4-10
4 […] Dieu est riche en miséricorde ; à cause du grand amour dont il nous a aimés,
5 alors que nous étions morts à cause de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ — c’est par grâce que vous êtes sauvés,
6 avec lui, il nous a ressuscités et fait asseoir dans les cieux, en Jésus Christ.
7 Ainsi, par sa bonté pour nous en Jésus Christ, il a voulu montrer dans les siècles à venir l’incomparable richesse de sa grâce.
8 C’est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu.
9 Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n’en tire orgueil.
10 Car c’est lui qui nous a faits ; nous avons été créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance afin que nous nous y engagions.

Jean 3, 14-21
14 Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l’homme soit élevé
15 afin que quiconque croit ait, en lui, la vie éternelle.
16 Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle.
17 Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
18 Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
19 Et le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré l’obscurité à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises.
20 En effet, quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de crainte que ses œuvres ne soient démasquées.
21 Celui qui fait la vérité vient à la lumière pour que ses œuvres soient manifestées, elles qui ont été accomplies en Dieu."

*

Un monde dans les ténèbres. (Souvenons-nous que ce passage s’inscrit dans le dialogue nocturne de Nicodème avec Jésus — et Nicodème pouvait-il venir autrement que de nuit, puisqu’il n’y a rien d’autre que la nuit ?) Un monde qui a perdu la mémoire de la lumière originelle.

Puis vient la manifestation de la lumière dans le Christ élevé comme le serpent. Dévoilé dans son élévation dans la lumière comme le Fils de l’Homme qui est dans les cieux, descendu du ciel où nul n’est monté, sinon celui qui en est descendu pour apporter la lumière, lui. Élévation, la croix est la sortie des ténèbres.

Le don de Dieu est la plongée de son Fils dans les ténèbres, où, par amour pour ce monde enténébré, il prend la sombre figure du serpent ; ténèbres d’où il sortira par son élévation, la croix. Pour en faire sortir le monde avec lui ; ce monde qui ne peut pas en sortir par lui-même.

Le salut du monde est alors la sortie des ténèbres par la grâce, via la confiance, la foi, en ce qu’est le Fils : celui qui vient d’en Haut. Une naissance d’en Haut.

Il n’est pas besoin d’autre jugement que celui qui a déjà eu lieu : être dans les ténèbres, puis y rester pour n’être né qu’une fois, n’être né qu’à ces ténèbres. Mais dans le Christ élevé de la terre, le jugement, en quelque sorte, s’inverse, devient délivrance par la venue à la lumière, la naissance à la lumière pour la manifestation des œuvres de Dieu, accomplies en Dieu (cf. Ép 2, 10).

« C’est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi ; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu » (Ép 2, 8). C’est au fond tout l’Évangile qui est dit en ces deux points : « sauvés par la grâce, par le moyen de la foi ».

Le ch. 3 de l’Évangile de Jean développe dans un dialogue imagé de Jésus avec un homme à la piété exemplaire, Nicodème, ces deux volets de l’Évangile.

Le premier volet, la question de la grâce, est donné dans l’image de la nouvelle naissance qui précède le passage que nous venons de lire. Avec pour chute le v. 8 : « Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » En bref, la naissance d’en Haut, c’est comme la naissance tout court : on n’y peut rien. Le souffle de Dieu, dont on ne connaît pas les voies, en est la source.

Puis, second volet, notre texte d’aujourd’hui : la foi, que suscite la grâce et qui en reçoit le don. À peu près autant mystérieux, avec ce passage au jour toutefois : la grâce, on n’en conçoit rien, la foi on en est conscient : on sait que l’on croit. À part cela, donc, on ne peut pas en dire grand-chose — si ce n’est qu’elle nous prive de la maîtrise du salut.

Et Jésus illustre cela par l’évocation de l’épisode du serpent d’airain, ce serpent que Moïse avait fait forger pour que quiconque le regarde après avoir été mordu par les serpents, fût guéri.

Il en est de même de la crucifixion du Christ : une élévation sur une perche similaire à l’élévation sur une perche du serpent d’airain de Moïse de sorte que quiconque lève son regard vers lui, croit en lui, ait la vie éternelle, soit sauvé d’une mort aussi certaine que celle qui suit la morsure d’un serpent venimeux.

Mais quiconque croit en lui, le pendu élevé de la terre, a la vie éternelle de la même façon que quiconque regardait le serpent de Moïse était guéri des morsures des serpents venimeux. Rien à comprendre, à croire seulement. Et nous voilà à notre verset que la Déclaration de foi de l’Église Réformée de France reconnaît comme « la révélation centrale de l’Évangile » : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle ».

Tout est dit dans ces quelques mots — mais qu’est-ce qui est dit, en l’occurrence ? Les quelques versets qui suivent nous éclairent quelque peu, si c’est possible. Il est question d’extraction des ténèbres vers la lumière. Et c’est certainement là l’image — j’allais dire la plus lumineuse, qui nous soit proposée du salut dont il est question.

Car le verset 16 pourrait aussi nous plonger dans la perplexité. Les prédicateurs qui se sont penchés sur ce texte depuis des siècles ont remarqué la difficulté suivante : « Dieu a aimé le monde ». Selon l’usage que fait l’Évangile de Jean du mot « monde » il pourrait y avoir là quelque chose de contradictoire.

Voilà qui peut nous mettre la puce à l’oreille : contradictoire : si c’était donc la clef ? Dans l’Évangile de Jean, « le monde » — cosmos — est une notion le plus souvent négative. C’est ce qui est illusoire, vain, superficiel. Un faux arrangement pour lequel Jésus ne prie pas lorsqu’il remet les siens à Dieu dans son discours d’adieu (Jean 14-17).

Et voilà que Dieu l’a tellement aimé, le monde, « qu’il a donné son Fils unique » ! — « pour que le monde soit sauvé par lui ». Il l’a donc chéri infiniment, il lui a été infiniment cher, le monde. Et cet amour, ce « chérissement » du monde est pour son extraction vers la lumière.

Où l’on retrouve et la Genèse et son… commentaire par le Prologue de ce même Évangile de Jean. Où le monde advient comme création de Dieu dans la lumière de Dieu qui le fait sortir du chaos et des ténèbres.

Quel est donc l’acte de foi qui reçoit la grâce de Dieu donnée en plénitude dans le signe du don de son Fils ? C’est tout simplement le regard qui du cœur des ténèbres, du chaos, du péché et de la culpabilité, de la souffrance, bref : de l’exil loin de Dieu — se tourne vers la lumière sans crainte, comme les pères au désert mordus par les serpents se tournaient vers le serpent d’airain dressé dans la lumière.

Tel est l’acte de foi en la lumière. Au-delà de toute crainte qui préfèrerait rester plongée dans les ténèbres et le chaos, les œuvres mauvaises déjà absorbées par la mort — se tourner sans crainte vers celui de qui rayonne la lumière éternelle par lequel le monde vient à son salut, vers celui qui, pendu au bois, élevé de la terre la fait resplendir en plénitude, en vie éternelle. La foi seule. La plénitude de la grâce y est donnée.

R.P.
Antibes 18.03.12


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