dimanche 22 janvier 2012

«Laissant leurs filets ils le suivirent»




Jonas 3 ; Psaume 25 ; 1 Corinthiens 7, 29-31

Jonas 3
1 La parole de l’Eternel fut adressée à Jonas une seconde fois, en ces mots:
2 Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et proclames-y la publication que je t’ordonne !
3 Et Jonas se leva, et alla à Ninive, selon la parole de l’Eternel. Or Ninive était une très grande ville, de trois jours de marche.
4 Jonas fit d’abord dans la ville une journée de marche ; il criait et disait : Encore quarante jours, et Ninive est détruite !
5 Les gens de Ninive crurent à Dieu, ils publièrent un jeûne, et se revêtirent de sacs, depuis les plus grands jusqu’aux plus petits.
6 La chose parvint au roi de Ninive ; il se leva de son trône, ôta son manteau, se couvrit d’un sac, et s’assit sur la cendre.
7 Et il fit faire dans Ninive cette publication, par ordre du roi et de ses grands ; Que les hommes et les bêtes, les bœufs et les brebis, ne goûtent de rien, ne paissent point, et ne boivent point d’eau !
8 Que les hommes et les bêtes soient couverts de sacs, qu’ils crient à Dieu avec force, et qu’ils reviennent tous de leur mauvaise voie et des actes de violence dont leurs mains sont coupables !
9 Qui sait si Dieu ne reviendra pas et ne se repentira pas, et s’il ne renoncera pas à son ardente colère, en sorte que nous ne périssions point ?
10 Dieu vit qu’ils agissaient ainsi et qu’ils revenaient de leur mauvaise voie. Alors Dieu se repentit du mal qu’il avait résolu de leur faire, et il ne le fit pas.

Marc 1, 14-20
14 Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait l’Évangile de Dieu et disait :
15 "Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Évangile."
16 Comme il passait le long de la mer de Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon, en train de jeter le filet dans la mer : c’étaient des pêcheurs.
17 Jésus leur dit : "Venez à ma suite, et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes."
18 Laissant aussitôt leurs filets, ils le suivirent.
19 Avançant un peu, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, qui étaient dans leur barque en train d’arranger leurs filets.
20 Aussitôt, il les appela. Et laissant dans la barque leur père Zébédée avec les ouvriers, ils partirent à sa suite.

*

« Le temps est accompli », proclame Jésus dès le début de son ministère. Quel est le temps qui est accompli ? Qu’est-ce que cela signifie ? « Le Règne de Dieu s’est approché ». Nous voilà au bout d’une longue marche : « le temps est accompli ». Une longue marche, commencée au début de la Création, comme projet de Dieu, et pour nous humains, un projet à accompagner, à développer — car c’est nous que Dieu envoie pour dire son salut au monde, ce qui comme pour Jonas, ne nous enchante pas toujours. Un projet de sortie des ténèbres vers la lumière de la gloire de la Cité future — comme un pèlerinage.

*

« Après que Jean eut été livré », dit le texte : l'arrestation brutale de Jean le Baptiste par la police d'Hérode vient de mettre fin à la mission du Précurseur. Marc emploie (dans le texte grec) le mot « livré » qu'il reprendra plusieurs fois par la suite au sujet de Jésus (« le Fils de l'Homme va être livré aux mains des hommes » — 9, 31), puis des apôtres (« on vous livrera aux tribunaux » - 13, 9). Manière de nous dire déjà : le sort du Baptiste préfigure celui de Jésus puis de ses disciples : c'est le lot des prophètes, comme l’écrivait déjà Ésaïe (Es 50-53). « Ils diront faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi », dira de même Jésus en Matthieu (5, 11), dans les Béatitudes.

C’est le coût de la conversion, pourtant indispensable, et de ce qui l’accompagne, devenir pêcheurs d’hommes, pour amener le monde à sa plénitude — « le temps est accompli ».

*

Eh bien, c’est maintenant, toujours à nouveau, que « le temps est accompli », et que « le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Évangile. » Aujourd’hui, aujourd’hui précisément. Le Royaume s’est approché. « Le temps se fait court. La figure de ce monde passe » dira Paul aux Corinthiens (1 Co 7, 29 & 31).

C’est bien ce qu’ont entendu les premiers disciples. Simon et André : « laissant aussitôt leurs filets, ils le suivirent ». Puis Jacques et Jean : « il les appela. Et laissant la barque de leur père, ils partirent à sa suite »… C’est en ces termes que la vocation adressée aux premiers disciples nous est adressée à notre tour : « le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »

Entendrons-nous cet appel, aujourd’hui — ou resterons nous chacun dans notre barque et à nos filets ? « Laissant aussitôt leurs filets, ils le suivirent. » — « Laissant la barque de leur père, ils partirent à sa suite »…

« Pêcheurs d’hommes » — qu’est-ce à dire ? Une transposition évidemment de leur métier à ce qu’ils feront désormais. Lancer la parole de l’Évangile : c’est leur vocation, témoins d’une parole qui agit d’elle-même, telle une graine qui germe selon les images du travail du semeur ; et, selon l’image de la pêche, parole qui emporte l’adhésion de cœur, qui captive d’une façon mystérieuse ceux qui l’entendent vraiment, mystérieusement.

R.P.
Vence, 22.01.2012


dimanche 15 janvier 2012

Passages de relais




1 Samuel 3, 3-16 ; Psaume 40 ; 1 Corinthiens 15, 15-20 ; Jean 1, 35-42

1 Samuel 3, 3-10
3 La lampe de Dieu n’était pas encore éteinte, et Samuel était couché dans le temple de l’Eternel, où était l’arche de Dieu.
4 Alors l’Eternel appela Samuel. Il répondit : Me voici !
5 Et il courut vers Eli, et dit : Me voici, car tu m’as appelé. Eli répondit : Je n’ai point appelé ; retourne te coucher. Et il alla se coucher.
6 L’Eternel appela de nouveau Samuel. Et Samuel se leva, alla vers Eli, et dit : Me voici, car tu m’as appelé. Eli répondit : Je n’ai point appelé, mon fils, retourne te coucher.
7 Samuel ne connaissait pas encore l’Eternel, et la parole de l’Eternel ne lui avait pas encore été révélée.
8 L’Eternel appela de nouveau Samuel, pour la troisième fois. Et Samuel se leva, alla vers Eli, et dit : Me voici, car tu m’as appelé. Eli comprit que c’était l’Eternel qui appelait l’enfant,
9 et il dit à Samuel : Va, couche-toi ; et si l’on t’appelle, tu diras : Parle, Eternel, car ton serviteur écoute. Et Samuel alla se coucher à sa place.
10 L’Eternel vint et se présenta, et il appela comme les autres fois : Samuel, Samuel ! Et Samuel répondit : Parle, car ton serviteur écoute.

Jean 1, 35-42
35 Le lendemain, Jean se trouvait de nouveau au même endroit avec deux de ses disciples.
36 Fixant son regard sur Jésus qui marchait, il dit : “Voici l’agneau de Dieu.”
37 Les deux disciples, l’entendant parler ainsi, suivirent Jésus.
38 Jésus se retourna et, voyant qu’ils s’étaient mis à le suivre, il leur dit : “Que cherchez-vous ?” Ils répondirent : “Rabbi-ce qui signifie Maître-,où demeures-tu ?”
39 Il leur dit : “Venez et vous verrez.” Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait et ils demeurèrent auprès de lui, ce jour-là ; c’était environ la dixième heure.
40 André, le frère de Simon-Pierre, était l’un de ces deux qui avaient écouté Jean et suivi Jésus.
41 Il va trouver, avant tout autre, son propre frère Simon et lui dit : “Nous avons trouvé le Messie !” – ce qui signifie le Christ.
42 Il l’amena à Jésus. Fixant son regard sur lui, Jésus dit : “Tu es Simon, le fils de Jean ; tu seras appelé Céphas” – ce qui veut dire Pierre.

*

Éli à Samuel (1 Sam 3, 3-16), Jean à Jésus, plus tard Jésus aux Douze (Jn 16, 7), les Douze aux diacres (Ac 6), etc. Chaque fois un passage de relais, chaque fois un moment fixé. Ce que le grec appelle kaïros, une « fenêtre de tir » en termes actuels.

1) Jean sait qu’il va être persécuté : Hérode, qu’il a mis en cause, n’en restera pas là. Pour Jean c’est le temps de ce passage de relais, qu’il accepte déjà malgré ses doutes — « es-tu celui qui doit venir ? » demandera-t-il encore à Jésus, alors qu’il est emprisonné et bientôt exécuté. Quoiqu’il en soit alors, il sait que le moment est là. Il envoie ses disciples à celui qui va mourir aussi, mais plus tard, d’une mort porteuse d’un tout autre sens — l’Agneau de Dieu. Pour ses disciples, c’est un changement — comme un changement de demeure : « où demeures-tu ? » demandent-ils à Jésus — « Venez et vous verrez. »

« Vous verrez »… quoi ? De la souffrance — « l’Agneau de Dieu » (v. 36) — de la souffrance avant la gloire. Et, avant la gloire : … du visible ! — un homme qui marche (v. 36) — qui marche à la croix : « voici l’Agneau de Dieu »

« L’Agneau de Dieu ». L’Agneau vainqueur du combat de la fin des temps, sans doute, dans la prédication de Jean. Mais aussi la victime sacrificielle ! — à laquelle renvoie l’évocation de l’agneau à travers plusieurs épisodes bibliques. Parmi lesquels :

- Isaac, le fils d’Abraham, qui pose à son père la question « mais où est donc l’agneau pour l’holocauste ? », Abraham répond : « C’est Dieu qui pourvoira à l’agneau pour l’holocauste ».

- Puis l’agneau évoque, bien sûr, le rite de la Pâque, qui chaque année, rappelle au peuple que Dieu l’a libéré. La nuit de la sortie d’Égypte, on sait que Moïse avait fait pratiquer par le peuple le rite traditionnel de l’agneau égorgé : désormais, chaque année, cela vous rappellera que Dieu est passé parmi vous pour vous libérer. Le sang de l’agneau signe votre libération.

- L’agneau évoque aussi Moïse d’une autre façon. Les commentaires juifs de l’Exode comparent Moïse à un agneau : ils imaginent une balance : sur l’un des deux plateaux, toutes les forces de l’Égypte rassemblées : Pharaon, ses chars, ses armées, ses chevaux, ses cavaliers. Sur l’autre plateau, Moïse représenté sous la forme d’un petit agneau. Eh bien, face à la puissance des Pharaons, ce sont la faiblesse et l’innocence qui l’ont emporté…

- Et aussi, le mot « agneau » fait penser, bien sûr, au serviteur de Dieu du Livre d’Ésaïe, comparé à un agneau : « Brutalisé, il s’humilie ; il n’ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l’abattoir, comme une brebis devant ceux qui la tondent : elle est muette ; lui n’ouvre pas la bouche » (Es 53, 7). Le serviteur du livre d’Ésaïe subit donc la persécution — mais il est ensuite exalté : « Voici que mon serviteur triomphera, il sera haut placé, élevé, exalté à l’extrême » (Es 53, 13).

Voilà quoiqu’il en soit, à ce terme d’agneau, l’évocation d’images d’abord cruelles ! Mais comme pour Moïse face à Pharaon, comme pour le serviteur du livre d’Ésaie broyé par la persécution, c’est pour un triomphe de la faiblesse sur la force.

*

2) Car le passage de relais de Jean à Jésus est celui qui conduit l’Agneau à la croix, pour un second passage de relais : de la croix aux disciples — Jean 16, 7 : « il est préférable pour vous que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le Consolateur ne viendra pas vers vous ; mais, si je m’en vais, je vous l’enverrai. » Jésus sait : c’est pour maintenant. Un signe : la venue de Grecs qui veulent le voir (Jean 12) : le moment est là, dit-il à ses disciples, et c’est effectivement pour quelques jours après, en pleine fête de Pâques : ils ne le verront plus.

Où l’on retrouve la question de la demeure : beaucoup de demeures… Celui qui demeure en moi, je demeurerai en lui… Œuvre du Consolateur promis par Jésus. Consolateur. Jésus console ses disciples — déjà de ce qu’ils vont voir bientôt : la violence qui déferle contre leur maître, à qui on demande tout et son contraire, il s’agit de le piéger — au point qu’il cesse de se défendre, et subit jusqu’à la croix : l’Agneau de Dieu annoncé par le Baptiste.

Aux disciples aussi sera donné un traitement indigne : Jésus les envoie porter la parole de la vie. On leur en voudra pour cela !

On cherchera à les détourner de faire cela seul pour quoi ils sont envoyés : donner la parole de Dieu. Entre ceux qui la supportent mal et ceux qui succombent à l’impatience et qui reprochent aux disciples le fait que la parole est de l’ordre de la semence et qu’elle ne germe pas sitôt semée, les disciples auront fort à faire, fort à endurer.

Tâche ingrate que d’être envoyé prêcher… sachant qu’il est de la nature de cette tâche de ne pas en voir le fruit. « Je vous enverrai un autre Consolateur », promet Jésus. Agneau de Dieu, je l’ai vécu.

*

3) Des disciples aux diacres. Actes 6, 1-4 : « En ce temps-là, le nombre des disciples augmentant, les Hellénistes [les Grecs] murmurèrent contre les Hébreux, parce que leurs veuves étaient négligées dans la distribution qui se faisait chaque jour. Les Douze convoquèrent la multitude des disciples, et dirent : Il n’est pas convenable que nous laissions la parole de Dieu pour servir aux tables. C’est pourquoi, frères, choisissez parmi vous sept hommes, de qui l’on rende un bon témoignage, qui soient pleins d’Esprit-Saint et de sagesse, et que nous chargerons de cet emploi. Et nous, nous continuerons à nous appliquer à la prière et au ministère de la parole. »

Jésus avait confié aux Douze la tâche prêcher, de donner la parole de Dieu. Attachés à ce ministère, les Apôtres ne voient pas spontanément certaines réalités, certaines souffrances : les veuves des Hellénistes sont en difficulté. Ce sont les Hellénistes, les Grecs, qui attirent l'attention des Douze. « Les [Grecs] murmurèrent contre les Hébreux parce que leurs veuves étaient négligées dans la distribution qui se faisait chaque jour. »

Alors les Apôtres vont faire comme leur maître, et comme avant lui Jean le Baptiste : le moment est là ; ils vont passer le relais. « Les Douze convoquèrent la multitude des disciples, et dirent : Il n’est pas convenable que nous laissions la parole de Dieu pour servir aux tables. » Tâche confiée à ceux qui se sont plaints — enfin à sept de leur communauté qu’ils doivent choisir eux-mêmes — les Apôtres font cela à la suite de ce qu’avait dit Jésus : « donnez leur vous-même à manger » — Jésus bénissant le pain.

La tâche des Douze, l’annonce de la parole de Dieu, n’est pas la tâche qu’ils vont confier à d’autres en instituant les diacres. Celle-ci n’est pas la leur, sans quoi tout serait gâché : l’Eglise du Christ, perdant ce qui la fonde, la Parole divine, se dissoudrait en Ong !

Mais ce que les circonstances exigent n’est pas pour autant du facultatif : un des fruits de la parole des Douze est précisément ce que les circonstances leur demandent, qui vont les amener à ce passage de relais à des diacres. Le moment est là, il était inattendu. Ce n’en est pas moins le moment précis, le moment opportun.

Un passage de relais, qui comme celui de Jean à Jésus et celui de Jésus aux Douze, semble avoir tout l’air d’un abandon :

« Il vous est avantageux que je m’en aille, que je ne reste pas avec vous, sans quoi rien ne se fera, ni ce que vous aurez à faire et que vous seriez tenté de me voir faire à votre place ; ni ce que j’ai à faire, qui est autre chose » — Jean l’a annoncé : « Celui-ci est l’Agneau de Dieu. » — Pour vous : « vous verrez où je demeure » : au sein du Père qui envoie votre Consolateur, celui qui est votre force quand la parole que vous semez n’a pas encore germé, au jour où on vous le reproche jusqu’à vous persécuter à votre tour pour cela. Qu’il n’en soit pas ainsi dans l’Église. Il y est question de moments fixés et de passages de relais.

Pour les diacres, l’animation solidaire qui suit ce nouveau passage de relais, fruit de la parole des Apôtres, est leur tâche, pas celle des Apôtres, pas celle des envoyés de la parole. Chacun son appel. Des envoyés de la parole, les Douze, passant le relais aux diacres, on est porté à leur demander ce qui serait aujourd’hui l’équivalent d’un BAFA ou une qualification d’assistante sociale, choses très honorables. Mais qui ne sont pas de celles de leur envoi.

C’est pourquoi ils passent, dans ce domaine, le relais, sans quoi non seulement la parole ne serait plus annoncée comme elle doit l’être, mais la tâche diaconale, fruit de la parole annoncée, serait accomplie d’une façon inadéquate par ceux dont ce n’est pas l’envoi. Paul le soulignera à l’envi : j’ai été envoyé pour prêcher, et prêcher la croix — pas même pour baptiser ! Dire la parole de Dieu sans en voir le fruit : un temps pour semer, un temps pour moissonner. Tel sème, rappelle Paul, tel autre arrose, tel autre recueille. Dieu fait croître. Pour les Douze, un des fruits de leur parole est un manque, un besoin : la parole, ayant atteint les Hellénistes, a suscité des besoins.

Besoins qui impliquent un nouveau passage de relais, à un moment précis. Vers le ministère diaconal, un moment de la fructification de la parole, pour une autre tâche, qui est confiée à toutes celles et tous ceux qui s’y engagent. Et l’histoire des passages de relais ne s’arrêtera pas là… Que dire aujourd’hui, avec la chute du « triple A » pour notre pays et ses conséquences sociales. Moment opportun pour notre journée de l’entraide, entraide cruciale dans la mission de l'Eglise, et pour laquelle le texte de ce jour porte un appel.

Le ministère de Jésus est déjà un passage de relais à un moment précis : « Fixant son regard sur Jésus qui marchait, Jean dit : “Voici l’agneau de Dieu.” »

RP,
Antibes, 15.01.12


dimanche 8 janvier 2012

Un roi et des Mages




Ésaïe 60, 1-6 ; Psaume 72 ; Éphésiens 3, 2-6 ; Matthieu 2, 1-12

Ésaïe 60, 1-6
1 Mets-toi debout et deviens lumière, car elle arrive, ta lumière: la gloire du SEIGNEUR sur toi s’est levée.
2 Voici qu’en effet les ténèbres couvrent la terre et un brouillard, les cités, mais sur toi le SEIGNEUR va se lever et sa gloire, sur toi, est en vue.
3 Les nations vont marcher vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton lever.
4 Porte tes regards sur les alentours et vois : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi, tes fils vont arriver du lointain, et tes filles sont tenues solidement sur la hanche.
5 Alors tu verras, tu seras rayonnante, ton cœur frémira et se dilatera, car vers toi sera détournée l’opulence des mers, la fortune des nations viendra jusqu’à toi.
6 Un afflux de chameaux te couvrira, de tout jeunes chameaux de Madiân et d’Eifa ; tous les gens de Saba viendront, ils apporteront de l’or et de l’encens, et se feront les messagers des louanges du SEIGNEUR.

Matthieu 2, 1-12
1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent: "Où est le roi des Judéens qui vient de naître? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus lui rendre hommage."
3 A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître.
5 "A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète :
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple."
7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque à laquelle l'astre apparaissait,
8 et les envoya à Bethléem en disant: "Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant; et, quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille lui rendre hommage."
9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant.
10 A la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.

*

Selon notre texte les Mages cherchent un roi des Judéens — non pas un « roi des juifs » comme le laissent penser les traductions, mais un roi des Judéens : on n’est pas roi d’une religion ! — à nouveau cette précision indispensable : Hérode règne sur la Judée, pas sur la diaspora, à laquelle correspond alors largement notre vocable de « juifs », de même qu’il ne règne pas sur la Galilée et autres régions, juives mais pas judéennes !

On vient donc en Judée rencontrer un roi des Judéens ! Et on vient bien sûr au palais royal, celui d’Hérode, qui est loin de régner sur les « juifs » ! Il est reconnu, bien sûr, mais du bout des lèvres. Placé là par les Romains, fustigé par la plupart des mouvements, lui et toute sa dynastie, fustigée par Jean le Baptiste et les disciples de Jésus comme par les pharisiens, Hérode se sait impopulaire, et comme tel, est tyrannique.

Il a beau avoir embelli le Temple, joué les grands monarques, il n’en est pas aimé pour autant, et il le sait.

On a beau aimer le magnifique palais de Versailles, cela n’a jamais fait de Louis XIV autre chose que ce qu’il a été, signataire la même année — 1685 — de la révocation de l’Édit de Nantes et du Code noir. Hérode ressemble un peu à cela. C’est ainsi que le massacre des Innocents qui comme on sait suit notre épisode des Mages, a largement de quoi relever des possibilités historiques ! Hérode a perpétré plusieurs massacres des Innocents.

Bref, Hérode, roi des Judéens, n’est pas aimé des juifs, et il le sait. Et il est sans doute mal vu de la plupart des juifs du monde entier. Car le judaïsme est déjà une réalité internationale, depuis l’exil à Babylone.

Le judaïsme connaît un rayonnement qui influence les autres religions du monde antique, dont celle des Mages, tribu sacerdotale en Perse, des prêtres mazdéens. Et lorsque selon leur croyance et observations des astres, ils ont investigué la naissance d’un roi des judéens, ils se sont mis en route, non pas comme rois, mais comme prêtres, annonçant cependant l’hommage de rois futurs, selon le prophète Ésaïe, le Psaume 72, etc.

L’idée a beau sembler étrange, elle n’a elle non plus rien d’invraisemblable, en ce sens que, oui, le rayonnement du judaïsme s’étend alors jusqu’en Perse. Oui, l’espérance de délivrance que portent les prophètes d’Israël habite d’autres peuples et ils y croisent volontiers leurs diverses prophéties — comme ici la naissance, annoncée selon les livres zoroastriens qui sont les leurs par une étoile, de leur « Soshiant », sauveur de fin des temps.

*

Hérode, lui, sait bien que ce n’est pas lui qui est porteur de l’espérance messianique en Israël. Il sait en tout cas qu’il n’en est pas porteur auprès de son peuple.

Alors la venue d’une délégation de prêtres étrangers cherchant un roi des Judéens est pour lui mauvais signe. Surtout quand les théologiens juifs de sa cour lui confirment la vocation de Bethléem, ville de David, comme ville messianique qui soulève l’espoir jusqu’en ce lointain Orient. Non, ce n’est pas chez lui qu’est né ce futur libérateur !

Ce que vont découvrir les Mages, c’est un enfant humble. Rien à voir avec le puissant Hérode au service de l’ordre romain.

*

Les Mages sont donnés comme une avant-garde de ce qui est avéré depuis : c’est dans l’humilité de l’enfant de Noël qu’est la promesse de la délivrance que les rois reconnaîtront un jour.

Le texte est lourd d’une puissance prophétique… trop bouleversante sans doute pour qu’on sache en voir toute la portée !

Voilà huit jours que le nouvel an était célébré. Comme chaque année, on nous montrait au journal télévisé le passage dans l’année nouvelle, depuis l’Australie à l’extrême Est, jusqu’à l’autre bout du monde, en passant par la Chine, le monde arabe, etc.

Qu’est ce qui marque ce passage ? La date symbolique de la naissance de l’enfant qu’ont reconnu les Mages. Ou, pour être précis, la date symbolique de sa circoncision.

Et c’est même l’Empire romain, dont Hérode est garant de son ordre, qui le premier verra cette date marquer son temps, avant de devenir repère de datation universelle : la circoncision de cet enfant.

« Les voies du Seigneur sont impénétrables », comme le dit la Bible. Et ce texte relatant la venue de Mages auprès de l’enfant est d’une portée prophétique inouïe pour quiconque a des yeux pour voir.

*

Mais la prophétie n’est pas encore à son terme. Aujourd’hui encore, alors que l’on a vu que l’humilité de l’enfant renversait les puissants de leur trône… Ou qu’on l’a entrevu : ce n’est pas la naissance d’Hérode qui marque nos années, ce n’est pas non plus la naissance de César Auguste. C’est celle de cet enfant inconnu qu’ont, les premiers, reconnu ces prêtres mazdéens venus lui rendre hommage. Et pourtant aujourd’hui encore, on n’a pas compris ! Aujourd’hui encore, on adore les puissants et les symboles de la puissance.

Les Mages, par leurs cadeaux d’hommage, ont reconnu la royauté de l’enfant : l’hommage de l’or. Les voilà bientôt élevés eux-mêmes par là à un statut royal — celui de rois-mages — qui n’est d’abord pas celui de ces prêtres. Ces prêtres qui lui ont fait aussi l’hommage de leur dignité sacerdotale : le symbole de l’encens.

Et ils nous ont dit que la reconnaissance de sa dignité éternelle ne serait ni aisée, ni sans que l’histoire future, à commencer par la sienne, ne soit chargée de douleurs : la myrrhe, produit d’embaumement des princes royaux pour les sarcophages.

Trois cadeaux qui seront bientôt aussi le décompte du nombre des Mages, selon les trois continents connus dans l’Antiquité, dont ils deviennent ainsi les représentants : l’Afrique, l’Asie, l’Europe.

Aujourd’hui, nous marquons nos années à la venue de ce prince royal. Aujourd’hui des temples, nos églises, lui sont dédiés sur toute la face de la terre, hommage à sa dignité sacerdotale. Et aujourd’hui encore, le royaume de paix et de bonheur dont il est porteur est embaumé comme en un sarcophage.

Alors que les Mages nous ont dit que le prince de la paix était cet enfant humble, loin de la richesse des palais royaux, des Hérode et des César Auguste, aujourd’hui quand même, alors qu’on date nos années de la venue de cet enfant, on court encore après la richesse des palais royaux et de richesses que les Mages ont laissés au pieds de l’enfant.

De palais royaux en magasins ouverts sept jours sur sept en ces temps de fête, fête de la consommation, à la poursuite d’un bien-être illusoire : celui au nom duquel (sans trop le savoir) on célèbre frénétiquement les fêtes du tournant de l’année (2012 après Jésus-Christ) reste comme embaumé sous nos soucis.

Cela aussi les Mages nous l’avaient dit, avec leur troisième cadeau, la myrrhe…

Et cette année encore, ils nous invitent à repartir avec eux par un autre chemin (v. 12), qui ne soit pas celui des palais royaux et de la gloire de la possession, mais celui de l’humilité du prince de la paix, cette « paix que le monde ne connaît pas » et qu’il nous appelle toujours à recevoir.

RP
Vence, 08.01.12


dimanche 1 janvier 2012

"Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et paix sur la terre"




Nombres 6, 22-27 ; Psaume 67 ; Galates 4, 4-7 ; Luc 2, 16-21

Que le Seigneur te bénisse et te garde !
Que le Seigneur fasse rayonner sur toi son regard et t’accorde sa grâce !
Que le Seigneur porte sur toi son regard et te donne la paix !

(Nombres 6, 24-26)

Luc 2, 13-21
13 Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait :
14 "Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés."
15 Lorsque les anges se furent éloignés d’eux vers le ciel, les bergers se dirent les uns aux autres: Allons donc jusqu’à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.
16 Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph, et le nouveau-né dans la crèche.
17 Après l’avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant.
18 Tous ceux qui les entendirent furent dans l’étonnement de ce que leur disaient les bergers.
19 Marie conservait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur.
20 Et les bergers s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit.
21 Quand le huitième jour fut accompli, il fut circoncis et fut appelé Jésus, du nom indiqué par l’ange avant sa conception.

*

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux » ont chanté les anges — « multitude de l’armée céleste ». Il s’est passé là quelque chose d’extraordinaire, qui fait chanter toute la Création visible et invisible, qui fait chanter jusqu’à toute la « gendarmerie céleste », pour employer le vocabulaire de Calvin parlant des anges.

D’un côté toute la puissance — la Création et ses fondements célestes, les armées célestes ; de l’autre l’humilité de la crèche où naît le souverain de toutes ces armées célestes.

Les armées célestes viennent de se joindre à l’ange annonciateur, bouleversant mystère propre à terroriser les bergers. Un ange, même annonciateur d’une bonne nouvelle, est sans doute impressionnant. Et alors, quand s’y joint toute la gendarmerie…

Mais voilà donc que la chose essentielle, celle qu’ils chantent là, s’est passée à Bethléem, s’est passée dans l’humilité, et concerne celui qui vaut que toutes les puissances de la Création y joignent leur louange.

Cela concerne les bergers, et nous concerne avec eux. Cela aussi les anges le clament ! C’est le deuxième aspect de leur chant de louange : « paix sur la terre parmi les hommes de la bienveillance ».

La paix de Dieu, sa bienveillance accordée en plénitude, et signifiée ici dans la banalité que porte l’apparence de l’enfant pour qui s’élève la louange de toute la Création, cette paix se donne à expérimenter dans la bienveillance qui en découle parmi les hommes, puis depuis les hommes qui deviennent par leur bienveillance autant de signes de ce que la bienveillance divine est effectivement octroyée — et qu’elle se répand.

Là est tout le contraste que nous donne ce chant de louange angélique entre la puissance divine dans la Création, la magnificence du Créateur, et son effacement dans l’enfant en lequel il vient à nous.

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À ce moment le récit entre dans toute son humilité, sa simplicité, ce que nous savons communément nous figurer : « Marie, Joseph, et le nouveau-né dans la crèche ». Mais là est tout le salut. « Après l’avoir vu, les bergers racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant. » Rien de plus à dire !

Qu’à s’étonner, comme l’ont fait les auditeurs des bergers, et à méditer, comme la mère de l’enfant : « Marie conservait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur. » Et reprendre nos chemins avec les bergers qui « s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit ».

L’enfant, lui aussi, poursuit sa route d’humilité, chemin de tous les humains, chemin de ceux de son peuple. Déjà ses parents le mènent sur ce chemin et le présentent à sa circoncision : « quand le huitième jour fut accompli, il fut circoncis et fut appelé Jésus, du nom indiqué par l’ange avant sa conception ».

Signe extraordinaire à nouveau de ce qu’en lui est le salut des nations, — salut qui selon les promesses des prophètes, découle de Jérusalem, ville, en cet espace romain des nations, du peuple de la circoncision, Cité des origines et demain Cité céleste. Ce signe est en ce que l’Église, qui rassemble les nations autour de cet enfant, datera ses années, non pas du jour de sa naissance, mais du jour de sa circoncision : nous avons fêté sa naissance il y a huit jours. Aujourd’hui, 1er jour de l’année nouvelle, est commémoration de sa circoncision.

Le Créateur tout-puissant célébré par les armées célestes a bien répandu sa bienveillance, depuis le cœur de Jérusalem, envers toutes les nations, pour que comme en cascades cette bienveillance qui jaillit de la crèche de l’enfant jusqu’en sa résurrection, se répande désormais parmi les hommes et les femmes ce monde et par les hommes et les femmes de ce monde.

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Et cela se donne dans ce simple dévoilement : « Christ, Dieu et homme, ne fait qu’une seule personne. Si je veux trouver Dieu, je vais le chercher dans l’humanité du Christ. Aussi, quand nous réfléchissons à Dieu, nous faut-il perdre de vue l’espace et le temps, car Notre-Seigneur Dieu, notre créateur est infiniment plus haut que l’espace, le temps et la création. » J’ai cité Martin Luther (Propos de Table, Aubier 1992, p. 204).

Dans et l’espace et le temps, il a donné ce signe de sa présence aux bergers, puis par eux à tous : l’humanité du Christ.

« Les bergers s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu » (Luc 2, 20)… Que ce chemin des bergers soit celui qui s’ouvre dès à présent pour chacun de vous et de ceux qui vous sont chers… Ce sont les vœux que je formule pour chacune et chacun de vous pour 2012…

R.P.
Antibes, 01.01.12