dimanche 25 décembre 2011

Noël - Promesse de lumière


Et ici, message de la veillée de Noël

Esaïe 52, 7-10 ; Psaume 98 ; Hébreux 1, 1-6

Jean 1, 1-18
1 Au commencement était la Parole ; la Parole était avec Dieu ; et la Parole était Dieu.
2 Elle était au commencement avec Dieu.
3 Tout a été fait par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.
4 En elle était vie, et la vie était la lumière des humains.
5 La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas reçue.
6 Survint un homme, envoyé de Dieu, du nom de Jean.
7 Il vint comme témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.
8 Ce n'est pas lui qui était la lumière ; il venait rendre témoignage à la lumière.
9 La Parole était la vraie lumière, celle qui éclaire tout humain ; elle venait dans le monde.
10 Elle était dans le monde, et le monde est venu à l'existence par elle, mais le monde ne l'a jamais connue.
11 Elle est venue chez elle, et les siens ne l'ont pas accueillie ;
12 mais à tous ceux qui l'ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu
— à ceux qui mettent leur foi en son nom.
13 Ceux-là sont nés, non pas du sang, ni d'une volonté de chair, ni d'une volonté d'homme, mais de Dieu.
14 La Parole est devenue chair ; elle a fait sa demeure parmi nous, et nous avons vu sa gloire, une gloire de Fils unique issu du Père ; elle était pleine de grâce et de vérité.
15 Jean lui rend témoignage, il s'est écrié : C'était de lui que j'ai dit : Celui qui vient derrière moi est passé devant moi, car, avant moi, il était.
16 Nous, en effet, de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce pour grâce ;
17 car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
18 Personne n'a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a dévoilé.

*

La lumière est venue dans un enfant. La lumière créatrice. Avant le verset 14, on est avant l'Incarnation, avant la venue en chair de Jésus. L'allusion à l'Incarnation et à sa lumière sera ce dont témoignera Jean le Baptiste, lui qui est le dernier témoin avant la venue du Royaume en cet enfant, Parole de lumière faite chair, justement, car son témoignage est bien porté avant, bien que comme il le dit, la Parole soit avant lui.

La Parole, créatrice, au commencement de toute chose, est celle qui vient à nous à Noël, graine de lumière, pour ensemencer toute chose, pour mener le monde, la Création, à son achèvement. C'est à cette Parole des origines, créatrice, que renvoie ce commencement de l’évangile de Jean, et à la lumière qui en est le premier effet. Une lumière qui précède toute lumière, vraie lumière, qui éclaire tout humain venant dans le monde.

La lumière est celle de la vie, elle est celle de Noël. Elle nous illumine, dès l’instant où nous venons à la vie. C'est en elle que nous apparaissons quand la Parole qui nous fait exister est prononcée, toutes choses qui précèdent donc son Incarnation, sa venue en chair. Et lorsque nous venons au jour, notre naissance, le jour naturel qui nous éclaire est alors symbole de cette lumière qui le précède de toute l'éternité, et qui vient à nous à Noël.

La Parole est au commencement, en vis-à-vis de Dieu, tournée vers Dieu. Tournée vers Dieu, en vis-à-vis comme l'image est en vis-à-vis dans le miroir qui réfléchit cette image. Dans le vis-à-vis de sa Parole, Dieu réfléchit, la Parole est Dieu même réfléchissant ; « la Parole était Dieu » — le mot pour Parole qu'emploie l’Évangile de Jean étant en grec le même mot que pour « raison » ; c'est le mot — logos — qui a donné « logique ». Dieu réfléchit, réfléchit en lui-même, Dieu raisonne, puis il parle, exprimant ce raisonnement — parole de lumière.

« En cette Parole est la lumière du monde », avant même la lumière naturelle, donc. Lorsqu'elle s'exprime, la lumière, apparaît : « Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière est ». Cette vraie lumière est la lumière spirituelle dans laquelle le monde prend forme.

En cette lumière qui est celle de Noël, le monde de la résurrection est alors répandu comme un graine de lumière. Le déroulement de la création est le développement de cette illumination du monde, de sa sortie du chaos et des ténèbres.

C'est de la sorte que graine de lumière et de résurrection, cette même Parole qui nous fait venir à l'être peut aussi nous faire venir à la vie de Dieu, pourvu que nous l'accueillions. Car la Création, le monde, dès lors qu'il ne reçoit pas la Parole par laquelle il existe, est dans les ténèbres, selon que c'est cette Parole, qui sépare la lumière des ténèbres. Parole, et lumière.

Comme lorsque les Apôtres disent au paralytique : « lève-loi et marche » —, « ceux qui ont reçu la Parole ont reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu ». Cette Parole, qui est aussi celle de Jean-Baptiste, un témoignage, est donnée en premier lieu comme Loi par Moïse.

La grâce venue par Jésus-Christ est la force, le pouvoir de se lever à l'écoute de la Parole venue sous forme de Loi donnée par Moïse, premier témoin. La Loi est le premier témoin, où Jean le Baptiste, représentant les Prophètes, est le dernier de ceux-ci avant l'incarnation de la Parole, avant le devenir chair de la Parole reçue.

Allusion est faite à tous les témoins, à tous ceux qui reçoivent cette Parole. Allusion bien sûr à Marie, en qui la Parole est faite chair, Jésus, quand elle la reçoit dans sa chair, comme nous tous sommes appelés à le faire. Allusion à Marie bien sûr, qui à nouveau apparaît a la fin de l'Évangile de Jean, à la croix, nouvel enfantement. Allusion à Marie puisque la venue en chair suit immédiatement le verset sur la réception de la Parole.

C'est pourquoi, ce texte — plus précisément au fond que ceux de Luc et Matthieu, qui sont donnés comme récits figurés — enseigne la naissance virginale.

Quant à nous aussi, à ceux qui ont reçu la Parole, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, comme autant de porteurs de cette Parole qui fait venir à la vie, lesquels ne sont pas nés de la chair, mais de la volonté de Dieu. Recevoir la Parole qui fait advenir a la vie. Et juste après : la Parole a été faite, chair... Jésus.

Jésus : l'expression par excellence de ce raisonnement en Dieu, de ce vis-à-vis éternel de Dieu et de sa Parole, comme son reflet, sa réflexion, est Jésus-Christ, sa Parole faite chair (Jean 1, 14). Lorsqu'il l’exprime, le monde prend forme et s'éclaire (voir Colossiens ch. 1, concernant Jésus-Christ : "tout a été fait en lui, par lui et pour lui").

Face à cela, les ténèbres naturelles sont le signe qu'il est une limite à la pénétration de la lumière : ne pas la recevoir. Ne pas accueillir la lumière dans laquelle nous venons à l'être est une possibilité, mystérieuse, aussi pour les créatures intelligentes que nous sommes, devenant par là stupides.

Mais que de possibilités s'ouvrent au contraire par cet accueil : le pouvoir de devenir enfants de Dieu, juste par l'accueil, dans la foi, de cette Parole et de sa lumière, par l'accueil de cette Parole donnée d'abord dans le ministère de Moïse à Jean-Baptiste, Loi et Prophète, qui pour être témoins de la lumière, ne donnent pas le pouvoir de la vivre en vérité, dans la chair. La grâce seule peut faire franchir ce pas de la vérité incarnée. Elle est venue en Jésus-Christ, qui fait connaître celui que seul il connaît : le Père.

Car le connaître ne se fait que dans l'accueil de la Parole dans la chair, dans le fait de vivre de la Parole qui fait vivre, de voir de la lumière qui illumine nos yeux. Connaître, c'est être en communion. Connaître c'est être dans l'amour... Cette possibilité nous est donnée par Jésus-Christ, communion vivante avec Dieu, rencontre pleine de Dieu. De cette plénitude nous recevons tous. C'est là le cadeau de Noël. La réception de la Parole, son accueil, la grâce de la vivre, a donné celle même parole faite chair, croissant jusqu'en la résurrection.

Que cette Parole, qui est née en Marie il y a deux mille ans, Jésus, Parole éternelle qui nous a créés, Parole éternelle qui nous illumine - naisse en chacun de nous pour nous rendre féconds en Dieu. Qu'elle fasse germer en nous la grâce de l'accueillir d 'où qu'elle vienne ; de ne pas endurcir notre cœur lorsque nous l'entendons par la bouche de tous ses témoins, de Moïse à Jean-Baptiste, puis aux Apôtres et à tous les anonymes que nous côtoyons peut-être sans le savoir…

Et tous ceux, qui jusqu’aux confins du monde sont témoins des possibilités qu’ouvre cette parole — en étant comme autant de terres nouvelles à même d’être ensemencées des graines de cette lumière semée à Noël. Accueillir la Parole créatrice, illuminatrice, source de la vie nouvelle. Cette Parole est le Fils unique de Dieu, en qui demeure pour nous le pouvoir de devenir nous aussi enfants de Dieu.

RP,
Vence, Noël, 25.12.11


dimanche 18 décembre 2011

"Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu…"




2 Samuel, 7, 1-16 ; Psaume 89 ; Romains 16, 25-27

Luc 1, 26-38
26 Le sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée du nom de Nazareth,
27 à une jeune fille accordée en mariage à un homme nommé Joseph, de la famille de David ; cette jeune fille s'appelait Marie.
28 L'ange entra auprès d'elle et lui dit : « Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec toi. »
29 A ces mots, elle fut très troublée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.
30 L'ange lui dit : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu.
31 Voici que tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus.
32 Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ;
33 il régnera pour toujours sur la famille de Jacob, et son règne n'aura pas de fin. »
34 Marie dit à l'ange : « Comment cela se fera-t-il puisque je n'ai pas de relations conjugales ? »
35 L'ange lui répondit :
« L'Esprit Saint viendra sur toi
et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre ;
c'est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu.
36 Et voici que Élisabeth, ta parente, est elle aussi enceinte d'un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, elle qu'on appelait la stérile,
37 car rien n'est impossible à Dieu. »
38 Marie dit alors : « Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu me l'as dit ! » Et l'ange la quitta.

*

« Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu… » Qui est la jeune femme qui reçoit cette parole ? Une inconnue. Elle ne demeure pas dans les palais d’Hérode. Elle ne convoite rien de cet-ordre-là ni une future célébrité hypothétique. Et elle restera inconnue pour longtemps. Sauf, avant un second temps, dans le cercle restreint des disciples.

« Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu… » Quelle est cette faveur ? Pas la gloire, mais quelque chose qui a tout pour ne pas réjouir une jeune femme vierge, tout particulièrement en son temps : cette faveur, cette grâce, est celle de devenir fille-mère !

Grâce terrible, dont il lui est demandé sans détour, avant même qu’elle ne sache ce dont il s’agit, de se réjouir ! Quelle amertume ne pourrait-elle pas ressentir à la parole qui suit : « tu sera enceinte », amertume comme celle d’une sombre ironie !

Mais oh surprise, la jeune femme semble à des lustres de l’amertume — qui nous pousse à récriminer pour peu qu’on ne fasse pas cas de nous ! Qui nous pousse à vanter nos mérites, nos actions, ce que l’on nous doit, les sacrifices que l’on dit faire… Un regard sur la jeune femme de Galilée est propre à ramener cela à sa juste proportion et à renverser l’ironie amère qu’elle nous semblerait avoir dû ressentir — et qui ramène à leur proportion nos prétendus mérites, actions jugées indispensables et autres sacrifices ou déclarés tels !

La voix de l’ange qui invite Marie à se réjouir retentit jusqu’aujourd’hui pour chacun de nous, lorsque Dieu nous confie sa faveur, aussi étrange soit-elle ! Quoiqu’il nous confie, il nous l’annonce en ces termes : « Sois joyeuse, sois joyeux… », de quelque faveur qu’il te charge. Réjouis-toi : en cela-même le Seigneur est avec toi. Recevoir comme une grâce ce que Dieu nous confie, qui n’a pas toujours à première vue l’allure d’une route de gloire — quand nous sommes portés à récriminer pour peu que cela tarde.

Ce que Dieu nous confie, c’est sa parole, qui seule fait advenir sa promesse. Sois joyeuse : cette parole, on le comprend est adressée aussi à l’Église, et crée l’Eglise, malgré nos impatiences et récriminations qui risquent de tout froisser. C’est encore ce que nous dit ce qui arrive à cette jeune femme — sa grossesse, a priori un drame à l’époque. Mais là naît l’Église. Mieux, là naît celui pour qui est l’Église, celui en qui naît l’Église.

La jeune femme, elle, qui ne sait pas encore cela, est troublée, nous dit le texte, elle s’interroge sur le sens de cette salutation.

Et l’ange redit : « tu as trouvé grâce auprès de Dieu » puis continue : « Voici que tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils ». Fille-mère pour cette fiancée — le texte a mentionné Joseph —, telle est la grâce qu’elle reçoit d’une parole qui engendre ce qu’elle annonce. La parole « crée » la grossesse, la parole de Dieu dite par l’ange est une citation (Genèse 16, 11) : « Voici que tu es enceinte et tu vas enfanter un fils ».

Futur ? Présent ? La parole qui crée est au-delà du temps. « Que la lumière soit, et la lumière fut » / littéralement « était » — tu vas être enceinte, tu es enceinte, et tu vas enfanter. La même parole qui est féconde de la lumière qu’elle annonce (et que rappellent nos bougies de l’Avent comme la fête de Hanoukka dans laquelle le judaïsme entre dans les jours prochains) — la même parole est féconde de l’enfant qui va en naître. Elle est féconde aussi de l’acquiescement de Marie qui va suivre ce que la parole a créé en elle : « qu’il me soit fait selon ta parole ».

Ce « oui » — « qu’il me soit fait selon ta parole » — est lui-même fruit de la même parole de Dieu qui fait advenir le Fils éternel de Dieu à son humanité, il n’en est pas la condition. La parole qui crée l’humanité du Christ crée aussi, précède infiniment, le « oui » de Marie.

Un « oui » qui n’en est que plus remarquable. Dans ce oui est déjà l’épée qui lui transpercera l’âme que va bientôt annoncer à Marie le prophète Syméon (Luc 2). Car avant que ne se réalise la promesse que vient de lui faire l’ange — ton fils auquel tu donneras le nom de Jésus « sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la famille de Jacob, et son règne n'aura pas de fin » — avant que ne se réalise cette promesse, le jour de la gloire qui consacrera aussi la grandeur de ce que vit Marie — avant cela, c’est d’un chemin de douleur qu’il s’agit d’abord.

Ce « oui » est l’acceptation de la douleur à venir, la douleur des épreuves qui accompagnent tout chemin de vie d’une mère, la douleur, dont elle ne sait pas encore ce qu’elle sera, pour elle horrible — « une épée te transpercera l’âme » —, de voir son fils humilié, calomnié par le monde entier, traité comme criminel, torturé et crucifié pour cela. L’acceptation de cet avenir qu’elle ne connaît pas encore est dans le oui de Marie — « qu’il me soit fait selon ta parole ».

Après viendra la plénitude la joie, la reconnaissance du rôle unique de celle que Calvin nomme à plusieurs reprises « Notre Dame », lui qui, comme Luther, ne remet nullement en cause ni ce qui concerne la virginité de la jeune femme, ni l’immensité de ce qui lui arrive et qui en fait la mère de son Seigneur, la mère de son Dieu ! Grand mystère que Calvin ne conteste nullement tout en préférant que l’on utilise l’expression « mère du Seigneur », comme pour rejoindre l’humilité de celle qui répond par un simple « oui » à ce qui lui arrive de terrible en vérité.

Un « oui », donc, qui exclut par avance toute récrimination, précisément parce qu’il est chargé d’une radicale humilité.

Elle ne prétend à rien. C’est la force de Dieu, selon le nom « Gabriel » donné au messager céleste — car nul ne peut voir Dieu, on n’en perçoit que l’Ange, le messager —, c’est donc la force de Dieu, toute de douceur, qui seule agit ; la force d’une parole énoncée dans l’intimité et non pas devant de vastes auditoires. Fût-elle prononcée devant des foules, elle n’en aurait pas plus de force, celle qui bouleverse l’âme dans l’intimité — « ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse » (2 Corinthiens 12).

La parole qui a bouleversé le monde, qui a fait advenir le Royaume espéré depuis des siècles dans le sein d’une jeune fille, parole indicible, parole silencieuse, est la force de Dieu.

Ce n’est pas par nos agitations, ce n’est pas par nos prétentions à faire de grandes choses et à en attendre une reconnaissance dont le manque nous rend amers, que Dieu crée le monde nouveau, mais par une humble parole prononcée dans la plus intime des intimités, une parole qui loin de toute amertume ou récrimination, fruits de nos prétentions, fait dire à celle qui l’a reçue « qu’il me soit fait selon ta parole », quoiqu’il advienne. Quant à l’amertume que porte son nom, Marie, elle en connaîtra la nature profonde, au pied de la Croix, quand sa foi la voit alors déjà changée en douceur infinie, écho de son « oui », « qu’il me soit fait selon ta parole » — qu’il me soit fait selon ce qui est déjà advenu en moi, ce que ta parole à déjà accompli en moi !

RP
Antibes,
4e dimanche de l'Avent
18.12.11


dimanche 11 décembre 2011

Témoin de la lumière




Ésaïe 61, 1-11 ; Luc 1, 46-55; 1 Thess 5, 16-24

Jean 1, 6-8 & 19-26
6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu : son nom était Jean.
7 Il vint en témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.
8 Il n'était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière.
[…]
19 Et voici quel fut le témoignage de Jean lorsque, de Jérusalem, les Judéens envoyèrent vers lui des prêtres et des lévites pour lui poser la question : "Qui es-tu ?"
20 Il fit une déclaration sans restriction, il déclara : "Je ne suis pas le Christ."
21 Et ils lui demandèrent : "Qui es-tu ? Es-tu Élie ?" Il répondit : "Je ne le suis pas." - Es-tu le Prophète ?" Il répondit : "Non.
22 Ils lui dirent alors : "Qui es-tu ?... que nous apportions une réponse à ceux qui nous ont envoyés ! Que dis-tu de toi-même ?"
23 Il affirma : "Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Aplanissez le chemin du Seigneur, comme l'a dit le prophète Ésaïe."
24 Or ceux qui avaient été envoyés étaient des Pharisiens.
25 Ils continuèrent à l'interroger en disant : "Si tu n'es ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète, pourquoi baptises-tu ?"
26 Jean leur répondit : "Moi, je baptise dans l'eau. Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas ;
27 il vient après moi et je ne suis même pas digne de dénouer la lanière de sa sandale."
28 Cela se passait à Béthanie, au-delà du Jourdain, où Jean baptisait.
*

Un simple mortel

Un dialogue entre des pharisiens, prêtres et lévites qui lui sont envoyés, et Jean, interrogé. Un dialogue en forme de questions-réponses qui flairent le piège : pour qui te prends-tu, toi qui n’es reconnu par personne d’autorisé, en tout cas pas par nous, responsables religieux ? Et Jean, qui par ailleurs ne prétend rien, rien qu’accomplir la volonté du Dieu qui l’envoie ; Jean rejette en bloc toutes les hypothèses, sans doute fumeuses à son goût, et autres références flatteuses qu’on veut lui appliquer, qui sont autant de vrais titres glorieux.

Et pourtant les rumeurs persistantes ont tout pour l’encourager à céder à ces flatteries, pour l’inciter à succomber aux croyances qui sont derrière. Pensez : Jean être céleste ! Prophète venu du ciel ! On lui reconnaît même fréquemment une fonction qui s’inscrit dans la lignée d’une étrange parole du prophète Malachie, cette parole qui annonçait la venue future d’Élie, cet autre prophète qui, lui, avait été enlevé au ciel !

Alors, Jean, nouvel Élie ? Oh, allez, peut-être pas forcément, pour tous, un ange descendu du ciel, mais simplement un précurseur semblable à l’Élie de Malachie, au message de l’Élie de Malachie. Voilà qui n’est déjà pas mal : un homme envoyé de Dieu, dit le texte-même que nous avons lu : cela pourrait s’interpréter dans le sens où on le pousse.


Témoin de la lumière

Être céleste Jean ? Il n’a pas cette prétention : lui est l’homme de la terre, du désert, simple messager du repentir, de l’aplanissement du chemin où va passer un autre ; un simple témoin, témoin de la lumière, d’une lumière qui le dépasse de tout l’infini qui est entre celui qui vient du ciel précisément, cette lumière, et lui, Jean, qui, comme tous les témoins, n’est que poussière du désert, et signe d’une lumière si puissante que l’ombre seule en fait deviner la source.

On ne regarde pas le soleil en face. On ne sait même pas de quel point du ciel il vient. On ne regarde pas la lumière en plein soleil. On sait d’où elle vient en regardant l’ombre qu’elle projette derrière un simple témoin planté là. Jean est ce témoin. Il sait ne produire que de l’ombre ; mais qui montre l’origine de la lumière.

La lumière vient du point exactement inverse à l’ombre que ce point produit. C’est cela Jean : le témoin de la terre, indiquant a contrario la lumière du ciel, depuis l’ombre qu’elle projette par lui. Le témoin planté dans le sable du désert apparaît avant la lumière, avant qu’on ne perçoive la source de la lumière, mais la lumière l’a précédé. Il n’apparaît d’abord, que parce que la lumière l’a précédé. Il n’apparaît qu’en contraste à une lumière qui le déborde infiniment, et qu’on ne voit pas en elle-même parce qu’elle éblouit. Le témoin renvoie à elle. Mais sans lumière, il ne serait jamais apparu. Invisible dans les ténèbres. “Il vient après moi, mais il était avant moi”, dit Jean de Jésus.

Là apparaît pleinement le grand rôle de Jean : être l’ombre qui fait paraître la lumière. N’être visible que comme ombre de la lumière. Là est toute la mission et la prédication de Jean : s’abaisser, être simple ombre, pour faire apparaître la lumière. Ou, pour le dire dans les termes d’Ésaïe, qu’il cite : aplanir le chemin du Seigneur qui vient, Jésus, la Parole éternelle : quiconque s’abaisse jusqu’à jouer son vrai rôle d’ombre-témoin est signe du Christ ; mais qui s’élève, s’exalte et se prétend lumineux, se prétend brillant, est obstacle sur le chemin, détourneur de lumière, qui pour cela vit nécessairement dans les ténèbres.

J’exalte ma piété, mon savoir, ma beauté, ma richesse, mes titres ? — autant de pâles loupiotes en regard de la lumière de celui qui est lumière. Je veux que ces loupiotes brillent : je cherche donc nécessairement à vivre dans les ténèbres puisque je veux que tout cela se voit, alors que tout cela, qui n’est qu’autant de faibles bougies, ne se voit pas, justement, sous la lumière éclatante du soleil dans le désert de ma vie : si une faible bougie doit briller, il lui faut du sombre, il ne faut pas qu’elle soit allumée en plein jour...

Jean a choisi : s’effacer ; plus que de briller, être l’ombre, pour vivre dans la lumière, être l’ombre de la lumière, l’ombre qui dévoile la lumière : c’est de cette façon qu’il peut aplanir le chemin du Seigneur : en se sachant indigne d’en dénouer les sandales. Même sa prédication et son geste sublime, son baptême, sont l’ombre de la lumière. À combien plus forte raison les nôtres, nos gestes. C’est le baptême administré de façon invisible, comme un souffle, Esprit soufflé par le Christ, qui sauve — et point les bains et autres ablutions que seules peuvent administrer les hommes. Comme le dit Jean, nous n’avons de pouvoir que celui de répandre de l’eau, pas de communiquer l’Esprit.

De même, c’est la Parole éternelle, créatrice de l’univers, cette Parole devenue chair, Jésus, qui peut sauver — et point nos paroles, aussi remarquables sembleraient-elles, que peuvent proférer nos bouches enténébrées.


Aplanir le chemin du Seigneur

S’il en est ainsi de nos paroles et gestes religieux, que dire alors de nos autres diverses gloires passagères ; beauté, force, titres, richesse, et j’en passe, autant d’instruments qui pourraient être au service du Seigneur, autant d’instruments d’oppression pour qui n’y prend point garde, instruments, même, finalement, d’une gloutonnerie qui avalerait le monde sans savoir y mêler le goût des herbes amères.

Mettre dans son repas de fête un peu d’herbes amères, recommande la Torah pour le repas de fête de la Pâque. Un peu d’herbes amères pour se souvenir de l’exil et de la misère. Misère passée du temps de l’esclavage, misère actuelle de nos frères de la terre. Écoutons la façon dont en parle cet autre témoin de la lumière, le prophète Amos (6:6) : “buvant du vin dans des coupes, et se parfumant à l'huile des prémices, [dit-il de son peuple, Juda] ils ne ressentent aucun tourment pour la ruine de Joseph.” Amos menace ainsi Juda qui au cœur de ses fêtes ignore la douleur de son frère Joseph dans l’exil, le deuil, la faim. Et nous, qu’avons-nous fait de nos frères ? Saurons-nous mettre un peu d’herbes amères au cœur de nos joies passagères ? C’est cela aussi le message de Jean Baptiste, du témoin de la lumière : la conversion à laquelle il appelle commence là. Au jour où les abîmes des inégalités se creusent, tenter encore d’aplanir le chemin du Seigneur.

Outre les gestes religieux, outre les moments de fête, on pourrait en dire autant de tous les aspects glorieux, croyons-nous, de nos vies : autant de possibles abats-jours visant sans le savoir toujours clairement, à voiler le Christ... Alors aujourd’hui, que l’attente de Dieu donne à chacun de nous de devenir un peu une ombre, l’humble ombre du soleil magnifique que nous pourrons ainsi fêter et accueillir dignement. Que Dieu nous accorde cette joie : être ainsi vraiment de la fête de tous ses enfants de la terre appelés à devenir enfants de Dieu dans la lumière que nous attendons à Noël.

R.P.
Vence
3e dimanche de l'Avent
11.12.11


dimanche 4 décembre 2011

Mille ans comme un jour




Ésaïe 40, 1-11 ; Psaume 85 ; 2 Pierre 3, 8-14 ; Marc 1, 1-8

2 Pierre 3, 8-14
8 Mais il est une chose, bien-aimés, que vous ne devez pas ignorer, c’est que, devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour.
9 Le Seigneur ne tarde pas dans l’accomplissement de la promesse, comme quelques-uns le croient ; mais il use de patience envers vous, ne voulant pas qu’aucun périsse, mais voulant que tous arrivent à la repentance.
10 Le jour du Seigneur viendra comme un voleur ; en ce jour, les cieux passeront avec fracas, les éléments embrasés se dissoudront, et la terre avec les œuvres qu’elle renferme sera consumée.
11 Puisque donc toutes ces choses doivent se dissoudre, quelles ne doivent pas être la sainteté de votre conduite et votre piété,
12 tandis que vous attendez et hâtez l’avènement du jour de Dieu, à cause duquel les cieux enflammés se dissoudront et les éléments embrasés se fondront !
13 Mais nous attendons, selon sa promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle terre, où la justice habitera.
14 C’est pourquoi, bien-aimés, en attendant ces choses, appliquez-vous à être trouvés par lui sans tache et irrépréhensibles dans la paix.

Marc 1, 1-8
1 Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu.
2 Selon ce qui est écrit dans Ésaïe, le prophète : Voici, j’envoie devant toi mon messager, Qui préparera ton chemin ;
3 C’est la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, Aplanissez ses sentiers.
4 Jean parut, baptisant dans le désert, et prêchant le baptême de repentance, pour la rémission des péchés.
5 Tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui ; et, confessant leurs péchés, ils se faisaient baptiser par lui dans le fleuve du Jourdain.
6 Jean avait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins. Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
7 Il prêchait, disant : Il vient après moi celui qui est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de délier, en me baissant, la courroie de ses souliers.
8 Moi, je vous ai baptisés d’eau ; lui, il vous baptisera du Saint-Esprit.

*

« Jean a baptisé d’eau, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés du Saint-Esprit », annonce Jésus au moment de son départ, au jour de l’Ascension. Comment est interprétée la prophétie du Baptiste citée ce jour-là par Jésus ? Écoutons la suite : « Alors les apôtres réunis lui demandèrent : Seigneur, est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume d’Israël ? » Jésus parle du don de l’Esprit saint, les disciples entendent l’instauration du Royaume, attendue donc d’un moment à l’autre. « Il leur répondit : Ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité » (Actes 1, 5-7).

« Un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour », dira l’épître de Pierre citant le Psaume 90…

On retrouve la même problématique que chez les douze, chez les disciples de Thessalonique s’interrogeant sur le sort de ceux qui sont décédés avant l’instauration du Royaume. Paul leur répondait — 1 Th 4, 13-14 & 1 Th 5, 1-2 : « Nous ne voulons pas, frères et sœurs, que vous soyez dans l’ignorance au sujet de ceux qui dorment, afin que vous ne vous affligiez pas comme des gens qui n’ont point d’espérance. Car, si nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, croyons aussi que Dieu ramènera par Jésus et avec lui ceux qui sont morts. […] Consolez-vous donc les uns les autres par ces paroles. » 1 Th 5, 1-2 : « Pour ce qui est des temps et des moments, vous n’avez pas besoin, frères, qu’on vous en écrive. Car vous savez bien vous-mêmes que le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit. »

2 Pierre 3, 8-9 — nous l’avons entendu : « il est une chose, bien-aimés, que vous ne devez pas ignorer, c’est que, devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas dans l’accomplissement de la promesse, comme quelques-uns le croient ; mais il use de patience envers vous, ne voulant pas qu’aucun périsse, mais voulant que tous arrivent à la repentance. »

Nous allons revenir sur la repentance, écho au message de Jean le Baptiste — et vis-à-vis du don de l’Esprit saint par le Christ ressuscité. Avant cela, resterons sur cette leçon forte pour ceux qui attendent la venue de la Royauté de Dieu : pourquoi est-ce si long ? Au point que nombreux oublient que c’est là l’espérance qui mène les premiers disciples à s’interroger, voire à douter — pour que la réponse claire qui leur est donnée renvoie au temps de Dieu : « devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour »

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2 Pierre 3, 3-7, juste avant notre texte : « il viendra des moqueurs avec leurs railleries, marchant selon leurs propres convoitises, et disant : Où est la promesse de son avènement ? Car, depuis que les pères sont morts, tout demeure comme dès le commencement de la création. Ils veulent ignorer, en effet, que des cieux existèrent autrefois par la parole de Dieu, de même qu’une terre tirée de l’eau et formée au moyen de l’eau, et que par ces choses le monde d’alors périt, submergé par l’eau, tandis que, par la même parole, les cieux et la terre d’à présent sont gardés et réservés pour le feu, pour le jour du jugement. »

L’impression commune, qui nous affecte tous, est que les choses qui ont duré sont immuables !

En 1982, Arthur C. Clarke écrit 2010 : Odyssée deux, suite du fameux 2001 Odyssée de l'espace, qui remonte à 1968. En résumé, dans 2010 : Odyssée deux, Américains et Soviétiques sont en mission spatiale commune. En 2010, dans un monde où la guerre froide est toujours d'actualité (le livre est écrit 7 ans avant le chute du mur de Berlin), des astronautes américains partent avec une équipe soviétique à bord d’un vaisseau spatial soviétique, alors que sur Terre les tensions sont au maximum et que la guerre américano-soviétique est sur le point d'éclater…

Pourquoi est-ce que je cite cela ? Parce qu’en 1982, il est impossible pour le scientifique compétent auteur de ces livres de science fiction d’imaginer qu’en 2010 l’Union soviétique n’existera plus… Rappelons-nous, pour ceux d’entre nous qui étions déjà adultes en 1982 : l’Union soviétique était perçue comme inébranlable. Évidemment qu’elle existerait encore en 2010 ! Nous étions nés avec (pour ceux qui sont nés après 1922), nous mourrions avec…

C’était ne pas compter avec ce que « devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour »… Et que dire des grands empires de l’Antiquité, engloutis dans les sables après avoir duré parfois des millénaires ?…

Eh bien la parole de sagesse du Psaume 90 et de la 2e épître de Pierre, qui valait pour les empires antiques et les désormais anciens empires modernes, vaut toujours. Remonterait-il au Moyen Âge ou même avant, un empire, ou autre système du monde, est du temps, passager, donc, comme tout empire ou système du temps humain, qui n’est pas le temps de Dieu. Ça vaut pour ce que nous vivons en nos temps. « Devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour »

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Ici l’épître poursuit : « Le Seigneur ne tarde pas dans l’accomplissement de la promesse, comme quelques-uns le croient ; mais il use de patience envers vous, ne voulant pas qu’aucun périsse, mais voulant que tous arrivent à la repentance. » (2 P 3, 9).

Voilà une autre lecture du temps de Dieu : le temps de Dieu comme temps de sa patience, un temps pour nous ! Où l’on retrouve la prédication du Baptiste : « repentez-vous » ! C’est tout ce qu’il en est nous concernant : « repentez-vous », c’est à dire littéralement : tournez-vous, tournez les yeux vers le Seigneur, et détournez-vous de vos comportements qui vous enferrent loin de Dieu.

Détournez-vous de tout ce qui vous nuit et vous cantonne loin du Royaume. Quant au don de l’Esprit saint, qui rend le Royaume présent au milieu de vous, c’est le don de celui qui vient et pour qui mille ans sont comme un jour et un jour comme mille ans. Le jour de sa parousie, le jour de la résolution des nœuds de l’Histoire est proche dans le temps de Dieu, quelle que soit l’extension du temps humain. Si proche qu’il est déjà là, dans le don de l’Esprit saint, dans ta bouche et dans ton cœur, présent au milieu de vous. Pour vous, pour nous, dans l’espace du temps humain, et selon le don de l’Esprit saint, vous êtes dans le temps de la patience, où aujourd’hui encore est lancé l’appel du Baptiste — aujourd’hui encore il est temps : « repentez-vous » ! C’est à dire : revenez à moi, détournez-vous de ce qui vous éloigne de moi, pendant qu’il est temps. Le Seigneur est tout proche, près de toi…

RP,
Antibes,
2e dimanche de l’Avent
4.12.11