dimanche 24 juillet 2011

Trésor caché




1 Rois 3, 5-12 ; Psaume 119, 121-136 ; Romains 8, 28-30 ; Matthieu 13, 44-52

Matthieu 13, 44-52
44 "Le Royaume des cieux est comparable à un trésor qui était caché dans un champ et qu’un homme a découvert : il le cache à nouveau et, dans sa joie, il s’en va, met en vente tout ce qu’il a et il achète ce champ.
45 Le Royaume des cieux est encore comparable à un marchand qui cherchait des perles fines.
46 Ayant trouvé une perle de grand prix, il s’en est allé vendre tout ce qu’il avait et il l’a achetée.
47 "Le Royaume des cieux est encore comparable à un filet qu’on jette en mer et qui ramène toutes sortes de poissons.
48 Quand il est plein, on le tire sur le rivage, puis on s’assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon et l’on rejette ce qui ne vaut rien.
49 Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les anges surviendront et sépareront les mauvais d’avec les justes,
50 et ils les jetteront dans la fournaise de feu ; là seront les pleurs et les grincements de dents.
51 "Avez-vous compris tout cela ?" — Oui, lui répondent-ils.
52 Et il leur dit : "Ainsi donc, tout scribe instruit du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux."
*

Voilà une série de brèves paraboles qui reprennent le thème de la série de paraboles précédentes, depuis celle du semeur jusqu’à celle de l’ivraie en passant par celles du grain de moutarde ou du levain. Un point commun, abordé sous plusieurs angles : le Royaume de Dieu, puisque c’est de cela qu’il s’agit, est de l’ordre de la semence et a quelque chose de caché — jusqu’au jugement final.

Jusqu’au jugement final, qui n’est pas de notre compétence, le Royaume est caché. Et non seulement caché, mais mélangé avec un provisoire lourd et lassant — comme le bon grain et l’ivraie de la parabole qui précède.

Le champ, c’est le monde, vient de commenter Jésus. Et peut-être a-t-il pensé à ceux qui en viendraient à en déduire que cela ne concerne donc pas l’Église, de laquelle, du coup, il faudrait arracher l’ivraie. Jésus a comme répondu à l’avance à ce genre de remarques par les paraboles d’aujourd’hui, où les choses concernent bel et bien l’Église : en son sein aussi, le tri se fait au jour du jugement, qui n’est pas de notre compétence.

Voilà donc que le Royaume de Dieu est comme un trésor, mais que l’on cache dans un champ — et c’est le champ que l’on achète, c’est pour acheter le champ que l’on vend tout. Et mieux que cela, on y cache le trésor. Et si on ne procède pas ainsi, le trésor sera perdu.

Certes ce qui intéresse l’acheteur, c’est le trésor, et pas le champ, mais pour avoir le trésor, à la fin, au jugement, au jour du tri, il faut bien garder jusque là le champ. Certes c’est le trésor qui est intéressant, la parabole suivante, celle de la perle de grand prix le rappelle : c’est pour elle qu’on vend tout — mais Dieu n’anticipe pas ce jour, n’anticipe pas le tri.

Le Royaume de Dieu est comparable à un filet, dit la troisième parabole de ce jour. Jésus développe ici encore un peu plus la même idée que lorsque qu’il dit que le Royaume est un trésor caché dans un champ avant d’être ce qu’il est au fond, le trésor lui-même, mais caché. Le Royaume est donc semblable au filet qui ramasse tout. Le texte ne dit même pas toute sorte de poissons ; il dit : des choses de tout genre ! Je suis tenté de dire : des bons poissons, et aussi des rascasses, et même des vieux pneus et des boîtes de conserves ! Le tri, on le fait après.

Jusque là, on ne peut, et ne doit, que tout ramasser, même si ce qui nous intéresse, ce sont les bons poissons — comme l’acheteur du champ, qui ne produit peut-être que des ronces, est intéressé par le trésor. Mais c’est pour acheter le champ qu’il vend tous ses biens : « là où est ton trésor »…

*

Mais les « toutes sortes de choses » prises dans le filet y sont donc comme ensemble — et ensemble dans l’Église — et même à l’intérieur de soi, à l’intérieur de chacun de nous, jusqu’au jugement. C’est à cela que se rapporte l’injonction de Jésus : « jugez-vous vous-mêmes afin de n’être pas jugés ». C’est aussi à cela que se rapporte sa promesse : « celui qui croit en moi ne vient pas en jugement »

Le trésor est bien un trésor caché — à l’Église et à soi. Et jusqu’en notre intimité, une séparation doit se faire, en nous — c’est le jour du jugement. Mais comme le précise Jésus ailleurs, ici, à l’intérieur de soi, le jugement peut, à notre mesure, s’anticiper : « jugez-vous vous-mêmes afin de n’être pas jugés ».

Le jugement étant aussi séparation, séparation d’avec le mal qu’il faudra donc lâcher / sous peine de voir le jugement être séparation d’avec celui qui ne veut pas lâcher le mal.

*

Pour illustrer cela, je citerai quelques lignes du livre de CS Lewis, Le grand divorce (entre le ciel et l’enfer) : on est à l’entrée du paradis, un homme se présente…
« Sur son épaule se tenait un petit lézard rouge qui agitait sa queue comme un fouet et murmurait des choses à l'oreille de celui qui le portait. Au moment où nous l'aperçûmes, ce dernier tourna la tête vers le reptile avec un grognement d'impatience. "Tais-toi, voyons", lui dit-il. Mais l'animal balançait sa queue et continuait à chuchoter.
[Apparaît un être qui] avait une forme plus ou moins humaine, mais il était plus grand qu'un homme, et si étincelant que je pouvais à peine le regarder, écrit CS Lewis, qui poursuit : Sa présence heurta mes yeux, et mon corps aussi, car il dégageait de la chaleur en même temps que de la lumière, comme le soleil au matin d'une implacable journée d'été.
"Je m'en vais, dit [l’homme portant le petit lézard sur l’épaule]. Merci de votre hospitalité [au paradis, puisque la scène se passe à l’entrée du paradis. Merci de votre hospitalité]. Mais ce n'est pas la peine, vous voyez. J'ai dit à ce petit individu (il montrait le lézard) que s'il venait, il fallait qu'il se tienne tranquille - et il a insisté pour venir. Naturellement, ses sornettes ne sont pas de mise ici, je m'en rends compte. Mais il ne s'arrêtera pas. Il ne me reste qu'à m'en retourner.
- Aimeriez-vous que je le fasse taire? dit l'esprit flamboyant - c'était un ange, je le compris soudain.
- Bien sûr.
- Alors je vais le tuer, dit l'ange, en faisant un pas en avant.
- Oh! aïe! Attention. Vous me brûlez. Pas si près!
- Vous ne voulez donc pas qu'on le tue?
- Tout à l'heure, vous n'avez pas parlé de le tuer. Je n'avais pas l'intention de vous ennuyer en vous demandant quelque chose d'aussi radical.
- C'est le seul moyen, dit l'ange, dont les mains brûlantes étaient tout près du lézard. Dois-je le tuer?
- Eh bien, c'est une autre question. Je suis tout prêt à la considérer, mais je n'avais pas encore envisagé cet aspect-là, vous voyez? Je veux dire que, pour le moment, je pensais seulement le faire taire parce que ici en haut - eh bien, il est diablement embarrassant.
- Puis-je le tuer?
- Oh! il sera toujours temps de discuter cela plus tard.
- Il n'y a aucune raison d'attendre. Puis-je le tuer:
- Excusez-moi, je n'ai jamais songé à vous importuner de la sorte. Non vraiment, ne vous faites pas de souci pour lui. Regardez! Il s'est décidé à dormir. Je suis sûr que tout ira bien maintenant. Je vous remercie infiniment.
- Puis-je le tuer?
- Honnêtement, je ne crois pas que ce soit nécessaire. Je suis sûr que je pourrai le faire tenir tranquille maintenant. Je crois qu'il vaudrait beaucoup mieux procéder graduellement.
- Agir progressivement serait tout à fait inutile. - Vous croyez? Bon. Je vais réfléchir à votre proposition. Honnêtement oui, je vous laisserais bien le tuer tout de suite, mais à la vérité, je ne me sens pas très bien aujourd'hui; ce serait stupide de le faire maintenant. J'aimerais être en bonne santé pour l'opération. On verra un autre jour.
- Il n'y aura pas d'autre jour. Nous vivons dans éternel présent maintenant.
- Allez-vous-en! Vous me brûlez. Comment pourrais-je vous dire de le tuer? Vous me tueriez, moi, si vous le faisiez.
- Certainement pas.
- Mais vous me faites déjà mal à présent.
- Je n'ai jamais dit que cela ne vous ferait pas mal. (Etc. CS Lewis, Le grand divorce, éd. Raphaël, 1998, p. 107 sq.). »

Bref, en résumé : « jugez-vous vous-mêmes afin de n’être pas jugés ». Ôter chacun son lézard. C’est cela qu’il convient de faire dès aujourd’hui.

*

Mais nous, nous voudrions que les choses se règlent tout de suite autrement : le Royaume serait là, et nous en repeindrions volontiers tous les contours ; selon nos coups de cœur, les oranges seraient bleues, le ciel à poids jaunes et la mer sucrée. Car notre impatience relève au fond de ce genre de rêves.

Et quand les choses ne sont pas comme nous les rêvons, nous nous impatientons. Au mieux nous trépignons. Au pire, hier l’Inquisition, qui voulait séparer les rascasses, pneus, et autres hérétiques d’avec les bons poissons — on sait ce que cela à donné, on sait ce que cela continue de donner ; aujourd’hui, les fous sanglants et autres bombardements aveugles de guerres prétendues justes.

Tenter de faire venir le Royaume comme si nous avions en la matière plus de pouvoir que Dieu, c’est faire venir en lieu et place du Paradis espéré, un enfer. Le Paradis que nous préparent de tels témoins de Dieu ne fait pas envie !

Le cas est extrême, mais cela vaut sans doute de tous nos plans sur la comète paradisiaque. Dieu l’a envisagé autrement. Et c’est là qu’est le cœur de la question, celle du salut. Que nous disent au fond ces paraboles ? Que le salut « ne vient pas de façon à frapper les regards », qu’on ne le fait pas avancer à force de forcer les choses.

Ce qui nous conduit au cœur de l’Évangile de la foi, de la confiance seule. Le Royaume est de l’ordre de la semence à recevoir de la seule écoute de la Parole de Dieu — et caché jusqu’au Royaume dont l’instauration n’est pas de notre compétence — et c’est très bien ainsi. L’inutilité sanglante, des pleurs et de la violence le montrent.

Être de l’ordre de la semence, c’est la nature du trésor qui est au cœur du Royaume.

*

Un trésor inépuisable : « tout scribe instruit du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux » — de ce trésor intérieur et extérieur : on en tire de façon inépuisable, toute sorte de choses : « du neuf et du vieux ».

On peut aussi donc rattacher ce « neuf et vieux » aux « toutes sortes de choses » prises au filet. Pour dire qu’il n’est vraiment pas de notre bénéfice de faire le tri avant l’heure : j’ai parlé des rascasses comme de mauvais poissons — mais attendez, et la bouillabaisse ! Voilà donc qu’on aurait eu tort de jeter la rascasse ! Les vieux pneus, donc — quoique ! Tel pêcheur bricoleur qui trouve ça dans son filet en ferait bien une balançoire pour ses enfants…

Qui sait si le Royaume de Dieu est sans balançoires faites avec des vieux pneus ? Il y a bien selon Ésaïe, des charrues faites avec des vieilles épées !

Les scribes instruits dont parle Jésus avaient lu Ésaïe : « tout scribe instruit du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux ».

Eh bien que chacun de nous désireux du Royaume de Dieu sache tout vendre pour acheter ce champ-là. Nous savons bien, Jésus nous l’a dit, quel précieux trésor y est caché : c’est le Royaume de Dieu — et il n’est pas ailleurs : il est là, dans l’action de grâces, les remerciements pour ce que Dieu va nous donner à y voir. À nous de l’y chercher, à nous de l’y cacher si nous l’avons vu — et de tout lui consacrer. Il n’y a pas d’autre bonheur.

R.P.
Antibes, 24.07.11


dimanche 17 juillet 2011

La mauvaise herbe




Ésaïe 44, 6-8 ; Psaume 86 ; Romains 8, 26-27

Matthieu 13, 24-43
24 Il leur proposa une autre parabole : "Il en va du Royaume des cieux comme d’un homme qui a semé du bon grain dans son champ.
25 Pendant que les gens dormaient, son ennemi est venu ; par-dessus, il a semé de la mauvaise herbe en plein milieu du blé et il s’en est allé.
26 Quand l’herbe eut poussé et produit l’épi, alors apparut aussi la mauvaise herbe.
27 Les serviteurs du maître de maison vinrent lui dire : Seigneur, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il s’y trouve de la mauvaise herbe ?
28 Il leur dit : C’est un ennemi qui a fait cela. Les serviteurs lui disent : Alors, veux-tu que nous allions la ramasser ? —
29 Non, dit-il, de peur qu’en ramassant la mauvaise herbe vous ne déraciniez le blé avec elle.
30 Laissez l’un et l’autre croître ensemble jusqu’à la moisson, et au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : Ramassez d’abord la mauvaise herbe et liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, recueillez-le dans mon grenier.
31 Il leur proposa une autre parabole : "Le Royaume des cieux est comparable à un grain de moutarde qu’un homme prend et sème dans son champ.
32 C’est bien la plus petite de toutes les semences ; mais, quand elle a poussé, elle est la plus grande des plantes potagères : elle devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel viennent faire leurs nids dans ses branches."
33 Il leur dit une autre parabole ; "Le Royaume des cieux est comparable à du levain qu’une femme prend et enfouit dans trois mesures de farine, si bien que toute la masse lève."
34 Tout cela, Jésus le dit aux foules en paraboles, et il ne leur disait rien sans paraboles,
35 afin que s’accomplisse ce qui avait été dit par le prophète : J’ouvrirai la bouche pour dire des paraboles, je proclamerai des choses cachées depuis la fondation du monde.
36 Alors, laissant les foules, il vint à la maison, et ses disciples s’approchèrent de lui et lui dirent : "Explique-nous la parabole de la mauvaise herbe dans le champ."
37 Il leur répondit : "Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme ;
38 le champ, c’est le monde; le bon grain, ce sont les sujets du Royaume ; la mauvaise herbe, ce sont les sujets du Malin ;
39 l’ennemi qui l’a semée, c’est le diable ; la moisson, c’est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges.
40 De même que l’on ramasse la mauvaise herbe pour la brûler au feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde :
41 le Fils de l’homme enverra ses anges ; ils ramasseront, pour les mettre hors de son Royaume, toutes les causes de chute et tous ceux qui commettent l’iniquité,
42 et ils les jetteront dans la fournaise de feu ; là seront les pleurs et les grincements de dents.
43 Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père. Entende qui a des oreilles !
*

« Le Fils de l’homme enverra ses anges ; ils ramasseront, pour les mettre hors de son Royaume, toutes les causes de chute et tous ceux qui commettent l’iniquité. »

Cela c’est au jour de jugement.

Cela nous dit en passant quelque chose de ce qu’est la mauvaise herbe en question — l’ivraie selon les anciennes traductions — : c’est tout le mal qui se fait depuis la fondation du monde.

Ce n’est pas rien ! C’est un mal et des douleurs dont il est légitime que l’on veuille les arracher du monde, et avec, ceux qui les commettent.

Or il n’est pas opportun de les arracher du monde tant que ce qu’il en est n’est pas dévoilé ! Car il est bien question de « choses cachées depuis la fondation du monde », selon la citation que fait Jésus du Psaume 78.

Ce qui est caché depuis la fondation du monde c’est ici la racine du mal — de ce mal énorme — qui s’y commet.

Cette parabole de la mauvaise herbe est expliquée après que soient données deux autres paraboles, comme, juste avant, la parabole du semeur n’est pas expliquée immédiatement.

Évidemment, ici comme là, ce qui est entre la parabole et son explication a un rapport avec l’explication.

Ici, il est question du Royaume qui se dévoile comme une graine qui éclot et croît jusqu’à sa maturité ; le Royaume qui est comme le levain qui fait lever toute la pâte.

Avec cette citation du propos prophétique du psalmiste : dévoilement de « choses cachées depuis la fondation du monde ».

L’éclosion et la croissance du Royaume est de l’ordre du dévoilement.

Et en l’occurrence du dévoilement du mal, dévoilement qui seul permet son éradication.

Le mal relève du mystère, d’un mystère incommensurable, le « mystère d’iniquité » dans les mots de Paul, cette iniquité qui est vouée à être arrachée…

Le mal relève du mystère, nommé ici : semé par le diable. Un désordre imprévu, source du mal, s’est immiscé dans la création de Dieu, caché depuis sa fondation et voué à être dévoilé. Or où est-ce que le mal, où est-ce que le diable, a été dévoilé ?

À la croix ! Car que s’est-il passé à la croix concernant ce mystère d’iniquité ? Son initiateur a été jeté dehors ! Jean 12, 31-33 : « Maintenant c’est le jugement de ce monde; maintenant le prince de ce monde sera jeté dehors. Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi. Il disait cela pour indiquer de quelle mort il devait mourir. »

À la croix, le semeur de l’ivraie est dévoilé et jeté dehors ! Est-ce à dire qu’il est temps pour les disciples de procéder à l’arrachage de cette mauvaise herbe ? La réponse de Jésus est clairement : non !

« S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi » annonce Jésus à ses disciples dans la suite de son affirmation de ce que le diable est jeté dehors lors de sa crucifixion.

C’est que loin de devoir procéder par avance à l’arrachage de la mauvaise herbe, du mal et de ceux qui le commettent, à commencer par les persécuteurs, — le dévoilement de la racine du mal, interdit précisément tout arrachage prématuré, avant le jugement final !

Que dévoile en effet la croix lorsqu’elle dévoile la racine immémoriale du mal, le diable ? Que le mal est, avant tout, une volonté immémoriale d’arracher, d’expulser ce que l’on désigne comme le mal.

Le mal, dès l’origine, est persécuteur. Le diable est meurtrier dès le commencement ; dès le premier meurtre, le meurtre d’Abel, il est là. Et menteur et père du mensonge, dès le premier meurtre, il enfouit ce meurtre sous le mensonge : suis-je le gardien de mon frère ? demande Caïn.

Car, ne nous leurrons pas, le meurtrier ment, et prétend avoir accompli une œuvre — sinon juste — tout au moins explicable… De là à prétendre arracher la mauvaise herbe, le pas a toujours été franchi dans l’histoire, avant et après le Christ.

On n’ a jamais persécuté ou mis à mort quiconque sans bonne cause, ou prétendu telle !… En fait du mensonge !

« Vous voulez accomplir les désirs du diable, dira Jésus à ses persécuteurs. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne s’est pas tenu dans la vérité, parce que la vérité n’est pas en lui. Lorsqu’il profère le mensonge, ses paroles viennent de lui-même car il est menteur et le père du mensonge » (Jean 8, 44). Le mensonge est bien lié au meurtre et à la persécution, à la volonté d’expulser — et c’est là l’œuvre du diable.

Eh bien la croix est précisément le dévoilement de ce mensonge, de ce mensonge meurtrier. Ici, l’ « ivraie » qu’on a voulu arracher est le seul juste ! C’est de la sorte que le diable a été dévoilé : le Christ crucifié a publiquement livré les puissances en spectacle, dira Paul.

On voit ce qu’il en est de vouloir arracher la mauvaise herbe. Prétendre arracher la mauvaise herbe fait tout simplement entrer dans un cycle de violence persécutrice, dont les pouvoirs aux mains du diable planteur d’ivraie tentent de bien se garder :

Le représentant de César, Pilate, qui n’est pas sans raison dans le credo, se lave les mains et renvoie dos à dos les persécutés de l’Empire : le Christ et Israël — ce qui débouchera dans l’Empire romain devenu chrétien, puis dans sa descendance, sur une persécution d’Israël par ceux qui se réclament du Christ, se voulant arracheurs d’ivraie à leur tour !

On voit le piège que, pourtant, Jésus a dévoilé ! Et contre lequel il a pourtant mis en garde : la mauvaise herbe n’est pas où on la désigne. Elle relève du mystère d’iniquité, caché depuis la fondation du monde.

La croix nous dévoile à quel point elle ne pourra être arrachée qu’à la fin des temps.

L’ivraie est le mal persécuteur, « les causes de chute et tous ceux qui commettent l’iniquité », tous ceux qui servent la persécution. On ne la voit qu’à ses effets, comme la mauvaise herbe du même nom, que l’on ne reconnaît pas dans un premier temps.

Elle est dévoilée seulement par la croix, comme le fruit meurtrier du menteur et père du mensonge. Elle n’a été dévoilée que là, par celui à qui Dieu a remis le jugement, le Christ, et ne pourra être arrachée que lorsqu’il exercera ce jugement, c’est à dire cette extraction du mal qui grève le monde et qui est d’abord et avant tout la violence persécutrice et meurtrière.

Tel est donc ce mystère caché depuis la fondation du monde. Il a été dévoilé à la croix :

« C’est une sagesse […] qui n’est pas de ce siècle, ni des princes de ce siècle, qui vont être réduits à l’impuissance ; nous prêchons, écrit Paul, la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu avait prédestinée avant les siècles, pour notre gloire ; aucun des princes de ce siècle ne l’a connue, car s’ils l’avaient connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire. Mais c’est, comme il est écrit : Ce que l’œil n’a pas vu, Ce que l’oreille n’a pas entendu, Et ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, Tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Dieu nous l’a révélé par l’Esprit. Car l’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu. » (1 Corinthiens 2, 6-10).

« Ainsi, avait dit Ésaïe, parle l’Éternel, le roi d’Israël, Celui qui le rachète, L’Éternel des armées : Je suis le premier et je suis le dernier, En dehors de moi il n’y a point de Dieu. Qui peut se prononcer comme moi ? Qu’il l’annonce et me l’expose ! Depuis que j’ai fondé le peuple d’éternité, Qu’ils annoncent donc les événements, Et aussi ce qui doit arriver ! N’ayez pas peur et ne tremblez pas ; Ne te l’ai-je pas depuis toujours fait entendre et annoncé ? Vous êtes mes témoins : Y a-t-il un autre Dieu en dehors de moi ? Il n’y a point d’autre rocher, Je n’en connais pas. » (Ésaïe 44, 6-8).

R.P.
Vence, 17.07.11


dimanche 10 juillet 2011

Le semeur





Ésaïe 55, 10-11 ; Psaume 65 ; Romains 8, 18-23

Matthieu 13, 1-23
1 En ce jour-là, Jésus sortit de la maison et s’assit au bord de la mer.
2 De grandes foules se rassemblèrent près de lui, si bien qu’il monta dans une barque où il s’assit; toute la foule se tenait sur le rivage.
3 Il leur dit beaucoup de choses en paraboles. "Voici que le semeur est sorti pour semer.
4 Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin; et les oiseaux du ciel sont venus et ont tout mangé.
5 D’autres sont tombés dans les endroits pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre; ils ont aussitôt levé parce qu’ils n’avaient pas de terre en profondeur;
6 le soleil étant monté, ils ont été brûlés et, faute de racine, ils ont séché.
7 D’autres sont tombés dans les épines; les épines ont monté et les ont étouffés.
8 D’autres sont tombés dans la bonne terre et ont donné du fruit, l’un cent, l’autre soixante, l’autre trente.
9 Entende qui a des oreilles!"
10 Les disciples s’approchèrent et lui dirent: "Pourquoi leur parles-tu en paraboles?"
11 Il répondit: "Parce qu’à vous il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux, tandis qu’à ceux-là ce n’est pas donné.
12 Car à celui qui a, il sera donné, et il sera dans la surabondance; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré.
13 Voici pourquoi je leur parle en paraboles: parce qu’ils regardent sans regarder et qu’ils entendent sans entendre ni comprendre;
14 et pour eux s’accomplit la prophétie d’Ésaïe, qui dit: Vous aurez beau entendre, vous ne comprendrez pas; vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas.
15 Car le cœur de ce peuple s’est épaissi, ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, pour ne pas voir de leurs yeux, ne pas entendre de leurs oreilles, ne pas comprendre avec leur cœur, et pour ne pas se convertir. Et je les aurais guéris!
16 "Mais vous, heureux vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent.
17 En vérité, je vous le déclare, beaucoup de prophètes, beaucoup de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu.
18 "Vous donc, écoutez la parabole du semeur.
19 Quand l’homme entend la parole du Royaume et ne comprend pas, c’est que le Malin vient et s’empare de ce qui a été semé dans son cœur; tel est celui qui a été ensemencé au bord du chemin.
20 Celui qui a été ensemencé en des endroits pierreux, c’est celui qui, entendant la Parole, la reçoit aussitôt avec joie;
21 mais il n’a pas en lui de racine, il est l’homme d’un moment: dès que vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, il tombe.
22 Celui qui a été ensemencé dans les épines, c’est celui qui entend la Parole, mais le souci du monde et la séduction des richesses étouffent la Parole, et il reste sans fruit.
23 Celui qui a été ensemencé dans la bonne terre, c’est celui qui entend la Parole et comprend: alors, il porte du fruit et produit l’un cent, l’autre soixante, l’autre trente."

*

Le thème du semeur est en quelque sorte l'équivalent en parabole du thème de la naissance d'en haut dans l'Évangile de Jean — ou l’enfantement du monde en Romains 8. Autant de façons de référer aux promesses prophétiques par différentes images : « ma Parole ne retourne pas vers moi sans effet », dit Ésaïe (ch. 55). Au fond, en particulier en ce domaine, ce qui advient nous échappe et ne dépend pas de nous.

Ici c'est l'Esprit de Dieu qui précède tout mouvement de la foi. Et nous fait perdre tout pouvoir sur nous. Le Royaume vient par l’effet d’une parole sur laquelle et sur les conséquences de laquelle nous n’avons aucun pouvoir.

La venue du Règne de Dieu n'est finalement pas en notre pouvoir. Tout comme le vent souffle où il veut, tout comme on ne peut pas naître par la force de la volonté, nul ne peut préjuger du fruit d’une semence ni expliquer la raison finale de sa germination.

C'est la semence de cette parole que le semeur, au-delà de nos volontés et de nos refus, vient répandre en nous. Est-ce parce que cet ensemencement fait peur, au fond, que ceux qui le craignent préfèrent se boucher les yeux et les oreilles, comme le dit Jésus citant Ésaïe ?

On retrouve une idée équivalente à cette naissance d'en haut ou à cet ensemencement mystérieux dans quelques autres textes du Nouveau Testament. Cela sous des termes qui en sont assez proches, traduits généralement par "régénération". Comme avec la "régénération" des individus ou du monde, mais plus explicitement encore, on est avec le semeur dans le cadre d'une image jardinière, agricole, évidente pour ceux que leur métier a enseigné à dépendre de la météo et de la qualité du terrain.

Ici, dans la parabole du semeur, ne pas voir et de ne pas entendre, selon les mots d’Ésaïe, s'exprime dans les trois causes — si ce sont vraiment les causes, et non simplement des images — de la non-éclosion de la parole :
- « ôtée par le diable »,
- mal perçue, considérée comme réjouissante (ne pas croître commence par la joie), et dès lors pas enracinée,
- « étouffée par les soucis ou l'attrait des richesses », en un mot, la peur.

Cela ne renvoie pas forcément à trois catégories de personnes, mais à trois aspects, ou trois degrés de notre incapacité à recevoir la parole dont on sent bien qu'elle écartera tout ce que l'on voudrait préserver en nous : si le grain ne meurt pas, il ne portera pas de grain à son tour... dit Jésus ailleurs. Pour des paysans entendant « semence », ils peuvent penser à tout cela. En tout cas, l’absence de maîtrise des divers éléments ne leur échappe pas.

Pas en notre pouvoir. Il s’agit de lâcher prise. Comme le grain doit disparaître pour germer. Qu'il est terrible de lâcher ce que l'on a passé sa vie à établir patiemment ! C'est pourtant ce que suppose le fait de comprendre la Parole : alors seulement, le fruit que nous attendons se préparera. Mais pour cela, il faut se perdre. Perdre l’idée de notre maîtrise des choses — même nous concernant !

Voilà donc pour quelques aspects de la semence ; notons encore, concernant le semeur plutôt que la semence du coup, que lui-même, le semeur, est contraint ici à une humilité que devrait méditer tout prédicateur : ne faire que semer, sans autre pouvoir que celui d’attendre et au mieux, d’arroser, mais encore pas trop : ça peut faire pourrir !

*

Voyons les empêchements à la germination et à l’éclosion, mentionnés par Jésus.
Le diable, la joie et les soucis — que signifient le bord du chemin et les oiseaux, la superficialité du terrain ensemencé, et les épines du terrain qui en est envahi.
Notons à nouveau que le semeur n’y peut rien.

Et les bénéficiaires de la semence, de la parole, non plus. Nous n’y pouvons rien. Ce qui est souligné d’emblée par l’évocation de la figure du diable. Ce n’est pas notre résistance à la parole qui est mise en cause, c’est le diable qui en ôte la semence.

Ce qui permet de bien lire les deux autres causes mentionnées : la joie superficielle, l’enthousiasme vain à son écoute ou à l’inverse le poids des soucis. Je n’ai pas beaucoup de pouvoir sur mon tempérament, qu’il soit du genre à s’enthousiasmer ou qu’il soit du genre inquiet (s’il n’est pas les deux à la fois).

La venue du Royaume ne vient ni de mon enthousiasme, qui peut sous cet angle se rapprocher de l’action du diable, ni de mon inquiétude, qui sans s’en rendre compte étouffe l’effet de la parole de Dieu. La venue du Royaume ne vient que de la germination d’une parole qui me précède et qui m’échappe, et cela se compare à une graine tombée dans une bonne terre. Dieu s’est en quelque sorte placé lui-même dans la dépendance.

Dieu lui-même s’est réduit à faire venir le Royaume sur le mode de l’ensemencement et de la germination ; d’une façon qui le rende en quelque sorte comme « sujet » d’aléas divers, comme pour un agriculteur les oiseaux, le soleil et les ronces.

Tenter de faire venir le Royaume comme si nous avions en la matière plus de pouvoir que Dieu, c’est risquer de faire venir en lieu et place du Paradis espéré, un enfer : l’histoire l’a maintes fois prouvé…

Et Dieu l’a envisagé autrement. Et c’est là qu’est le cœur de la question, celle du salut. Que nous dit au fond cette parabole ? Que le salut « ne vient pas de façon à frapper les regards », qu’on ne le fait avancer ni par nos enthousiasmes, ni par nos soucis, qu’il n’a rien à voir avec tout ce que nous prétendrions en construire à force de forcer les choses.

Cette parabole nous conduit au cœur de l’Évangile de la foi, de la confiance seule. C'est de l’ordre de la semence à recevoir de la seule écoute de la Parole de Dieu. La bonne terre n’est rien d’autre que cette disposition, cette disponibilité confiante — qui n’est ni bord de chemin, ni cailloux, ni épines. Bonne terre, disponible. Et dès lors à même de fructifier en abondance. C’est la seule façon qu’a proposé Dieu de faire venir le Royaume. En le forçant, on le gâche. En y introduisant un rôle à l’enthousiasme ou au souci, on le manque.

Il s’agit simplement d’être ouvert à la Parole de Dieu avec cette confiance :
"Comme descend la pluie ou la neige, du haut des cieux, et comme elle ne retourne pas là-haut sans avoir saturé la terre, sans l’avoir fait enfanter et bourgeonner, sans avoir donné semence au semeur et nourriture à celui qui mange, ainsi se comporte ma Parole du moment qu’elle sort de ma bouche : elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’ai envoyée. Vous serez dans la jubilation et la paix" (Ésaïe 55, 10.11).

Ro 8:18-21 :
18 J’estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous.
19 Car la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu:
20 livrée au pouvoir du néant-non de son propre gré, mais par l’autorité de celui qui l’a livrée, elle garde l’espérance,
21 car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu.

RP
Vence, 10.07.11


dimanche 3 juillet 2011

Les sages et les enfants




Zacharie 9, 9-10 ; Psaume 145 ; Romains 8, 9-13

Matthieu 11, 25-30
25 En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : "Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits.
26 Oui, Père, c’est ainsi que tu en as disposé dans ta bienveillance.
27 Tout m’a été remis par mon Père. Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler.
28 "Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos.
29 Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes.
30 Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger."
*

Pas besoin d’être sage ou intelligent pour savoir que « l’enfant est, en général, porté à la cruauté ». Chez lui « la pulsion de maîtriser n'est pas encore arrêtée par la vue de la douleur d'autrui, la pitié ne se développant que relativement tard » — note Freud, qui rejoint les observateurs attentifs de la tradition chrétienne, d’Augustin à Calvin, lequel les appelle « petites crapules ». Tout ça pour dire qu’il ne faut sans doute pas se leurrer quant au couplet enthousiaste que l’on tire parfois des propos de Jésus sur les enfants.

Mais alors que veut-il dire ? Partons des Psaumes, que Jésus a souvent médités.

Psaume 8 : « Par la bouche des tout-petits et des nourrissons, tu as fondé une forteresse contre tes adversaires, pour réduire au silence l'ennemi revanchard. Quand je vois tes cieux, œuvre de tes doigts, la lune et les étoiles que tu as fixées, qu'est donc l'homme pour que tu penses à lui, l'être humain pour que tu t'en soucies ? » (v. 3-5)

« Quand je vois tes cieux », écrit le Psalmiste il y a quelques milliers d’années, éberlué. Que dire alors aujourd’hui ! On estime de nos jours que l'Univers observable compte quelques centaines de milliards de galaxies de masse significative, c’est-à-dire contenant quelques centaines de milliards d’étoiles. Ce nombre n’est toutefois pas limitatif, puisque le nombre d’étoiles des galaxies dites « naines », c’est-à-dire ne comptant « que » quelques millions d'étoiles, est difficile à déterminer du fait de leur masse et de leur luminosité très faibles, et qu’en outre d’autres, trop lointaines, échappent à notre observation.

L'Univers dans son ensemble, dont l'extension réelle n'est pas connue, est susceptible de compter un nombre immensément plus grand de galaxies. Bref, quelques centaines de milliards de galaxies de masse significative sans compter les galaxies moins grandes, et donc plus difficilement observables, et les autres qui nous échappent !

Notre galaxie, la Voie lactée, est une des centaines de milliards de galaxies observables, et de masse dite « significative ». La Voie lactée a une extension de l'ordre de 100 000 années-lumière. C’est-à-dire que l’on perçoit les étoiles lointaines de notre seule galaxie comme elles étaient il y a 100 000 ans. Et notre galaxie est donc une seule de ces galaxies de quelques centaines de milliards d'étoiles.

Le soleil est une des centaines de milliards d’étoiles de cette galaxie, elle-même une parmi quelques centaines de milliards de galaxies semblables observables. Le soleil est donc l’étoile de notre système solaire, autour duquel tourne la terre — sur laquelle se déroule le culte par lequel nous célébrons aujourd’hui celui qui s’est relevé d’entre les morts, ouvrant un Ciel nouveau et une Terre nouvelle.

Un premier univers est apparu, puis un homme s'est relevé de la mort, laissant son tombeau vide et inaugurant un Ciel nouveau et une Terre nouvelle. Est-ce moins compréhensible, plus compréhensible ? Dieu l’a « caché aux sages et aux intelligents »…

*

« Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. » Que peut nous alors dire ce texte ? ou : Quelle est notre sagesse ? Est-ce celle par laquelle nous maîtrisons le monde et ses secrets, jusqu’à connaître bien et mal, ce qui donc nous permet de décréter ce qui est bien et ce qui mal — en tout cas pour les autres ? Est-ce là la lumière d’en haut ? Celle dans laquelle Jésus dévoile le Père. Ou est-ce la sagesse bien terrestre et humaine, qui consiste à se réjouir d’avoir une foi raisonnable (ou de n’en avoir point) — ou à se considérer comme éclairés ; au point, pour certains, de s’être intitulés eux-mêmes : les Lumières ! Quelle humilité ! Tout cela face aux ténèbres qui nous entourent — et que, certes, nous tolérons, par effet généreux de notre lumière…

La raison est la chose du monde la mieux partagée, disait Descartes, cinglant une ironie sous-jacente : chacun se considérant assez éclairé pour juger que les autres ne le sont pas ! Les gens sont stupides, affirme Monsieur Tout-le-monde ; les gens sauf moi, bien moins naïf, qui le décrète. Mais alors, si telle est notre lumière, n'est-elle pas ténèbres ? Signe d’un aveuglement d'autant plus patent que nous l'ignorons…

Notre raison, est-elle si limpide ? Ou moins absurde que celle des autres, ou celle de ceux qui nous ont précédés comme les religieux du temps de Jésus, ainsi que nous voulons si communément le penser ? Eh bien, par la foi miraculeuse — le miracle : ce lieu de l’étonnement, selon un des sens du mot —, étonnement du Psalmiste observant les cieux, étonnement que reçoivent les enfants, Dieu vient briser ces prétentions finalement ridicules.

Ainsi, est-il plus absurde, ou moins absurde, de croire ou de ne pas croire ce que Dieu nous donne comme fondement nouveau de toute chose, nouvelle création initiée devant un tombeau vide, Création ni plus ni moins incompréhensible et incroyable que la première ?

*

Ou n’est-ce pas se leurrer que prétendre avoir accédé à une clarté telle que les mystères, et jusqu’au mystère de Dieu ou de l’univers, nous seraient devenus moins opaques ? Qu’est-ce que cet aveuglement, que n’ont pas les enfants, qui pousse au fond à mépriser les capacités rationnelles de son prochain, ou des hommes et femmes du passé, ou d’autres continents et d’autres sagesses ? Être dans une lumière telle qu'on se place au-dessus de tout — y compris finalement de la grâce, qui est d'abord surprise, et étonnement, lieu d'une incompréhension.

La lumière de Dieu est celle qui éblouit, aveugle celui qui ainsi, confesse être aveugle. C'est cette lumière que porte Jésus, sagesse mystérieuse et cachée, que le monde ne reçoit pas (1 Co 1, 20). « Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler ».

Où la mise en valeur de la foi et de l’étonnement ne veut pas dire, loin s’en faut, que Jésus nous dispenserait de tout effort intellectuel, de tout apprentissage ! Il ne s’agit pas sous prétexte que Jésus a donné les enfants en exemple face aux prétendues intelligences supérieures, de s’imaginer qu’il condamne l’intelligence et la sagesse. Non, il condamne ceux qui à force d’en être imbus se montrent ni sages ni intelligents. La force de l’enfant — « tu y as fondé une forteresse » (Ps 8, 3) — est sa capacité à s’étonner. C’est ce que Jésus exalte : une aptitude à recevoir celui que nul ne connaît sinon celui à qui le Fils veut bien le révéler.

*

Que dit Jésus ? Qu'il s'agit de recevoir l'enseignement de la Bible au plus intime de notre être, indépendamment de tous les qu'en dira-t-on et de tous les qu'en verra-t-on. Méditer, peser, « mastiquer » les paroles bibliques, n'est rien d'autre qu'être en train d'établir pour sa vie des fondements solides. « Prendre son joug ».

Il s'agit de se confier en Dieu de façon à ce que lui-même produise en nous ce que son enseignement requiert. Luther dira que ce n'est pas le fruit qui produit l'arbre, mais l'inverse ; de même ce n'est pas l'œuvre qui porte la foi, mais l'inverse.

Il faut nous souvenir de la distinction que fait Matthieu entre l’apparence et ce qui est caché. Une justice publiée sur les toits est vaine, disait Jésus dans le Sermon sur la Montagne. Une prière exhibée n'a d'autre exaucement que la satisfaction d'en obtenir l'admiration d'autrui. Et Jésus d'inviter à la mise au secret, au ciel, présent au milieu de nous, lieu de la liberté, notre récompense, car « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6, 21).

Il est donc question d'une apparence, vaine, et d’une réalité cachée, cachée même aux sages, mais qui seule est richesse. Et les deux choses sont en stricte opposition.

Demeurer dans l’humilité quant à la vie devant Dieu, quant à la pratique de la justice, voilà qui est réellement reposant, voilà qui est un joug extrêmement léger, surtout face aux spécialistes de ce qui est bien et de ce qui est mal,… en général pour autrui. Pour ceux qui entendent la parole de Jésus, la Loi devient bonne nouvelle — c’est-à-dire Évangile —, une mise en marche qui libère de tout poids, un vrai repos.

*

Voilà donc deux aspects de la relation à la Loi divine que nous propose ici Jésus. Écouter ce qu’elle dit avec humilité, sans croire savoir — c’est la sagesse, comme celle des enfants — pour connaître cet élément essentiel de la relation avec Dieu, l’humilité précisément, qui est d’un accès si difficile aux sages.

Et l’intériorisant ainsi, découvrir combien dès lors ce joug devient léger, le joug de Jésus, sous son regard, dans l’humilité, sans rien à prouver à quiconque, surtout pas à ceux qui savent, ou qui l’imaginent, et qui du coup, ignorent ce cœur de la parole révélée. Dès lors, « ne vous inquiétez donc pas » et ayez confiance en Dieu pour toute chose.

R.P.
Antibes, 03.07.11