jeudi 21 avril 2011

La prière de Jésus au jeudi saint. Quel exaucement ?




Lamentations 3, 22-33 ; Psaume 149 ; Matthieu 26, 36-75

Matthieu 26, 36-75
36 Là-dessus, Jésus arrive avec eux au lieu dit Gethsémani et il dit aux disciples : Asseyez-vous ici, pendant que je m’éloignerai pour prier.
37 Il prit avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée. Il commença alors à éprouver la tristesse et l’angoisse,
38 et il leur dit : Je suis triste à mourir ; demeurez ici et veillez avec moi.
39 Puis il s’avança un peu, tomba face contre terre et pria ainsi : Mon Père, si c’est possible, que cette coupe s’éloigne de moi ! Toutefois, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux.
40 Il vient vers les disciples, qu’il trouve endormis ; il dit alors à Pierre : Vous n’avez donc pas été capables de veiller une heure avec moi !
41 Veillez et priez, afin de ne pas entrer dans l’épreuve ; l’esprit est ardent, mais la chair est faible.
42 Il s’éloigna une deuxième fois et pria ainsi : Mon Père, s’il n’est pas possible que cette coupe s’éloigne sans que je la boive, que ta volonté soit faite !
43 Il revint et les trouva encore endormis ; car ils avaient les yeux lourds.
44 Il les quitta, s’éloigna de nouveau et pria pour la troisième fois en répétant les mêmes paroles.
45 Puis il vient vers les disciples et leur dit : Vous dormez encore, vous vous reposez ! L’heure s’est approchée ; le Fils de l’homme est livré aux pécheurs.
46 Levez-vous, allons ; celui qui me livre s’est approché.
47 Il parlait encore quand Judas, l’un des Douze, arriva, et avec lui une grande foule armée d’épées et de bâtons, envoyée par les grands prêtres et par les anciens du peuple.
48 Celui qui le livrait leur avait donné ce signe : Celui que j’embrasserai, c’est lui ; arrêtez-le.
49 Aussitôt il s’approcha de Jésus et lui dit : Bonjour, Rabbi ! Et il l’embrassa.
50 Jésus lui dit : Mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le. Alors ces gens s’avancèrent, mirent la main sur Jésus et l’arrêtèrent.
51 Un de ceux qui étaient avec Jésus étendit la main, tira son épée, frappa l’esclave du grand prêtre et lui emporta l’oreille.
52 Alors Jésus lui dit : Remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prennent l’épée disparaîtront par l’épée.
53 Penses-tu que je ne puisse pas supplier mon Père, qui me fournirait à l’instant plus de douze légions d’anges ?
54 Comment donc s’accompliraient les Ecritures, d’après lesquelles il doit en être ainsi ?
55 A ce moment, Jésus dit aux foules : Vous êtes sortis pour vous emparer de moi avec des épées et des bâtons, comme si j’étais un bandit. Tous les jours j’étais assis dans le temple pour enseigner, et vous n’êtes pas venus m’arrêter.
56 Mais tout cela est arrivé pour que soient accomplies les Ecritures des prophètes.
Alors tous les disciples l’abandonnèrent et prirent la fuite.
57 Ceux qui avaient arrêté Jésus l’emmenèrent chez le grand prêtre Caïphe ; là, les scribes et les anciens se rassemblèrent.
58 Pierre le suivait de loin, jusqu’au palais du grand prêtre ; il entra dans la cour et s’assit avec les gardes, pour voir comment cela finirait.
59 Les grands prêtres et tout le sanhédrin cherchaient un faux témoignage contre Jésus, pour le faire mettre à mort.
60 Mais ils n’en trouvèrent pas, quoique beaucoup de faux témoins se soient présentés. Enfin il en vint deux
61 qui dirent : Il a dit : « Je peux détruire le sanctuaire de Dieu et reconstruire en trois jours. »
62 Le grand prêtre se leva et lui dit : Tu ne réponds rien ? Que dis-tu des témoignages que ces gens portent contre toi ?
63 Jésus gardait le silence. Le grand prêtre lui dit : Je t’adjure par le Dieu vivant de nous dire si c’est toi qui es le Christ, le Fils de Dieu.
64 Jésus lui répondit : C’est toi qui l’as dit. Mais, je vous le dis, désormais vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel.
65 Alors le grand prêtre déchira ses vêtements en disant : Il a blasphémé. Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Vous venez d’entendre son blasphème. Qu’en pensez-vous ?
66 Ils répondirent : Il est passible de mort.
67 Là-dessus, ils lui crachèrent au visage et lui donnèrent des coups de poing ; d’autres le giflèrent, en disant :
68 Fais le prophète pour nous, Christ ! Dis-nous qui t’a frappé !
69 Pierre, lui, était assis dehors, dans la cour. Une servante s’approcha de lui et dit : Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen.
70 Mais il le nia devant tous, en disant : Je ne sais pas ce que tu veux dire.
71 Comme il se dirigeait vers le porche, une autre le vit et dit à ceux qui se trouvaient là : Il était avec Jésus le Nazoréen.
72 Il le nia encore en jurant : Je ne connais pas cet homme !
73 Peu après, ceux qui étaient là s’approchèrent et dirent à Pierre : Vraiment, toi aussi tu es de ces gens-là, ta façon de parler le montre bien.
74 Alors il se mit à jurer, sous peine de malédiction : Je ne connais pas cet homme ! Aussitôt un coq chanta.
75 Pierre se souvint de la parole que Jésus avait dite : Avant qu’un coq ait chanté, tu m’auras renié par trois fois. Il sortit, et dehors il pleura amèrement.

*

Jésus s’éloigna de nouveau et pria pour la troisième fois en répétant les mêmes paroles : « Mon Père, si c’est possible, que cette coupe s’éloigne de moi ! Toutefois, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux… Mon Père, s’il n’est pas possible que cette coupe s’éloigne sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! » (v. 39, 42, 44)

Par trois fois. Une parole qui rappelle Paul (2 Co 12) : par trois fois je l’ai prié d’éloigner mon écharde. Réponse : ma grâce te suffit. Une prière de Paul réitérée trois fois, et non-exaucée, apparemment.

De même que pour Jésus au Jeudi saint ! La coupe sera amère. Jusqu’à la mort, avec le sentiment d’abandon le plus terrible, marqué déjà dans la trahison de Juda, puis dans le reniement de Pierre… abandon criant dans la calomnie et les fausses accusations qui nous contraignent à ne jamais croire ce qu’on nous dit sur quiconque, surtout si cela est unanime. Cela est déjà une vérité du talmud, que le sanhédrin lui-même a ignoré au jour du procès de Jésus : « si tout le monde est trop vite d'accord pour condamner un prévenu, alors mieux vaut le libérer, car tout jugement unanime est suspect. »

C’est tout cela que Jésus va affronter jusqu’à la mort ! Alors il prie. Mais a-t-il été exaucé ?

« Prier », le mot français vient du latin « precarius », qui désigne non seulement la prière, mais aussi, et avant tout, ce qui est précaire, passager, étranger.

La situation de précarité est celle de la prière : c’est celle de Jésus au Gethsémani.

La précarité instaure dans notre quotidien cette réalité : nous sommes en ce monde en situation d'exilés, en situation d’emprunt, étrangers, « passagers et errants sur la Terre ».

Une réalité qui nous concerne tous, quelle que soit notre origine, notre religion, ou la nature de notre foi. C'est ainsi que « nous ne sommes pas de ce monde », qui que nous soyons : notre précarité, fût-on riche à foison, croirait-on — par peur peut-être de cette précarité, se mettre à l’abri par l’illusion de thésaurisation, quitte à priver autrui du minimum — ; notre précarité n’en est pas moins un fait, qui nous est rappelé à l’angle de chaque souffrance, autant de signaux clignotants qui nous alertent : nous allons tous mourir, peut-être dans la douleur. Jésus nous y a rejoints.

Ce qui peut se traduire par la précarité au sens propre, donc, voire par la douleur, voire encore par la persécution : le disciple n’est pas plus grand que son maître. Comme chrétiens, ayant entendu de Jésus cet enseignement, nous sommes censés le savoir, dit-il : « vous n'êtes pas de ce monde » ; et plus précisément concernant donc la persécution : « si le monde vous hait, c'est que vous n'êtes pas du monde »… comme je n’en suis pas et en serais donc expulsé ! avait-il précisé en substance.

Comme la souffrance subie est signe d’étrangeté au monde, ceux qui font souffrir, qui n'aiment pas, qui haïssent, qui relèguent autrui dans la précarité, le font parce qu'ils se croient du monde, qu’ils se croient non-précaires ! Quel est en effet le motif commun pour persécuter, ou mépriser quelqu'un ? Tout simplement penser qu'il n'est pas à sa place avec nous, pas à sa place chez nous — chez nous, c'est-à-dire, finalement, où, sinon en ce monde ? Expulsé jusqu’à la croix…

Là c'est Jésus qui console tout rejeté en lui rappelant : « tu n'est pas de ce monde, comme moi je ne suis pas du monde. Si tu étais du monde, le monde aimerait ce qui est à lui ». Mais voilà, en attendant l'entrée concrète, vécue, dans cette consolation que procure Jésus, subsiste la douleur. Car avant d'en arriver là, à cette consolation, il est tout un cheminement, — c'est le cheminement de la prière… Le chemin du précaire.

*

Face au silence céleste — celui que confrontera Jésus —, on sera alors peut-être tenté de dire : ces maux qui nous tombent dessus, incompréhensibles, l'auteur n'en est-il pas le diable ? Car derrière la trahison, les calomnies, le procès joué d’avance, il y a le diable, sous le pouvoir duquel gît le monde entier (1 Jean 5, 19).

L’auteur ultime du mal qui assaille Jésus serait donc le diable ? Croire cela serait aller un peu vite en besogne : Dieu serait-il impuissant face au diable ?

Déjà le livre de Job nous a interdit un tel raccourci : le diable, dès le départ de l'épreuve (Job 1), a obtenu l'autorisation, on pourrait dire l'investiture divine pour accomplir sa tâche de subalterne. Job ne s'y trompe d'ailleurs pas, qui affirme : « la main de Dieu m'a frappé » (Job 19, 21). C’est de la même façon que Jésus, au cœur la menace et de la pesanteur diaboliques, s’adresse à son Père seul… Déjà celui que le monde, dominé par le diable, croit expulser, a pris la voie de la victoire. Déjà c’est en fait le Prince de ce monde qui est en passe d’être expulsé là où il croyait expulser Jésus. Et nous y avons tous pris part. Il est seul.

À la suite de Jésus, il ne nous reste qu'à nous rendre au constat qui est déjà celui du livre de Job, constat douloureux, incompréhensible, révoltant, face auquel Job n’a perçu qu'un recours, apparemment aussi étrange : « C'est Dieu que j'implore avec larmes » (16, 20) ; recours scellé dans une certitude : « je sais que mon rédempteur est vivant, et qu'il se lèvera au dernier jour » (19, 25). C’est là l’exaucement de Job.

Eh bien, c’est là de même, mais avec une portée insoupçonnée, l’exaucement de la prière de Jésus — qui ne lui épargne pas la coupe qu’il doit boire, pas plus qu’il n’avait épargné Job — : l’exaucement est celui du rédempteur que prophétise le Livre de Job, celui qui se lève au dernier jour, vivant et triomphant de la mort, laissant son tombeau vide.

Jésus apparemment non exaucé ? Mais il est en fait lui-même l’exaucement de toute prière, de sa propre prière : cet exaucement est la Croix, il est caché dans la Croix — avant d’être dévoilé dans sa résurrection.

RP,
Antibes, Jeudi saint, 21.04.11


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