dimanche 19 décembre 2010

Un "rien" pour le salut du monde





Ésaïe 7, 10-16 ; Psaume 24 ; Romains 1, 1-17 ; Matthieu 1, 18-25

Matthieu 1, 18-25
18 Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu'ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit saint.
19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement.
20 Il avait formé ce projet, et voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : "Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit saint,
21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés."
22 Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète :
23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit : "Dieu avec nous".
24 À son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui son épouse,
25 mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.
*

Voilà un récit qui nous met en butte à l’inexplicable. Mais précisément, c’est le Dieu de l’inexplicable que Jésus nous fait rencontrer…

Le texte ne nous dit pas comment Joseph savait que Marie était enceinte — par l'action du Saint Esprit. Et comme Joseph n’est pour rien à tout cela, on imagine que le texte suggère qu'à un certain point de la grossesse, il commençait à se poser des questions sur l'embonpoint croissant de sa fiancée.

Passant sur ces questions, le texte nous présente Joseph au moment où il envisage de prendre des résolutions : rompre secrètement — car « il était un homme de bien », nous dit l'évangile. Retenons de cela, avant d’aller plus loin, que la contribution de Joseph à la grossesse de Marie, sa part,… se résume à un mot : rien…

Ce pourquoi il envisage de rompre : rappelons qu'à l'époque, les fiançailles étaient un contrat que normalement on ne rompait pas. C'était déjà un mariage, en quelque sorte ; une rupture était donc comme un divorce. Et il était inconcevable qu'avant le mariage proprement dit, le fiancé s’approche de sa promise. On restait à une distance relative, on était simplement promis l’un à l’autre, et cela ne se rompait pas.

D'où le problème qui se pose à Joseph : s'il ne rompt pas, on va le soupçonner lui d’avoir manqué de respect à sa promise ; et naturellement, de plus, il n'était peut-être pas non plus forcément enthousiaste à l'idée d'épouser une femme qui apparemment l’avait trompé. Mais s'il rompt, il expose Marie à l'humiliation publique, et par là-même à un avenir des plus sombres : ce qu'il veut lui épargner. Joseph envisage donc une voie moyenne : la rupture secrète.

C'est un ange, perçu en songe, qui le retient de mettre son projet de rupture à exécution et le rassure sur la probité de Marie. (Joseph nous sera souvent montré dans son sommeil — trois fois — rencontrant des anges.) Le songe est le lieu de communication entre notre monde et les mondes supérieurs.

Joseph doute d'autant moins de la parole angélique qu'il est vraisemblablement prêt à faire confiance à Marie. Cela rejoint son espérance de la venue prochaine d'un Messie, sauveur du peuple. Et voilà que c'est à lui qu'il est confié, selon la vision qu’il a en songe.

Joseph, à son réveil, obéit à la vision angélique. Joseph adoptera donc Jésus.

Revenons à présent à notre « rien » de départ : Joseph n’y est pour rien, il n’a rien apporté. Et il a reçu en abondance. Qu’est-ce que Joseph, en effet, reçoit de Dieu ce jour-là ? Jésus. Comme le nom même de Jésus l’indique (1, 21), il porte le salut du Seigneur ; le nom Jésus signifiant « le Seigneur sauve » ; il est lui-même en sa chair, la lumière et la Parole de Dieu, notre vie éternelle, le projet de Dieu pour nous.

Et là, quant au « rien » de Joseph, il commence à prendre forme, si l’on y regarde bien Joseph a adopté Jésus comme son enfant. Voilà déjà qui est moins rien…

Et voilà qui nous rejoint, chacun de nous. Recevoir, comme Joseph l’a reçu, le don miraculeux de Dieu, c’est cela être sauvé. Car c’est de cela qu’il s’agit pour nous aussi. Adopter le salut de Dieu, son projet pour nous — pour que s’accomplisse la promesse selon laquelle Dieu sera avec nous : Emmanuel.

Rien donc : adopter, recevoir, simplement. Mais un rien qui n’est pas si « rien » que ça, chargé de la puissance de Dieu.

Comme Joseph ne peut rien à la venue de celui qui demeure auprès de Dieu avant même sa propre naissance, comme ce rien prend sens, un rien déjà lourd de sens pour Joseph : adopter le Fils de Dieu — nous ne pouvons rien à ce que nous recevons de Dieu. Mais Dieu montre rétroactivement ce que, sans le qu'on le sache, contient ce rien : il est ce à partir quoi Dieu crée le monde, et crée le monde nouveau.

*

On voit bien ce qu’a reçu Joseph au bout du compte. Joseph a reçu énormément. Il a reçu celui qui est le pain de Dieu. Ce pain qui nourrit quiconque en mange, pour la vie éternelle, celui qui est la chair, la lumière et la Parole de Dieu, notre vie éternelle, le projet de Dieu pour nous.

Joseph a ainsi vu multiplier jusqu’à nous le peu qu’il a apporté, au fond la confiance en la parole qui lui a été adressée « ne crains pas », un accueil qui est lui même don de Dieu. Joseph a donc peu, en apparence, il n’a que sa confiance en ce que Dieu peut faire du « rien » qu’elle lui permet d’offrir… Un « rien » chargé d’un infini de richesse.

Vous savez, un des textes des évangiles où nous voyons se réaliser au-delà de Joseph, où l’on voit — j’allais dire — les restes de l’abondance que Dieu à multipliée à partir du rien de Joseph, c’est le récit de la multiplication des pains, où, du rien des disciples, Jésus nourrit son peuple, puis le monde… Rien : un peu de pain et de poisson, puis douze et sept paniers…

Matthieu 14
15 Le soir étant venu, les disciples s’approchèrent de lui, et dirent : Ce lieu est désert, et l’heure est déjà avancée ; renvoie la foule, afin qu’elle aille dans les villages, pour s’acheter des vivres.
16 Jésus leur répondit : Ils n’ont pas besoin de s’en aller ; donnez–leur vous–mêmes à manger.
17 Mais ils lui dirent : Nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons.
18 Et il dit : Apportez-les-moi.
19 Il fit asseoir la foule sur l’herbe, prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux vers le ciel, il rendit grâces. Puis, il rompit les pains et les donna aux disciples, qui les distribuèrent à la foule.
20 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta douze paniers pleins des morceaux qui restaient.
21 Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille hommes, sans les femmes et les enfants.

Et un peu plus tard :

Matthieu 15
33 Les disciples lui dirent : Comment nous procurer dans ce lieu désert assez de pains pour rassasier une si grande foule ?
34 Jésus leur demanda : Combien avez-vous de pains ? Sept, répondirent–ils, et quelques petits poissons.
35 Alors il fit asseoir la foule par terre,
36 prit les sept pains et les poissons, et, après avoir rendu grâces, il les rompit et les donna à ses disciples, qui les distribuèrent à la foule.
37 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta sept corbeilles pleines des morceaux qui restaient.
38 Ceux qui avaient mangé étaient quatre mille hommes, sans les femmes et les enfants.

Et à nous tous, il dit :

Matthieu 16
9 Etes-vous encore sans intelligence, et ne vous rappelez-vous plus les cinq pains des cinq mille hommes et combien de paniers vous avez emportés,
10 ni les sept pains des quatre mille hommes et combien de corbeilles vous avez emportées ?

Rien, en apparence, un peu de pain et de poisson. Et pourtant, à vue humaine, plus que ce qu’a apporté Joseph. Ça, c’est parce Joseph a sans doute plus de foi que nous. Il n’a même pas eu besoin du signe du pain et des poissons.

Au départ la parole de l’inexplicable, celle donnée à Joseph. Mais précisément, c’est le Dieu de l’inexplicable que Jésus nous fait rencontrer. Le Dieu de l’inexplicable qui fait entrer son fils dans le monde via le rien qu’offre Joseph, ce fils qui nourrit le monde et dont la parole s’étend au monde entier par la l’intermédiaire du rien que nous apportons à Dieu.

À nous d’apporter notre rien, qui repris par Dieu n’est rien moins que le matériau par lequel il déploie sa force créatrice et la promesse du monde nouveau.

RP
Antibes, 19.12.10


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