dimanche 13 juin 2010

Écoute…





Deutéronome 6, 4 :
Écoute, Israël ! Le Seigneur, notre Dieu, le Seigneur est un.

Romains 10, 13-14 :
13 Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.

14 Comment donc invoqueraient-ils celui en qui ils n’ont pas mis leur foi ? Et comment croiraient-ils en celui qu’ils n’ont pas entendu proclamer ? Et comment entendraient-ils, s’il n’y a personne pour proclamer ?

Luc 10, 21 :
À ce moment même, il fut transporté d’allégresse, sous l’action de l’Esprit saint, et il dit : Je te célèbre, Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que tu as caché ces choses aux sages et aux gens intelligents, et que tu les as révélées aux tout-petits. Oui, Père, parce que tel a été ton bon plaisir.

*

Après avoir accompagné, les années précédentes, notre fête de printemps de réflexions sur les arbres et plants bibliques et sur leurs fruits qui accompagnent nos réjouissances : vigne, olivier, figuier, blé… nous en venons aux sens qui accueillent leurs dons.

Le sens gustatif aussi sera mis à contribution bien sûr !… tout à l’heure, après le culte.

Mais le sens auditif vient en premier. Notre repas de cette fête de printemps de cette année se déroule donc autour d’une méditation sur le sens auditif, cette issue première par laquelle nous est communiqué l’Évangile. Car, quand on aborde la communication de l’Évangile via nos sens, il est à propos de considérer que l’ouïe par laquelle nous advient la parole annoncée est aussi un sens ! Contrairement à ce qu’on voudrait croire de façon évidemment erronée, notre intellect n’est pas seul sollicité, mais bien d’abord nos sens, notre corps, lors de l’audition de la parole évangélique… Cette même ouïe par laquelle nous sommes conduits à la contemplation ouverte par la musique — qui de degré en degré, de nos cantiques aux abstractions de Bach nous ouvre à la grâce et nous fait percevoir la splendeur du Royaume de Dieu…

Ici, avec la musique, il est question de notre réponse en louange, de la diffusion par notre art, pour notre sens auditif, d’un écho à une parole éternelle qui nous advient par nos sens, et donc en premier par l’ouïe.

Dès les origines, il est question de la parole, de la parole qui précède et fonde le monde quand elle est énoncée. « Au commencement était la parole » dit Jean 1, 1 en écho à la Genèse où Dieu parle et la chose advient : « Dieu dit que la lumière soit et la lumière fut ». On est alors avant même la création de l’oreille. Parlant d’une parole qui précède tout son. La parole précède le son et précède l’ouïe qui la reçoit !

L’ouïe la reçoit comme en écho : « écoute Israël », écho primordial.

Cela est « caché aux sages et aux gens intelligents, mais révélé aux tout-petits ».

« Les cieux racontent la gloire de Dieu, et l’étendue manifeste l’œuvre de ses mains. Le jour en instruit un autre jour, la nuit en donne connaissance à une autre nuit. Ce n’est pas un langage, ce ne sont pas des paroles dont le son ne soit point entendu » (Psaume 19, 1-3).

Car « qui entendra si personne n’énonce la parole » qui fait écho à la parole éternelle ? — un écho qui résonne à nos oreilles quand la parole est proclamée.

Une parole qui est infiniment au-delà des mots qui en énoncent l’écho dans le temps.

L’ouïe est ainsi non seulement le sens de la réception de la parole, mais puisque cette parole est au-delà de cette seule écoute, l’ouïe est aussi le sens de l’obéissance. Et l’oreille est l’organe de l’obéissance. Cela parce que la parole dont il est question est non seulement un écho de la parole éternelle, mais parce que cette parole éternelle précisément est au-delà de ce qu’on entend : elle crée. En termes psychologiques, on dirait qu’elle est performative.

La parole crée ce qu’elle prononce. La parole éternelle est reçue quand elle est obéie. Dieu dit, et la chose advient. Au point que le mot pour parole en hébreu, désigne aussi la chose.

L’écoute n’est donc pas une chose vaine, qui passe par une oreille et ressort par l’autre, mais elle crée ce qu’elle annonce. Et en premier lieu, elle crée la liberté en faisant venir à l’être qui la reçoit en obéissance.

Mais cela ne se peut que dans une énonciation compréhensible — c’est la proclamation intelligible, claire, qui est dans l’annonce dont parle Paul concernant l’Évangile, en écho au prophète Joël : «Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé». Comment entendront-ils si personne ne proclame, de façon intelligible, pour notre ouïe, cette parole ? — écho d’une parole éternelle qui est au-delà de toute compréhension, au point que le nom qui est porté dans la parole prononcée… est imprononçable !

Il se traduit en obéissance à une parole, obéissance dont le premier écho est la louange. Cela pour un hommage à la parole qui est au-delà même des mots qui la portent. Et donc, au bout du compte, une louange digne de la parole à laquelle elle fait écho — un écho porté à nos sens, à notre sens auditif, à notre ouïe — nous porte au delà des mots, nous ramène au-delà des mots.

Cet écho qui ramène au-delà des mots pour dire la louange d’une parole qui est au-delà des mots, c’est là la musique. Hommage sonore à une parole qui précède le son !

« La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu’encadrer ce silence », a dit le musicien de jazz Miles Davis.

Bel hommage à la parole éternelle qui résonne dans le silence et dont notre proclamation ne fait que dire l’écho sans lequel cette parole ne sera pas entendue. Réponse en louange dans des sons qui ont l’humilité de reconnaître qu’ils ne font qu’encadrer ce silence, musique primordiale dans laquelle retentit la parole qui précède tout son.

Voilà qui donne un rythme dont le premier temps précède le temps : la parole qui est avant le son, avant le monde, avant les mots : la parole créatrice.

Le deuxième temps est l’écho qui lui est fait dans la proclamation de la bonne nouvelle : cette parole est venue jusqu’à nous, jusqu’à nos sens, elle résonne à notre ouïe, à notre sens auditif.

Le troisième temps est cet autre écho que donne la louange. L’œuvre d’harmonisation, dans une abstraction logique et chiffrée que traduisent les notes est tension et prière qui désigne celui que l’on n’atteint pas, celui dont le nom est au-dessus de tout nom. Maître d’œuvre de cet ouvrage de l’Esprit : Bach, bien sûr, dont le philosophe Cioran, dans un des ces élans d’enthousiasme qui cinglent nos désespoirs qu’il sait si bien traduire, a dit que « Dieu lui doit tout » ! (In Syllogismes de l’amertume, p. 120) — sa musique devenant même pour Cioran la seule preuve de l’existence de Dieu ! (In Aveux et Anathèmes, p. 37.) Façon de souligner combien ses mises en son des chiffres de la création ont su merveilleusement rendre hommage à la parole issue du silence qu’ils ont pour tâche d’encadrer…

Ce rythme en trois temps donné à notre sens auditif nous conduit alors au cœur de la louange du Père qui du cœur du silence émet la parole créatrice dont le Fils est le dévoilement à nos sens de sorte que l’Esprit puisse lui ramener l’écho de nos louanges en actes et en paroles portées par la musique, en laquelle nous allons nous recueillir à présent… Bach, bien sûr.


RP
Vence 06.06.10,
Antibes 13.06.10


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