mardi 22 juin 2010

« De l'absolu et de ses caricatures »




1 Rois 12, 25 – 13, 10
25 Jéroboam bâtit Sichem dans la région montagneuse d'Ephraïm et il y habita ; puis il en sortit et bâtit Penouel.
26 Jéroboam se dit : Maintenant le royaume pourrait bien revenir à la maison de David,
27 si ce peuple monte à Jérusalem pour faire des sacrifices dans la maison du SEIGNEUR. Le cœur de ce peuple reviendra à son seigneur, à Roboam, roi de Juda ; ils me tueront et reviendront à Roboam, roi de Juda.
28 Après avoir pris conseil, le roi fit deux taurillons d'or et dit au peuple : Vous êtes assez montés à Jérusalem ! Voici tes dieux, Israël, ceux qui t'ont fait monter d'Égypte !
29 Il en plaça un à Beth-El et il mit l'autre à Dan.
30 Ce fut là un péché. Le peuple alla devant l'un d'eux jusqu'à Dan.
31 Jéroboam fit une maison de haut lieu et nomma prêtre n'importe qui, même ceux qui n'étaient pas des fils de Lévi.
32 Jéroboam fit une fête le quinzième jour du huitième mois, comme la fête qu'on célébrait en Juda, et il monta à l'autel. C'est ainsi qu'il agit à Beth-El, en sacrifiant aux taurillons qu'il avait faits. Il installa à Beth-El les prêtres des hauts lieux qu'il avait faits.
33 Il monta à l'autel qu'il avait fait à Beth-El, le quinzième jour du huitième mois, mois qu'il avait choisi de sa propre initiative. Il fit une fête pour les Israélites et monta à l'autel pour offrir de l'encens.

1 Un homme de Dieu arriva de Juda à Beth-El, par la parole du SEIGNEUR, pendant que Jéroboam se tenait debout devant l'autel pour offrir de l'encens.
2 Il cria contre l'autel, par la parole du SEIGNEUR : Autel ! autel ! ainsi parle le SEIGNEUR : Il naîtra un fils à la maison de David ; son nom sera Josias ; il sacrifiera sur toi les prêtres des hauts lieux qui offrent de l'encens, et on fera brûler sur toi des ossements humains !
3 Ce même jour, il donna un présage, en disant : Tel est le présage indiquant que c'est le SEIGNEUR qui parle : l'autel se fendra, et les cendres grasses qui sont dessus se répandront.
4 Lorsque le roi Jéroboam entendit la parole que l'homme de Dieu avait criée contre l'autel de Beth-El, il leva la main de dessus l'autel en disant : « Saisissez-le ! » Alors la main que Jéroboam avait levée contre lui fut paralysée ; il ne put la ramener à lui.
5 L'autel se fendit, et les cendres grasses qui étaient dessus se répandirent, selon le présage qu'avait donné l'homme de Dieu, par la parole du SEIGNEUR.
6 Le roi dit à l'homme de Dieu : Apaise donc le SEIGNEUR, ton Dieu, et prie pour moi, afin que ma main me revienne. L'homme de Dieu apaisa le SEIGNEUR, et la main du roi lui revint ; elle fut de nouveau comme par le passé.
7 Le roi dit à l'homme de Dieu : Entre avec moi dans la maison pour te restaurer, et je te donnerai un cadeau.
8 L'homme de Dieu dit au roi : Quand tu me donnerais la moitié de ta maison, je n'entrerais pas chez toi. Je ne mangerai rien, je ne boirai rien en ce lieu,
9 car cet ordre m'a été donné, par la parole du SEIGNEUR : « Tu ne mangeras rien, tu ne boiras rien, tu ne prendras pas à ton retour le chemin par lequel tu seras allé. »
10 Il s'en alla par un autre chemin, il ne prit pas à son retour le chemin par lequel il était venu à Beth-El.

*

Après le règne de David et de Salomon le royaume s'est scindé en deux. Le royaume de Juda sur le lequel règne Roboam, avec Jérusalem, siège du temple de Dieu au sud, le royaume d'Israël ou d'Ephraïm au Nord, sur lequel règne Jéroboam.

Ce dernier craint que le culte célébré à Jérusalem n'attire ses sujets. Son royaume peine à trouver un lieu de référence unificateur. Il a déplacé sa capitale de Sichem et Penouel, au-delà du Jourdain. Il va de même instaurer deux lieux de culte, à l'extrême nord de son royaume et aux frontières de Juda.

Autant de repères devant un risque de manque d'identité. Identité qui va être signifiée, comme il se doit, par la projection de soi-même, de son identité, en un objet cultuel, une idole.

Où l'on retrouve l'archétype de l'idole depuis l'Exode, le veau d'or, face à l'archétype du vrai temple, du vrai culte, le remède à idolâtrie. Selon la tradition juive lisant l'Exode, le modèle du sanctuaire donné à Moïse l'est en prévision de l'épisode du veau d'or. Le sanctuaire qui sera édifié ensuite, avec ses sacrifices et son rituel confiés aux lévites, le seront en remède à cette chute qu'est le moment du veau d'or, racine et signe de toute idolâtrie en Israël.

Et Jéroboam de construire ses autels avec ses rites, de mettre en place ses célébrants (non-lévites) et ses jours de fêtes « selon la propre initiative », et non selon le modèle-remède révélé dans l'Exode.

Culte selon sa propre initiative, à sa propre image, donc, autant de veaux d'or, voilà ce qu'est le culte identitaire mis en place par Jéroboam, qui va donc subir les foudres de l'homme de Dieu venu vers lui, qui va prononcer le nom du roi Josias, futur et lointain réformateur du culte de Juda, après la chute du royaume d'Israël, et archétype en Juda du roi réformateur, instaurant un retour radical au culte mosaïque, en refus radical de toute idolâtrie.

La prophétie contre l'autel du veau d'or débouche sur la paralysie de son officiant royal, qui ne sera guéri, en vérification de son porte-parole, que sur sa parole à lui, qui refuse toute légitimité à Jéroboam et à son culte, jusqu'à décliner toute hospitalité de sa part.

Telle était la prophétie : « l'autel se fendra, et les cendres grasses qui sont dessus se répandront » (ch. 13, v. 3), réalisée (v. 5).

… Tout comme comme la rupture de l'idolâtrie consiste en une scission entre soi et soi, entre ses certitudes cultuelles et identitaires et le Dieu qui est au-delà de tout nom, qui ne correspond à aucune projection infinie de soi, à aucun veau d'or...


« De l'absolu et de ses caricatures »
(Cioran, Exercices négatifs, Gallimard 2005, p, 21-22) :

« Ce n'est pas tâche ardue que d'être fou: il suffit d'une adhérence totale à quoi que ce soit. Supprimée la distance entre l'homme et ce qu'il est ou ce qu'il croit, rien ne le sépare plus de cet état de fidélité sans réserve à soi-même où s'épanouit l'aliéné; pourtant l'asile n'est réservé qu'à ceux qui exagèrent, qui mènent la sincérité jusqu'à ses limites: parole devenant ainsi inséparable de l'acte. Les autres, l'immense quantité qui circule librement, gardent comme un infime pressentiment de doute, interposant un imperceptible intervalle entre leurs envies secrètes et le passage à l'accomplissement. Ce que nous poursuivons nous tendons à le convertir en inconditionné: d'un être, d'une opinion ou d'un objet, il n'est pas en notre pouvoir de ne pas faire une idole; la vie, dans sa diversité, est une coexistence d'idolâtries contradictoires, presque toujours grotesques et quelquefois sublimes. Tout imite un dieu; nos croyances, de quelque nature qu'elles soient, prolifèrent des caricatures d'absolu. De notre audace, grande ou petite, à nous y assimiler, dépend notre proximité ou éloignement de nos frères déraisonnables, qui eux, sont ce qu'ils croient. Sur le plan de l'adhésion, ils se révèlent les moins ratés de tous ceux qui ont entrepris ce grand travail de l'illusion auquel personne ne peut se soustraire sans risques.
Pourtant il en est qui ne fuient pas ces risques, qui ne veulent pas de cette folie douce ou furieuse où les autres, poussés par les dieux qu'ils cachent dans leur sang, se complaisent dans l'invention de nouvelles idolâtries.
Mais le doute n'est pas facile dans ce jardin de démence où les fruits de l'incorrigible espoir tentent nos appétits et exaspèrent nos soifs. Notre dignité consiste à élargir les distances qui nous éloignent des choses et des êtres. La fonction de l'homme séparé est de s'appliquer partout à la création d'intervalles. Et quand ces intervalles sont suffisamment profonds, il n'est plus complice. »

RP,
Roquefort, CP,
22.06.10


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire