dimanche 27 juin 2010

"Pas où poser la tête"





Psaume 16 ; Galates 5, 1-18 ;

1 R 19, 19-21
19 [Élie] trouva Élisée, fils de Shafath, qui labourait; il avait à labourer douze arpents, et il en était au douzième. Élie passa près de lui et jeta son manteau sur lui.
20 Élisée abandonna les bœufs, courut après Élie et dit: "Permets que j’embrasse mon père et ma mère et je te suivrai." Élie lui dit: "Va ! retourne ! Que t’ai-je donc fait?"
21 Élisée s’en retourna sans le suivre, prit la paire de bœufs qu’il offrit en sacrifice; avec l’attelage des bœufs, il fit cuire leur viande qu’il donna à manger aux siens. Puis il se leva, suivit Élie et fut à son service.

Luc 9, 51-62

51 Or, comme arrivait le temps où il allait être enlevé du monde, Jésus prit résolument la route de Jérusalem.
52 Il envoya des messagers devant lui. Ceux-ci s’étant mis en route entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue.
53 Mais on ne l’accueillit pas, parce qu’il faisait route vers Jérusalem.
54 Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent: "Seigneur, veux-tu que nous disions que le feu tombe du ciel et les consume?"
55 Mais lui, se retournant, les réprimanda.
56 Et ils firent route vers un autre village.
57 Comme ils étaient en route, quelqu’un dit à Jésus en chemin: "Je te suivrai partout où tu iras."
58 Jésus lui dit: "Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où poser la tête."
59 Il dit à un autre: "Suis-moi." Celui-ci répondit: "Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père."
60 Mais Jésus lui dit: "Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de Dieu."
61 Un autre encore lui dit: "Je vais te suivre, Seigneur; mais d’abord permets-moi de faire mes adieux à ceux de ma maison."
62 Jésus lui dit: "Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de Dieu."
*

On ne s’improvise pas disciple de Jésus. C’est lui qui appelle. On ne le suit que parce qu’on a entendu son appel.

Voilà un homme qui désire le suivre. Et, oh surprise, Jésus, tente de le décourager ! On l’imaginerait volontiers s’enthousiasmant de la spontanéité de l’homme : « mais bien, sûr, viens, on recrute. La moisson est immense et il y a peu d’ouvrier… »

Mais non ! Si tu me suis, l’avertit Jésus, tu n’auras « pas où poser la tête ». Pire que les bêtes, qui ont des tanières. Avec moi, rien de tout cela… Dur !

C’est en nous ayant bien avertis de cela, en ayant bien précisé les choses, qu’il lance son appel. Il dit à un autre : « suis-moi. » C’est lui qui appelle, et personne d’autre qui déciderait.

Et quand il appelle, quand on a entendu sa voix, il faut tout laisser, sachant ce qu’il en est. Tout laisser, même ce qui semblerait accomplissement d’une évidence, de la bienséance, en fait un devoir : enterrer son père !

Tout laisser. Ici Jésus renvoie à Élie, au texte que nous avons lu. La présence d’Élie est fort prégnante dans tout notre passage. N’oublions pas que Jésus vient de rabrouer ses disciples voulant faire tomber le feu du ciel sur les récalcitrants ; il vient de les rabrouer au nom d’Élie découvrant le visage de Dieu dans le souffle doux et léger, là où croyant imiter Élie, ils voulaient jouer les prophètes guerriers.

Élie, donc, ici aussi. On a entendu le passage du livre des Rois. Le passage de la vocation d’Élisée. Élisée a entendu la voix silencieuse de Dieu. Élie n’a rien dit ; il a simplement jeté son manteau sur lui. Et Élisée a compris, non pas ce qu’Élie n’a pas dit : il ne l’a pas dit ! Élisée a perçu l’appel de Dieu, au-delà du geste d’Élie.

Et il décide de le suivre. Et pour cela, d’aller faire ses adieux à son père et à sa mère. Quoi de plus normal ! Ici Jésus s’est fait exégète de la Bible : il cite indirectement, devant celui qu’il appelle, ce passage que ses auditeurs connaissent sans doute bien, pour qu’ils comprennent bien. « Permets que j’embrasse mon père et ma mère et je te suivrai », a répondu Élisée. Et Élie lui dit : « Va ! Retourne ! Que t’ai-je donc fait ? ». Ou en d’autres termes : « je ne t’ai rien demandé ! »

C’est Dieu qui appelle, et personne d’autre. Voilà la façon dont Jésus a lu le passage de la vocation d’Élisée, perçue au seul frôlement du manteau d’Élie qui ne lui a effectivement rien demandé.

Ce qui ne veut pas dire, évidemment, cela va sans dire, que Jésus, ou avant lui Élie, enseignent la muflerie, l’impolitesse ou la non-reconnaissance. Cela veut dire que dans le temps, dans notre temps, il y a un avant et un après l’appel de Dieu. Et qu’entre cet avant et cet après, il y a un abîme. On est d’un côté ou de l’autre.

Élisée l’a compris, et quand il retourne embrasser ses parents, c’est pour lui l’occasion de brûler tous les ponts qui seraient censés lui permettre de retourner avant cet appel. Il le signifie en brûlant son outil de travail, le consacrant à Dieu pour nourrir ceux qui ont faim : il « prit la paire de bœufs qu’il offrit en sacrifice ; avec l’attelage des bœufs, il fit cuire leur viande qu’il donna à manger aux siens. Puis il se leva, suivit Élie et fut à son service. »

C’est ce que Jésus redit. En en soulignant toute la radicalité : « Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de Dieu. » Et pour que les choses soient bien claires, à cet autre, qui a compris la référence, et qui à son tour lui cite quasi-explicitement le texte sur Élie et Élisée :

« Seigneur ; permets-moi de faire mes adieux » : « quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de Dieu. » Élisée était laboureur, tu seras laboureur du champ de Dieu ; comme il a dit à d’autres, pécheurs de poisson ceux-là : « je vous ferai pécheur d’hommes ». C’est ainsi que Jésus envoie ceux qu’il appelle.

Laboureur du champ de Dieu. Et dans le champ de Dieu, les sillons ne peuvent qu’être droits. Parenthèse personnelle : mon père a connu le labour à traction animale. Et, m’a t-il dit, une chose indispensable pour ce dur travail, où il faut bien appuyer sur la charrue qui ne s’enfonce pas seule, c’est de fixer le bout de la ligne, parce que le bœuf, lui, ne va pas spontanément tout droit. La charrue va où regarde le laboureur. Les hommes de la terre auxquels s’adressait Jésus savaient bien l’effet d’un labourage où l’on regarderait en arrière : ça revient à faire du n’importe quoi ! Eh bien dans le champ de Dieu, à plus forte raison, c’est la même chose !

Voilà qui explique ce qu’il vient de dire sur les morts et ceux qui les enterrent. C’est bien dans l’esprit de ce que dit la Bible sur Élie et Élisée. Ne pas enterrer les morts, ne signifie pas qu’il s’agit d’éviter les enterrements et de ne pas accomplir son devoir d’accompagner les siens dans le deuil et les larmes, évidemment.

C’est une façon de dire, puisqu’il s’agit du champ de Dieu, du champ qu’est son Royaume, que ce Règne, celui de Dieu, n’est pas derrière nous, dans les souvenirs et la nostalgie : « ne cherche pas parmi les morts celui qui est le vivant », dira l’ange à Marie de Magdala au dimanche de Pâques : il n’est pas ici, il est ressuscité.

Pour les disciples de Jésus, puisqu’il ne saurait y avoir de culte du tombeau vide, ni de son linceul, il ne saurait à plus forte raison y avoir pas de culte du passé, aussi glorieux soit-il. (Ou aussi tendre ait-il été, pour un passé familial, ici.) Le Royaume de Dieu n’est pas dans le passé.

Dans le passé, il n’y a au pire que nostalgie, vaine, si, pire encore, elle n’est pas carrément morbide. Il n’y a là au pire que nostalgie (et à ce point, le rapport au passé n’a de sens que comme repentance : à savoir laisser le passé et se tourner vers l’appel de Dieu).

Et au mieux, il y a là simplement leçon à entendre, comme l’a fait Jésus de la leçon d’Élie — puisque ceux qui ignorent leur passé sont condamnés à le répéter. Ce qui revient à tracer des sillons tordus.

Il n’y a dans le passé, aucun avenir ; il n’y a d’avenir qui s’ouvre qu’en ayant les regards fixés sur l’horizon, les regards fixés sur Jésus, dit l’épître aux Hébreux. Il n’y a dans le passé, aucun avenir et surtout, aucun présent : car l’avenir qu’ouvre Jésus à ses disciples, à nous si nous entendons son appel, l’avenir qu’il nous ouvre est au présent : c’est aujourd’hui le règne de Dieu ; le Règne de Dieu est au milieu de vous. Et il nous y envoie en mission : allez le dire, et le vivre.

Aujourd’hui son appel nous est lancé. Des signes, comme le manteau l’Élie, des paroles signifiées dans des gestes... C’est lui qui appelle, et lui seul, on ne décide pas de le suivre, mais pour celui, pour celle qui a entendu son appel, c’en est fini, il n’y a plus d’hier. Il n’y a plus qu’un sillon qui ouvre le Royaume, aujourd’hui présent au milieu de nous.

R.P.,
Vence, 27.06.10


mardi 22 juin 2010

« De l'absolu et de ses caricatures »




1 Rois 12, 25 – 13, 10
25 Jéroboam bâtit Sichem dans la région montagneuse d'Ephraïm et il y habita ; puis il en sortit et bâtit Penouel.
26 Jéroboam se dit : Maintenant le royaume pourrait bien revenir à la maison de David,
27 si ce peuple monte à Jérusalem pour faire des sacrifices dans la maison du SEIGNEUR. Le cœur de ce peuple reviendra à son seigneur, à Roboam, roi de Juda ; ils me tueront et reviendront à Roboam, roi de Juda.
28 Après avoir pris conseil, le roi fit deux taurillons d'or et dit au peuple : Vous êtes assez montés à Jérusalem ! Voici tes dieux, Israël, ceux qui t'ont fait monter d'Égypte !
29 Il en plaça un à Beth-El et il mit l'autre à Dan.
30 Ce fut là un péché. Le peuple alla devant l'un d'eux jusqu'à Dan.
31 Jéroboam fit une maison de haut lieu et nomma prêtre n'importe qui, même ceux qui n'étaient pas des fils de Lévi.
32 Jéroboam fit une fête le quinzième jour du huitième mois, comme la fête qu'on célébrait en Juda, et il monta à l'autel. C'est ainsi qu'il agit à Beth-El, en sacrifiant aux taurillons qu'il avait faits. Il installa à Beth-El les prêtres des hauts lieux qu'il avait faits.
33 Il monta à l'autel qu'il avait fait à Beth-El, le quinzième jour du huitième mois, mois qu'il avait choisi de sa propre initiative. Il fit une fête pour les Israélites et monta à l'autel pour offrir de l'encens.

1 Un homme de Dieu arriva de Juda à Beth-El, par la parole du SEIGNEUR, pendant que Jéroboam se tenait debout devant l'autel pour offrir de l'encens.
2 Il cria contre l'autel, par la parole du SEIGNEUR : Autel ! autel ! ainsi parle le SEIGNEUR : Il naîtra un fils à la maison de David ; son nom sera Josias ; il sacrifiera sur toi les prêtres des hauts lieux qui offrent de l'encens, et on fera brûler sur toi des ossements humains !
3 Ce même jour, il donna un présage, en disant : Tel est le présage indiquant que c'est le SEIGNEUR qui parle : l'autel se fendra, et les cendres grasses qui sont dessus se répandront.
4 Lorsque le roi Jéroboam entendit la parole que l'homme de Dieu avait criée contre l'autel de Beth-El, il leva la main de dessus l'autel en disant : « Saisissez-le ! » Alors la main que Jéroboam avait levée contre lui fut paralysée ; il ne put la ramener à lui.
5 L'autel se fendit, et les cendres grasses qui étaient dessus se répandirent, selon le présage qu'avait donné l'homme de Dieu, par la parole du SEIGNEUR.
6 Le roi dit à l'homme de Dieu : Apaise donc le SEIGNEUR, ton Dieu, et prie pour moi, afin que ma main me revienne. L'homme de Dieu apaisa le SEIGNEUR, et la main du roi lui revint ; elle fut de nouveau comme par le passé.
7 Le roi dit à l'homme de Dieu : Entre avec moi dans la maison pour te restaurer, et je te donnerai un cadeau.
8 L'homme de Dieu dit au roi : Quand tu me donnerais la moitié de ta maison, je n'entrerais pas chez toi. Je ne mangerai rien, je ne boirai rien en ce lieu,
9 car cet ordre m'a été donné, par la parole du SEIGNEUR : « Tu ne mangeras rien, tu ne boiras rien, tu ne prendras pas à ton retour le chemin par lequel tu seras allé. »
10 Il s'en alla par un autre chemin, il ne prit pas à son retour le chemin par lequel il était venu à Beth-El.

*

Après le règne de David et de Salomon le royaume s'est scindé en deux. Le royaume de Juda sur le lequel règne Roboam, avec Jérusalem, siège du temple de Dieu au sud, le royaume d'Israël ou d'Ephraïm au Nord, sur lequel règne Jéroboam.

Ce dernier craint que le culte célébré à Jérusalem n'attire ses sujets. Son royaume peine à trouver un lieu de référence unificateur. Il a déplacé sa capitale de Sichem et Penouel, au-delà du Jourdain. Il va de même instaurer deux lieux de culte, à l'extrême nord de son royaume et aux frontières de Juda.

Autant de repères devant un risque de manque d'identité. Identité qui va être signifiée, comme il se doit, par la projection de soi-même, de son identité, en un objet cultuel, une idole.

Où l'on retrouve l'archétype de l'idole depuis l'Exode, le veau d'or, face à l'archétype du vrai temple, du vrai culte, le remède à idolâtrie. Selon la tradition juive lisant l'Exode, le modèle du sanctuaire donné à Moïse l'est en prévision de l'épisode du veau d'or. Le sanctuaire qui sera édifié ensuite, avec ses sacrifices et son rituel confiés aux lévites, le seront en remède à cette chute qu'est le moment du veau d'or, racine et signe de toute idolâtrie en Israël.

Et Jéroboam de construire ses autels avec ses rites, de mettre en place ses célébrants (non-lévites) et ses jours de fêtes « selon la propre initiative », et non selon le modèle-remède révélé dans l'Exode.

Culte selon sa propre initiative, à sa propre image, donc, autant de veaux d'or, voilà ce qu'est le culte identitaire mis en place par Jéroboam, qui va donc subir les foudres de l'homme de Dieu venu vers lui, qui va prononcer le nom du roi Josias, futur et lointain réformateur du culte de Juda, après la chute du royaume d'Israël, et archétype en Juda du roi réformateur, instaurant un retour radical au culte mosaïque, en refus radical de toute idolâtrie.

La prophétie contre l'autel du veau d'or débouche sur la paralysie de son officiant royal, qui ne sera guéri, en vérification de son porte-parole, que sur sa parole à lui, qui refuse toute légitimité à Jéroboam et à son culte, jusqu'à décliner toute hospitalité de sa part.

Telle était la prophétie : « l'autel se fendra, et les cendres grasses qui sont dessus se répandront » (ch. 13, v. 3), réalisée (v. 5).

… Tout comme comme la rupture de l'idolâtrie consiste en une scission entre soi et soi, entre ses certitudes cultuelles et identitaires et le Dieu qui est au-delà de tout nom, qui ne correspond à aucune projection infinie de soi, à aucun veau d'or...


« De l'absolu et de ses caricatures »
(Cioran, Exercices négatifs, Gallimard 2005, p, 21-22) :

« Ce n'est pas tâche ardue que d'être fou: il suffit d'une adhérence totale à quoi que ce soit. Supprimée la distance entre l'homme et ce qu'il est ou ce qu'il croit, rien ne le sépare plus de cet état de fidélité sans réserve à soi-même où s'épanouit l'aliéné; pourtant l'asile n'est réservé qu'à ceux qui exagèrent, qui mènent la sincérité jusqu'à ses limites: parole devenant ainsi inséparable de l'acte. Les autres, l'immense quantité qui circule librement, gardent comme un infime pressentiment de doute, interposant un imperceptible intervalle entre leurs envies secrètes et le passage à l'accomplissement. Ce que nous poursuivons nous tendons à le convertir en inconditionné: d'un être, d'une opinion ou d'un objet, il n'est pas en notre pouvoir de ne pas faire une idole; la vie, dans sa diversité, est une coexistence d'idolâtries contradictoires, presque toujours grotesques et quelquefois sublimes. Tout imite un dieu; nos croyances, de quelque nature qu'elles soient, prolifèrent des caricatures d'absolu. De notre audace, grande ou petite, à nous y assimiler, dépend notre proximité ou éloignement de nos frères déraisonnables, qui eux, sont ce qu'ils croient. Sur le plan de l'adhésion, ils se révèlent les moins ratés de tous ceux qui ont entrepris ce grand travail de l'illusion auquel personne ne peut se soustraire sans risques.
Pourtant il en est qui ne fuient pas ces risques, qui ne veulent pas de cette folie douce ou furieuse où les autres, poussés par les dieux qu'ils cachent dans leur sang, se complaisent dans l'invention de nouvelles idolâtries.
Mais le doute n'est pas facile dans ce jardin de démence où les fruits de l'incorrigible espoir tentent nos appétits et exaspèrent nos soifs. Notre dignité consiste à élargir les distances qui nous éloignent des choses et des êtres. La fonction de l'homme séparé est de s'appliquer partout à la création d'intervalles. Et quand ces intervalles sont suffisamment profonds, il n'est plus complice. »

RP,
Roquefort, CP,
22.06.10


dimanche 20 juin 2010

"Et vous, qui dites-vous que je suis ?"





Zacharie 12, 10-13:1 ; Psaume 63 ; Galates 3, 26-29 ;


Luc 9, 18-24
18 Or, comme il était en prière à l'écart,
les disciples étaient avec lui, et il les interrogea : "Qui suis-je au dire des foules?"
19 Ils répondirent : "Jean le Baptiste; pour d'autres, Élie; pour d'autres, tu es un prophète d'autrefois qui est ressuscité."
20 Il leur dit : "Et vous, qui dites-vous que je suis ?"
Pierre, prenant la parole, répondit : "Le Christ de Dieu."
21 Et lui, avec sévérité, leur ordonna de ne le dire à personne,
22 en expliquant : "Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort et que, le troisième jour, il ressuscite."
23 Puis il dit à tous : "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu'il me suive.
24 En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera.

*

Que dit-on de moi ? — Jésus est-il si soucieux de ce qu'on pense de lui ? Cherche-t-il la notoriété ?

« Que dit-on de moi ? Et vous, que dites-vous de moi ? » Que de questions ! Sur sa propre personne.

En termes contemporains, est-il victime du syndrome qui veut que l'on n'existe que… dans la célébrité et les opinions positives, ou si l'on « passe à la télé » ?

Vous connaissez bien sûr la réponse. La question contient en elle-même le ridicule d’une réponse affirmative ! Et on peut en dire autant de tous les lieux à la mode où l’on paraît…

*

Là n'est pas le souci de Jésus — « gagner le monde » ! — lui qui n'a même pas pris soin de laisser ne serait-ce qu'un Testament écrit, pas même de sa propre pensée.

Et même, allons un peu plus loin, ces questions de Jésus ne répondent évidemment pas à une inquiétude quant à sa popularité, mais au contraire, à ce que, la connaissant, il s'en agace : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » demande t-il à Pierre.

Et Pierre, répondant : « Le Christ de Dieu », Jésus, avec sévérité, leur ordonna de ne le dire à personne, en expliquant : « Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort » (v. 22).

Et il s'agace d'une popularité dont il sait non seulement la vanité, mais aussi en ce qui le concerne, qu'elle est signe de sa prochaine persécution. Et que de toutes façons le mot « Christ », « doté de l’onction divine », « Messie », qui la déclenchera est compris de travers…

Persécution, mépris — que sais-je encore ? —, seront bientôt son lot, et le lot, avertit-il, de quiconque voudra le suivre. Jésus a posé cette série de questions pour en arriver là : redire aux disciples et à quiconque veut le suivre que pour un disciple la popularité est mauvais signe.

Plus encore, elle est un piège, celui des flatteurs, qui veulent surtout n'être pas remis en question par l'Évangile et qui veulent faire taire son porte-parole : rappelez-vous le corbeau et le renard : «tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute» ; rappelez-vous, en ce même Luc, au ch. 6 :

« Heureux êtes-vous lorsque les hommes vous haïssent, lorsqu'ils vous rejettent et qu'ils insultent et proscrivent votre nom comme infâme, à cause du Fils de l'homme.
Réjouissez-vous ce jour-là et bondissez de joie, car voici, votre récompense est grande dans le ciel ; c'est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les prophètes.
Mais "Malheureux êtes-vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous : c'est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les faux prophètes. »


Non que l'impopularité soit à rechercher, évidemment ! — mais Jésus nous a mis en garde : l'Évangile est l'inverse d’un bon « audimat ».

Et c'est ici qu'il faut en venir à ce petit détail, en début de notre texte : Jésus était en prière à l'écart.

Là est un point essentiel : on est soi-même avec toute sa valeur non pas dans la célébrité, y compris d'ailleurs dans les célébrités de village ou de quartier, mais dans l'intimité du regard de Dieu : en prière à l'écart, avec Jésus. Et non avec la foule des acclamateurs-girouettes.

En prière à l'écart, là est le fondement, le cœur secret de notre mission.

Alors il dit à tous : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu'il me suive. En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera » (v. 24).

Et là, on arrive au cœur de son propos : au-delà de tout ce que l’on vient de voir, il s’agit pour lui de situer ses disciples face à lui seul — « Et vous, qui dites-vous que je suis ? », c’est cela qui importe et non pas « que dit-on de moi ? » — Se situer face à lui sans tergiverser, malgré sa réputation déplorable pour des lendemains catastrophiques ; bref, quoique cela coûte.

« À ce point, tout a changé. On est passé de ce que disent et pensent les hommes ou les foules, à ce que « vous, vous dites ». On passe de « on » à « toi », de l'admiration plus ou moins béate mais finalement pas dérangeante, à la mise en question.

Jésus refuse toute réponse anonyme ; Jésus n'a que faire d’une réponse admirative, mais qui, dans une heure, sera oubliée, et qui, finalement n'aura guère de conséquences dans les vies ; les foules bientôt crucifieuses rangeront par la suite ce « grand homme » dans leur mémoire comme on range des photos de grands hommes. Et dans la galerie des grands personnages, il y en aura un de plus.

Et cela n’intéresse pas Jésus. Il veut une réponse personnelle (toi ! moi !), une réponse qui engage, qui compromet pour toujours. Une réponse où tout change dans la vie de celui qui la formule. Une réponse comme celle que va donner de Pierre. « Tu es le Christ de Dieu », et qui veut dire concrètement : tu es mon Seigneur ; tu es celui qui est au cœur de ma foi, celui qui donne un sens à ma vie et à mon histoire ; celui en dehors de qui je ne peux plus désormais trouver des raisons de vivre. »

Si Jésus a fait bien des choses étonnantes jusqu'ici, il n'avait, apparemment, rien fait de décisif qui le fasse confesser comme Christ. Il requiert à présent une réponse qui joue toute notre vie. C'est ça, la foi, et c'est ce qui la différencie de l'admiration qui n'est jamais que sa mauvaise copie, d'autant plus dangereuse qu'elle permet d'esquiver Jésus et d'esquiver son salut.

Alors la foi (même fragile) étant arrivée, Jésus affirmera que l'heure est aussi arrivée de révéler quel sera le Christ et quel sera le signe de son règne : beaucoup souffrir ; être rejeté par les responsables en place ; être mis à mort (alors qu'il semblait devoir être porté aux nues) ; et être ressuscité. »

C’est la question qui nous est posée, à nous aussi aujourd’hui, et dont la réponse correspond à rien moins qu’à un engagement : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? »


R.P.
Antibes, 20 juin 2010


dimanche 13 juin 2010

Écoute…





Deutéronome 6, 4 :
Écoute, Israël ! Le Seigneur, notre Dieu, le Seigneur est un.

Romains 10, 13-14 :
13 Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.

14 Comment donc invoqueraient-ils celui en qui ils n’ont pas mis leur foi ? Et comment croiraient-ils en celui qu’ils n’ont pas entendu proclamer ? Et comment entendraient-ils, s’il n’y a personne pour proclamer ?

Luc 10, 21 :
À ce moment même, il fut transporté d’allégresse, sous l’action de l’Esprit saint, et il dit : Je te célèbre, Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que tu as caché ces choses aux sages et aux gens intelligents, et que tu les as révélées aux tout-petits. Oui, Père, parce que tel a été ton bon plaisir.

*

Après avoir accompagné, les années précédentes, notre fête de printemps de réflexions sur les arbres et plants bibliques et sur leurs fruits qui accompagnent nos réjouissances : vigne, olivier, figuier, blé… nous en venons aux sens qui accueillent leurs dons.

Le sens gustatif aussi sera mis à contribution bien sûr !… tout à l’heure, après le culte.

Mais le sens auditif vient en premier. Notre repas de cette fête de printemps de cette année se déroule donc autour d’une méditation sur le sens auditif, cette issue première par laquelle nous est communiqué l’Évangile. Car, quand on aborde la communication de l’Évangile via nos sens, il est à propos de considérer que l’ouïe par laquelle nous advient la parole annoncée est aussi un sens ! Contrairement à ce qu’on voudrait croire de façon évidemment erronée, notre intellect n’est pas seul sollicité, mais bien d’abord nos sens, notre corps, lors de l’audition de la parole évangélique… Cette même ouïe par laquelle nous sommes conduits à la contemplation ouverte par la musique — qui de degré en degré, de nos cantiques aux abstractions de Bach nous ouvre à la grâce et nous fait percevoir la splendeur du Royaume de Dieu…

Ici, avec la musique, il est question de notre réponse en louange, de la diffusion par notre art, pour notre sens auditif, d’un écho à une parole éternelle qui nous advient par nos sens, et donc en premier par l’ouïe.

Dès les origines, il est question de la parole, de la parole qui précède et fonde le monde quand elle est énoncée. « Au commencement était la parole » dit Jean 1, 1 en écho à la Genèse où Dieu parle et la chose advient : « Dieu dit que la lumière soit et la lumière fut ». On est alors avant même la création de l’oreille. Parlant d’une parole qui précède tout son. La parole précède le son et précède l’ouïe qui la reçoit !

L’ouïe la reçoit comme en écho : « écoute Israël », écho primordial.

Cela est « caché aux sages et aux gens intelligents, mais révélé aux tout-petits ».

« Les cieux racontent la gloire de Dieu, et l’étendue manifeste l’œuvre de ses mains. Le jour en instruit un autre jour, la nuit en donne connaissance à une autre nuit. Ce n’est pas un langage, ce ne sont pas des paroles dont le son ne soit point entendu » (Psaume 19, 1-3).

Car « qui entendra si personne n’énonce la parole » qui fait écho à la parole éternelle ? — un écho qui résonne à nos oreilles quand la parole est proclamée.

Une parole qui est infiniment au-delà des mots qui en énoncent l’écho dans le temps.

L’ouïe est ainsi non seulement le sens de la réception de la parole, mais puisque cette parole est au-delà de cette seule écoute, l’ouïe est aussi le sens de l’obéissance. Et l’oreille est l’organe de l’obéissance. Cela parce que la parole dont il est question est non seulement un écho de la parole éternelle, mais parce que cette parole éternelle précisément est au-delà de ce qu’on entend : elle crée. En termes psychologiques, on dirait qu’elle est performative.

La parole crée ce qu’elle prononce. La parole éternelle est reçue quand elle est obéie. Dieu dit, et la chose advient. Au point que le mot pour parole en hébreu, désigne aussi la chose.

L’écoute n’est donc pas une chose vaine, qui passe par une oreille et ressort par l’autre, mais elle crée ce qu’elle annonce. Et en premier lieu, elle crée la liberté en faisant venir à l’être qui la reçoit en obéissance.

Mais cela ne se peut que dans une énonciation compréhensible — c’est la proclamation intelligible, claire, qui est dans l’annonce dont parle Paul concernant l’Évangile, en écho au prophète Joël : «Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé». Comment entendront-ils si personne ne proclame, de façon intelligible, pour notre ouïe, cette parole ? — écho d’une parole éternelle qui est au-delà de toute compréhension, au point que le nom qui est porté dans la parole prononcée… est imprononçable !

Il se traduit en obéissance à une parole, obéissance dont le premier écho est la louange. Cela pour un hommage à la parole qui est au-delà même des mots qui la portent. Et donc, au bout du compte, une louange digne de la parole à laquelle elle fait écho — un écho porté à nos sens, à notre sens auditif, à notre ouïe — nous porte au delà des mots, nous ramène au-delà des mots.

Cet écho qui ramène au-delà des mots pour dire la louange d’une parole qui est au-delà des mots, c’est là la musique. Hommage sonore à une parole qui précède le son !

« La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu’encadrer ce silence », a dit le musicien de jazz Miles Davis.

Bel hommage à la parole éternelle qui résonne dans le silence et dont notre proclamation ne fait que dire l’écho sans lequel cette parole ne sera pas entendue. Réponse en louange dans des sons qui ont l’humilité de reconnaître qu’ils ne font qu’encadrer ce silence, musique primordiale dans laquelle retentit la parole qui précède tout son.

Voilà qui donne un rythme dont le premier temps précède le temps : la parole qui est avant le son, avant le monde, avant les mots : la parole créatrice.

Le deuxième temps est l’écho qui lui est fait dans la proclamation de la bonne nouvelle : cette parole est venue jusqu’à nous, jusqu’à nos sens, elle résonne à notre ouïe, à notre sens auditif.

Le troisième temps est cet autre écho que donne la louange. L’œuvre d’harmonisation, dans une abstraction logique et chiffrée que traduisent les notes est tension et prière qui désigne celui que l’on n’atteint pas, celui dont le nom est au-dessus de tout nom. Maître d’œuvre de cet ouvrage de l’Esprit : Bach, bien sûr, dont le philosophe Cioran, dans un des ces élans d’enthousiasme qui cinglent nos désespoirs qu’il sait si bien traduire, a dit que « Dieu lui doit tout » ! (In Syllogismes de l’amertume, p. 120) — sa musique devenant même pour Cioran la seule preuve de l’existence de Dieu ! (In Aveux et Anathèmes, p. 37.) Façon de souligner combien ses mises en son des chiffres de la création ont su merveilleusement rendre hommage à la parole issue du silence qu’ils ont pour tâche d’encadrer…

Ce rythme en trois temps donné à notre sens auditif nous conduit alors au cœur de la louange du Père qui du cœur du silence émet la parole créatrice dont le Fils est le dévoilement à nos sens de sorte que l’Esprit puisse lui ramener l’écho de nos louanges en actes et en paroles portées par la musique, en laquelle nous allons nous recueillir à présent… Bach, bien sûr.


RP
Vence 06.06.10,
Antibes 13.06.10


vendredi 11 juin 2010

La liberté de l'Esprit





Actes 11
1 Les apôtres et les frères qui étaient en Judée apprirent que les non-Juifs aussi avaient accueilli la parole de Dieu.
2 Lorsque Pierre fut monté à Jérusalem, les circoncis le prirent à partie
3 en disant : Tu es entré chez des incirconcis et tu as mangé avec eux !
4 Alors Pierre se mit à leur présenter cet exposé suivi :
5 Moi, j'étais dans la ville de Joppé et je priais lorsque, en extase, j'ai eu une vision : un objet descendait, semblable à une toile tenue par les quatre coins, qui s'abaissait depuis le ciel et vint jusqu'à moi.
6 En la fixant avec attention, j'y ai vu les quadrupèdes de la terre, les bêtes sauvages, les reptiles et les oiseaux du ciel.
7 J'ai aussi entendu une voix qui me disait : Lève-toi, Pierre, abats et mange !
8 J'ai répondu : En aucun cas, Seigneur ! Jamais rien de souillé ou d'impur n'est entré dans ma bouche !
9 Pour la deuxième fois, depuis le ciel la voix a repris : Ce que Dieu a purifié, toi, ne le souille pas !
10 Cela s'est produit trois fois ; puis tout est retourné au ciel.
11 Immédiatement, trois hommes qui m'avaient été envoyés de Césarée sont survenus devant la maison où nous étions.
12 L'Esprit m'a dit de partir avec eux sans la moindre hésitation. Les six frères que voici m'ont accompagné, et nous sommes entrés chez cet homme.
13 Celui-ci nous a raconté comment il avait vu l'ange se présenter chez lui en disant : Envoie quelqu'un à Joppé chercher Simon surnommé Pierre,
14 qui te dira des paroles par lesquelles tu seras sauvé, toi et toute ta maison.
15 Lorsque je me suis mis à parler, l'Esprit saint est tombé sur eux comme il était tombé sur nous au commencement.
16 Alors je me suis souvenu de cette parole du Seigneur, qui disait : Jean a baptisé d'eau, mais vous, vous recevrez le baptême dans l'Esprit saint.
17 Si donc Dieu leur a fait le même don qu'à nous pour avoir cru au Seigneur Jésus-Christ, qui étais-je, moi, pour pouvoir m'opposer à Dieu ?
18 Après avoir entendu cela, ils se calmèrent et glorifièrent Dieu, en disant : Dieu a donc donné aussi aux non-Juifs le changement radical qui mène à la vie !
19 Ceux qui avaient été dispersés à cause de la détresse survenue au sujet d'Étienne passèrent donc en Phénicie, à Chypre et à Antioche ; ils ne disaient la Parole à personne d'autre qu'aux Juifs.
20 Il y eut cependant parmi eux quelques hommes de Chypre et de Cyrène qui, venus à Antioche, parlèrent aussi aux gens de langue grecque et leur annoncèrent la bonne nouvelle du Seigneur Jésus.
21 La main du Seigneur était avec eux, et un grand nombre de gens devinrent croyants et se tournèrent vers le Seigneur.
22 La nouvelle parvint aux oreilles de l'Église de Jérusalem, et on envoya Barnabé, en lui demandant de passer à Antioche.
23 A son arrivée, lorsqu'il vit la grâce de Dieu, il se réjouit, et il les encouragea tous à rester attachés au Seigneur d'un cœur résolu.
24 Car c'était un homme bon, plein d'Esprit saint et de foi. Et une foule importante se joignit au Seigneur.
25 Il partit ensuite chercher Saul à Tarse.
26 Après l'avoir trouvé, il le conduisit à Antioche. Pendant une année entière, ils participèrent aux rassemblements de l'Église et instruisirent une foule importante. Ce fut à Antioche que, pour la première fois, les disciples furent appelés chrétiens.
27 En ces jours-là, des prophètes descendirent de Jérusalem à Antioche.
28 L'un d'eux, nommé Agabos, se leva et annonça par l'Esprit qu'il y aurait une grande famine sur toute la terre habitée. Elle eut lieu, en effet, sous Claude.
29 Les disciples décidèrent d'envoyer, chacun selon ses moyens, un secours aux frères qui habitaient la Judée.
30 C'est ce qu'ils firent : ils l'envoyèrent aux anciens par l'entremise de Barnabé et de Saul.
*

Pierre, revenant d'Antioche à Jérusalem, est sommé de s’expliquer à propos des bruits qui circulent sur cette affaire concernant les non-juifs, selon le mot grec pour nations — littéralement « ethnies » —, qui traduit l’hébreu « goïm ».

Une question qui souligne à quel point la communauté apostolique est ancrée dans le judaïsme puisque c’est la non-circoncision des nouveaux baptisés de Pierre qui pose problème.

Et voilà donc Pierre tenu de s’expliquer. Ce à quoi il obtempère en reprenant le récit de ce qui s’est passé par le détail. Cela jusqu’à en venir au moment où, dit-il « l’Esprit Saint est tombé sur eux comme il l’avait fait sur nous au commencement » — selon la promesse de Jésus : «Jean, disait-il, a donné le baptême d’eau, mais vous, vous allez recevoir le baptême dans l’Esprit Saint.»

L’effusion de l’Esprit se signifie par les signes prophétiques mentionnés chaque fois qu’il en est question dans l’Évangile de Luc ou dans les Actes des Apôtres (depuis la rencontre de l’enfant Jésus par les prophètes Anne et Siméon – Luc 2). Autant de signes marquant désormais l’avancement du temps du Royaume où tous seront prophètes selon des promesses comme celle de Joël cité lors de l’événement d’Actes 2 auquel Pierre fait allusion ici, avec peut-être, par delà, référence à la Genèse : « au commencement ».

Cela pour en venir à cette question rhétorique : « qui étais-je, moi, pour pouvoir m'opposer à Dieu ? » (v. 17) — qui convainc les auditeurs : « Voilà que Dieu a donné aussi aux nations la conversion qui mène à la vie ! » En d’autres termes : c’est bien le temps de Royaume qui est en marche…

« Qui étais-je, moi, pour pouvoir m'opposer à Dieu ? » Une question qui évoque un épisode précédent :

Actes 8, 14-17
14 Apprenant que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu, les apôtres qui étaient à Jérusalem y envoyèrent Pierre et Jean.
15 Une fois arrivés, ces derniers prièrent pour les Samaritains afin qu'ils reçoivent l'Esprit Saint.
16 En effet, l'Esprit n'était encore tombé sur aucun d'eux ; ils avaient seulement reçu le baptême au nom du Seigneur Jésus.
17 Pierre et Jean se mirent donc à leur imposer les mains, et les Samaritains recevaient l'Esprit Saint.

Là l'Esprit saint était donné par imposition des mains des Apôtres. À présent, on découvre que l'Esprit saint n'a pas besoin du signe de l'imposition des mains des Apôtres — qui n'est donc qu'un signe — pour se communiquer...

Liberté de l'Esprit qui ne dépend pas des institutions, serait-ce l'institution apostolique...

On découvre aussi que la diaspora consécutive à la persécution déclenchée à l’occasion du meurtre d’Étienne s’est étendue nettement au-delà de la Judée et de la Samarie — déjà jusqu’aux extrémités de la terre et aux îles, Chypre.

Et toujours cet usage interne de l’Évangile — annoncé aux juifs seulement. Jusqu’à ce phénomène de débordement. À Antioche — Syrie donc, le message du Christ se répand vers les Grecs. Ici sans doute faut-il entendre, au-delà des juifs hellénistes, des Grecs carrément non-juifs… Nouveauté entraînant, lorsque la nouvelle en parvient à Jérusalem, l’envoie d’une mission d’inspection.

Jérusalem reste le lieu référentiel central de la communauté des disciples de Jésus, comme cela sera signifié clairement à l’occasion de la famine prophétisée par Agabus — qui voit une solidarité générale s’exercer en faveur de la Judée concentrant la notion de "monde entier".

Où apparaît cependant aussi pour la première fois, nous dit le texte, le nom de "chrétiens". On est donc au tournant des années 30-40. L’application du nom de "chrétiens" aux disciples par les "non-chrétiens" qui les entourent ne signifie pas qu’il faille voir là le christianisme avec ses rites propres — il commencera à devenir tel 30 ans plus tard. Les disciples n’ont alors qu’une seule appartenance rituelle : juive. Le tournant ultérieur de la destruction du temple autour duquel est organisé jusque là le rituel commun n’a pas eu lieu. Ce n’est qu’après cette date, 70, que commence à se mettre en place progressivement ce qui deviendra un rituel chrétien spécifique, distinct du rituel juif.

RP,
Antibes, vendredi 11.06.10