mardi 20 avril 2010

"La proclamation de l'aujourd'hui"





Hébreux 3, 12-19
12  Prenez garde, frères, qu’aucun de vous n’ait un cœur mauvais que l’incrédulité détache du Dieu vivant,
13  mais encouragez-vous les uns les autres, jour après jour, tant que dure la proclamation de l’aujourd’hui, afin qu’aucun d’entre vous ne s’endurcisse, trompé par le péché.
14  Nous voici devenus, en effet, les compagnons du Christ, pourvu que nous tenions fermement jusqu’à la fin notre position initiale,
15  alors qu’il est dit: Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs comme au temps de l’exaspération.
16  Quels sont, en effet, ceux qui entendirent et qui provoquèrent l’exaspération? N’est-ce pas tous ceux qui sortirent d'Égypte grâce à Moïse?
17  Et contre qui s’est-il emporté pendant quarante ans? N’est-ce pas contre ceux qui avaient péché, dont les cadavres tombèrent dans le désert?
18  Et à qui jura-t-il qu’ils n’entreraient pas dans son repos, sinon à ces indociles?
19  Et nous constatons qu’ils ne purent pas entrer à cause de leur incrédulité.
*

Voilà un texte, lecture de ce jour, qui commence par une exigence sévère : « Prenez garde, frères, qu’aucun de vous n’ait un cœur mauvais ». Une mise en garde qui renvoie à l'exigence du repos ! Car le cœur mauvais et l'incrédulité en question concernent « la proclamation de l'aujourd'hui » (v, 13) à savoir « l'aujourd'hui » du jour du repos : « On verra bien s'ils entreront dans mon repos ! » vient de dire l'Épitre (v, 11) avant cette mise en garde. C'est « aujourd'hui » (ch. 4, v. 7) le jour du repos.

Une question avant d'aller plus loin : l'Épître donnant ici ce qui semble être un échec de Moïse mettrait-elle en concurrence Moïse et Jésus, et par ricochet le judaïsme et le christianisme, pour affirmer la supériorité du second sur le premier et par ricochet du christianisme sur le judaïsme. Ainsi l'Épître aux Hébreux serait une pierre à l’édifice de la « théologie de la substitution », qui a fait tant de dégâts dans l’histoire — théologie selon laquelle le christianisme serait venu remplacer un judaïsme relégué dans le passé…

Affirmons d’emblée que cette lecture est erronée : relisons le début du texte l'Épître qui débouche sur ce passage. L'Épître présente Jésus comme être céleste, préexistant, supérieur aux anges (ch.1) et venant de cette préexistence céleste à la rencontre de l’humanité (ch.2), précisément et concrètement en la descendance d’Abraham, pour lui signifier sa « vocation céleste » (ch.3, v.1).

Voilà qui nous situe d’emblée, non pas dans l’histoire où pérégrinent Abraham et ses descendants, dont les lecteurs de l'Épître, et Moïse comme fondateur de la religion qui est celle des lecteurs de l'Épître, mais dans la préexistence céleste de Jésus à laquelle aussi sont appelés ces lecteurs.

Ni substitution d’une religion à l’autre, ni supériorité d’une religion sur l’autre. Une seule religion, celle d’Israël, à qui son rite a été donné par Moïse, rite qui est celui des lecteurs, qui vaut pour tout ce temps, tant que ce temps dure. Et d’autre part un monde céleste qui a été manifesté en Jésus, forme du Royaume qui vient de façon imminente : le Royaume qui s’annonce, celui promis dès Abraham et dont la maison gérée par Moïse est l’insertion dans l’histoire et dans le temps, temps dans lequel Moïse nous apprend à vivre.

Et voilà que — c’est la confession de foi que l'Épître aux Hébreux invite ses lecteurs à garder — le temps céleste du Royaume promis, le temps de la fin de l’exil s’est approché.

Et l'an 70 est là, qui voit la destruction du Temple, fin de ce monde pour les témoins du Nouveau Testament, comme la destruction du premier Temple avait été la fin d’un autre monde. Anticipation de la fin du monde comme le déluge avait été la fin d’un premier monde (cf. 2 Pierre, ch. 3).

70, date autour de laquelle tourne l'Épître aux Hébreux (qui n'en parle pas explicitement, en étant pourtant imprégnée), comme tout le Nouveau Testament. Fin d’un monde, fin annoncée autour de laquelle va se mettre en place sur le rythme de la célébration des événements de la vie de Jésus (que l’on appellera « les faits chrétiens »), le rite de l’attente de la venue en gloire de Jésus. En naît une seconde religion, en rien supérieure à la première, simplement caractérisée par la foi que le Royaume espéré (et l’on sait l’importance thème de l’espérance dans l'Épître – cf. ch. 11) s’est approché, étant porté par Jésus.

C’est la foi scellée au dimanche de Pâques, dont ne parle pas explicitement l'Épître aux Hébreux, qui en est pourtant imprégnée : la foi à la résurrection de Jésus est devenue l’attestation de son être, le fondement de la foi à sa préexistence, et le moment inaugural du Royaume espéré. Comme pour les événements de 70, l'événement de Pâques est prégnant : la mention explicite de ce qui est évidemment sous-jacent, et dans l'esprit de tous n'a pas lieu d'être signalé !

Dès lors la religion de ceux qui croient que le Royaume éternel s’est approché en Jésus coexistera avec celle de ceux qui garderont le rite de Moïse en l’attente de la venue visible et tangible du Royaume de Dieu dans l’histoire.

Pas de supériorité d’un homme sur un autre, ni a fortiori d’une religion sur une autre, mais la foi à la venue d’un Royaume éternel, préexistant, au terme imminent d’une histoire, terme signifié par la destruction du Temple — le Royaume éternel étant, lui, annoncé par la manifestation dans le temps, au dimanche de Pâques, de celui qui est perçu par la foi comme le Prince préexistant de ce Royaume, homme comme nous... et homme céleste, divin, au-dessus des anges, et donc de tout homme, dont il est pourtant l'égal. L'entrée dans le repos de la foi est alors la réception de cette dignité éternelle du Fils dévoilée par lui comme étant celle de chacun !

Voilà donc une entrée dans le repos de Dieu proposée comme quelque chose de bien particulier — relevant de l’impossible, auquel s’oppose « l’incrédulité » — cet impossible donc qu’est la foi à autre chose. Telle est la vocation céleste qui nous est adressée en Jésus.

Vocation à entrer enfin dans son repos : le mot grec pour repos, « catapausis » (« catapause »), qui traduit l’hébreu « shabbath », désigne bien, comme l’hébreu, une cessation. (Il est frappant que cela soit aussi le sens de « nirvana » !) Cessation. Cessation de l’agitation, de ce qui exaspère. Cessation qui doit enfin advenir pour que cesse notre traversée du désert.

Une traversée qui évoque ceux « dont les cadavres tombèrent dans le désert » (Hé 3, 17) ; nous voilà qui traînons un quotidien pesant, sans horizon autre que cet horizon qui recule sans cesse. Nous voilà ancrés dans la nostalgie d’un hier semblable à l’Égypte des courges d’abondance. Telle est l’incrédulité qui bouche toute possibilité de repos : la cécité à tout autre horizon, contre laquelle sonne la voix de l’Esprit saint. « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs comme au temps de l’exaspération », dit l’Épître citant le Psaume 95.

Au bout de l’horizon du temps, comme de la nostalgie des temps qui ne reviendront pas, il n’est que chemin de désert, et qu’hier emporté par le vent.

« Ils ne connaissent pas mes chemins », poursuit le Psaume 95 cité par l’Épître.

Alors, retentit par la voix de l'Esprit Saint une promesse renouvelée. À travers une mise en garde — « Prenez garde, frères, qu’aucun de vous n’ait un cœur mauvais que l’incrédulité détache du Dieu vivant » (v. 12) — et une exhortation : « encouragez-vous les uns les autres, jour après jour, tant que dure la proclamation de l'aujourd'hui, afin qu’aucun d’entre vous ne s’endurcisse, trompé par le péché. » (v. 13) — la promesse est que « nous voici devenus, en effet, les compagnons du Christ, pourvu que nous tenions fermement jusqu’à la fin notre position initiale » (v, 14).

« Compagnons du Christ » : cette position à tenir est le don toujours actuel du repos en Dieu, qui met fin au « mauvais cœur » — dont on voit alors qu'il est tout simplement le fruit de la peur, de l'incrédulité, de l'idée que le don qui nous est ouvert serait hors d'atteinte, qu'il ne serait pas offert totalement dès à présent.

Psaume 136 :
1 Célébrez le Seigneur, car il est bon — car sa fidélité est pour toujours !
2 Célébrez le Dieu des dieux — car sa fidélité est pour toujours !
3 Célébrez le Seigneur des seigneurs — car sa fidélité est pour toujours !
4 Celui qui seul fait des choses grandes et étonnantes — car sa fidélité est pour toujours !
5 Celui qui fait le ciel avec intelligence — car sa fidélité est pour toujours !
6 Celui qui construit la terre sur les eaux — car sa fidélité est pour toujours !
7 Celui qui fait les grandes lumières, — car sa fidélité est pour toujours ! —
8 le soleil pour dominer sur le jour, — car sa fidélité est pour toujours ! —
9 la lune et les étoiles pour dominer sur la nuit — car sa fidélité est pour toujours !

16 Celui qui conduit son peuple dans le désert — car sa fidélité est pour toujours !

23 Celui qui se souvint de nous quand nous étions abaissés, — car sa fidélité est pour toujours ! —
24 qui nous arracha à nos oppresseurs — car sa fidélité est pour toujours !
25 Celui qui donne du pain à tous — car sa fidélité est pour toujours !
26 Célébrez le Dieu du ciel, car sa fidélité est pour toujours !

RP
Antibes,
Mardi 20 avril 2010


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