dimanche 7 mars 2010

Traces






Exode 3, 1-15
1 Moïse faisait paître le petit bétail de Jéthro, son beau-père, qui était prêtre de Madiân ; il mena le troupeau au-delà du désert et arriva à la montagne de Dieu, à l'Horeb.
2 Le messager du SEIGNEUR lui apparut dans un feu flamboyant, du milieu d'un buisson. Moïse vit que le buisson était en feu, mais que le buisson ne se consumait pas.
3 Moïse dit : Je vais faire un détour pour voir ce phénomène extraordinaire : pourquoi le buisson ne brûle-t-il pas ?
4 Le SEIGNEUR vit qu'il faisait un détour pour voir ; alors Dieu l'appela du milieu du buisson : Moïse ! Moïse ! Il répondit : Je suis là !
5 Dieu dit : N'approche pas d'ici ; ôte tes sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sacrée.
6 Il ajouta : Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. Moïse se détourna, car il avait peur de diriger ses regards vers Dieu.
7 Le SEIGNEUR dit : J'ai bien vu l'affliction de mon peuple qui est en Egypte, et j'ai entendu les cris que lui font pousser ses tyrans ; je connais ses douleurs.
8 Je suis descendu pour le délivrer de la main des Egyptiens et pour le faire monter de ce pays vers un bon et vaste pays, un pays ruisselant de lait et de miel […].
9 Maintenant, les cris des Israélites sont venus jusqu'à moi, et j'ai vu l'oppression que les Egyptiens leur font subir.
10 Maintenant, va, je t'envoie auprès du pharaon ; fais sortir d'Egypte mon peuple, les Israélites !
11 Moïse dit à Dieu : Qui suis-je pour aller auprès du pharaon et pour faire sortir d'Egypte les Israélites ?
12 Dieu dit : Je serai avec toi ; et voici quel sera pour toi le signe que c'est moi qui t'envoie : quand tu auras fait sortir d'Egypte le peuple, vous servirez Dieu sur cette montagne.
13 Moïse dit à Dieu : Supposons que j'aille vers les Israélites et que je leur dise : « Le Dieu de vos pères m'a envoyé vers vous. » S'ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai-je ?
14 Dieu dit à Moïse : Je serai qui je serai. Et il ajouta : C'est ainsi que tu répondras aux Israélites : « “Je serai” m'a envoyé vers vous. »
15 Dieu dit encore à Moïse : Tu diras aux Israélites : « C'est le SEIGNEUR (YHWH), le Dieu de vos pères, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, qui m'a envoyé vers vous. » C'est là mon nom pour toujours, c'est mon nom tel qu'on l'évoquera de génération en génération.

*

Un nom bien mystérieux ! Un nom dans lequel se fonde l’interdit et l’impossibilité de représenter Dieu. Un nom que l’on ne possède pas, un nom saint dont on ne peut que dire : qu’il soit sanctifié ! Un nom qui fonde une exigence, un effort, un détour, comme celui de Moïse contournant le buisson annonçant ce nom insaisissable.

Un détour qui fonde une culture, et par là une ouverture (« alandado » en occitan, d’où ce nom de notre association culturelle protestante à Antibes) — ouverture vers des libérations inattendues, à commencer par celle que Moïse portera au peuple captif auprès de Pharaon.

La libération est présente dans ce nom même et dans son inaccessibilité, dans l’exigence de sa sanctification, dont le contournement du buisson, « pour voir »… — pour voir qu’on ne verra rien ! — est déjà le signe : le signe et le fondement de l’art et de la culture issus de cette révélation biblique. Un Dieu qu’on ne voit pas, et donc qu'on ne peint pas, qu’on ne sculpte pas, ou que l’art visuel ne dit qu’en détours, autant d’abstractions partant des traces, que celui qui a promis sa présence laisse comme de simples traces. Plus tard Moïse s’entendra dire : tu me verras par derrière, tu ne verras donc que les traces que je laisse.

Un art et une culture du dépouillement, de l’abstraction, en naîtront, concernant le sens visuel comme tous les autres sens, tactile, gustatif et olfactif, lors de nos cérémonies symboliques, et auditif, pour une musique visant à l’essentiel, au dépouillement des formes, à l’abstraction — dont une forme accomplie est sans doute celle développée par Bach / Soli Deo Gloria ; mais aussi par ces envolées priantes des spirituals tendant vers l’inaccessible, encore le détour de Moïse vers celui qui promet sa présence qui ouvre à ses traces.

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Mais alors nous voilà au cœur de ce que veut signifier une Association culturelle — comme notre association culturelle protestante / Alandado. Ouvrir à des traces induites par la parole de l’inaccessible. Des traces comme carrefour entre la parole biblique et le monde où elle fait retentir ses échos.

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C’est un lieu commun de dire que dans la société laïque, laïque désignant ce qui relève du domaine public, le religieux relève de ce qu’on appelle le « privé ». Selon cette distinction relativement simple, apparemment fonctionnelle… mais qui demande quelques précisions, notamment des distinctions au sein des deux domaines, public et privé.

On peut ainsi distinguer, dans le domaine privé, deux pôles : le privé partagé et l’intime.

L’intime est ultimement inaccessible au partage. Le privé partagé relève d’espaces qui ne sont pas publics. En terme de propriétés (privées), il peut être marqué par des panneaux « privé ». Il peut cependant être accessible, avec l’accord des propriétaires. Ce qui n’est pas le cas des espaces privés intimes. Notons qu’il y a des degrés d’accès du privé à l’intime : l’intime au sens strict est le religieux — « Deus intimior intimo meo » selon la formule de saint Augustin : « Dieu m’est plus intime que ce qui m’est intime ». Inaccessible comme le nom qui retentit depuis le buisson ardent.

Entre le privé partagé et l’intime, il y a donc une série de degrés, allant jusqu’à l’intime, comme l’intériorité religieuse, qui n'est connue que du croyant et de son Dieu.

Dans le domaine public, on peut de même distinguer deux pôles : d'un côté le domaine public commun est celui où la règle est la laïcité, sphère dans laquelle aucune religion ni philosophie ne sont fondées à imposer leurs rites et pratiques. Cela ne veut pas dire pour autant que les organismes des religions et philosophies soient cantonnés au domaine strictement privé. L’exercice du culte est public !

Il l’est sous peine de relever de volontés sectaires. C’est ainsi qu’il me semble falloir parler d’un second pôle : celui des « domaines publics communautaires », avec des rites communautaires. Si le religieux proprement dit relève non seulement du privé, mais même de l’intime, les célébrations, l’enseignement et la culture qui en procèdent, débouchent dans la sphère publique, sans qu’il ne s’agisse de la sphère commune, laïque, pour autant.

Les rites communs, comme les célébrations qui marquent l’unité d’une nation (par exemple le 14 juillet pour la France), sont distincts des rites publics communautaires. Mais il y a des recoupements : par exemple Noël qui est à la fois fête publique communautaire chrétienne, et fête commune, jour officiellement chômé en France. On n’est ni dans le privé, ni a fortiori dans l’intime, mais dans un des lieux carrefours que sont l’art et la culture.

* * *

Le temple, expression architecturale de l'art et de la culture, est un de ces lieux d’articulation, espace commun ouvert sur la Cité.

Où la dimension architecturale de la culture rejoint parfaitement ses autres dimensions. Le fait que le temple, espace intermédiaire, espace public où résonne une parole structurant la vie intérieure, soit à même d’accueillir la vie culturelle dans la cité — relève de l’expression concrète de cette dimension intermédiaire que représente le temple.

Nous voilà au cœur de cette distinction entre l’espace intérieur et l’espace public et de son articulation. La parole énoncée en ce lieu est donc vouée à structurer nos vies intérieures en faisant écho public (c’est aussi en ce sens que le temple est un lieu de carrefour) — écho public à une Parole, la parole de Dieu, qui déborde infiniment son énonciation et a fortiori l’espace où elle retentit. Et laisse ses traces et échos en art — et ici, on a débordé du strictement cultuel, on est dans le culturel. Ce qui ouvre la place d’une association culturelle.

Le temple porte l’écho de la parole qui structure notre vie intérieure. Parole de la foi qui produit ses échos et ses traces dans une vie artistique et culturelle spécifique et ouverte. Voilà comment une parole de liberté don d’un Dieu que nul n’a jamais vu, est appelée a retentir dans ce temple aussi comme traces d’art et de culture au cœur d’une Cité appelée ainsi toujours à nouveau à la liberté.

C’est de cela qu’une association culturelle porte le signe dans la Cité, comme une ouverture opérée comme autant de traces de ce qui nous atteignant dans notre intimité la plus intime demeure indicible, ne se dit que comme promesse : « je serai », signifiée dans les traces laissées comme culture et comme art.

R.P.,
Antibes, 7.03.10


Confie à Dieu ta route,
Dieu sait ce qu’il te faut ;
Jamais le moindre doute
Ne le prend en défaut.
Quand à travers l’espace
Il guide astres et vents,
Ne crois-tu pas qu’il trace
La route à ses enfants ?

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