dimanche 26 décembre 2010

La reconnaissance des Mages dans la blessure du temps



Joyeux Noël !
Et ici : Message de la veillée de Noël



Matthieu 2, 1-23
1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des Mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent: "Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage."
3 A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Messie devait naître.
5 "A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c’est ce qui est écrit par le prophète :
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda: car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple."
7 Alors Hérode fit appeler secrètement les Mages, se fit préciser par eux l’époque à laquelle l’astre apparaissait,
8 et les envoya à Bethléem en disant: "Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant; et, quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j’aille lui rendre hommage."
9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant.
10 A la vue de l’astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.

13 Après leur départ, voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit: "Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte; restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr."
14 Joseph se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte.
15 Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode, pour que s’accomplisse ce qu’avait dit le Seigneur par le prophète: D’Égypte, j’ai appelé mon fils.
16 Quand Hérode se vit joué par les mages, sa fureur fut extrême ; il fit supprimer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléem et dans son territoire, d'après l'époque qu'il s'était fait préciser par les mages.
17 Alors s'accomplit ce qui avait été dit par l'entremise du prophète Jérémie :
18 Une voix s'est fait entendre à Rama, des pleurs et beaucoup de lamentations : c'est Rachel qui pleure ses enfants ; elle n'a pas voulu être consolée, parce qu'ils ne sont plus.
19 Après la mort d’Hérode, l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph, en Égypte,
20 et lui dit: "Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et mets-toi en route pour la terre d’Israël; en effet, ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant."
21 Joseph se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, et il entra dans la terre d’Israël.
22 Mais, apprenant qu’Archélaüs régnait sur la Judée à la place de son père Hérode, il eut peur de s’y rendre; et divinement averti en songe, il se retira dans la région de Galilée
23 et vint habiter une ville appelée Nazareth, pour que s’accomplisse ce qui avait été dit par les prophètes: Il sera appelé Nazôréen.

*

Mais comment les Mages sont-il devenus rois ? Car ces fameux Mages venus d’Orient, qui apparaissent à Noël, bientôt sacrés rois, Matthieu ne les présente que comme des Mages, des prêtres donc — des savants dira-t-on bientôt, miraculeusement présents, grâce à leur science des étoiles, la nuit du 25 décembre 0000. Car voilà qu'on s’est mis à enseigner aussi que Jésus est né un 25 décembre. Mais, nous disent les savants, les successeurs des Mages en quelque sorte, le 25 décembre c'est impossible : les bergers de Luc ne pouvaient être dans les champs en cette saison ! Et de nous faire remarquer que le 25 décembre est la date d'une fête païenne en l'honneur du soleil — vénéré alors sous la forme de telle ou telle divinité solaire (comme Mithra, dont les Mages étaient sans doute, selon leur religion, des adeptes).

Certes, et si en outre on s’en tient aux prophéties bibliques, la naissance de Jésus correspondrait plutôt à septembre-octobre, date de la fête de Souccoth, signe du Messie.

Alors, fête du Messie biblique, Messie de Bethléem, ou fête païenne ? Et voilà les plus humbles qui s'en repartent troublés, sans compter, donc, que selon toute vraisemblance, non seulement il n'est pas né un 25 décembre, mais qu'en plus ce n'était même pas en zéro.

Et si alors, le problème était toujours celui de savoir si Jésus est le Messie biblique ou celui qui concerne aussi les païens ? Et si c'était toujours autant un faux débat qu'à l'époque ? Et si, comme tout en étant né à Bethléem en Judée, Jésus est aussi galiléen, — si sous un certain angle, un angle bien réel, Jésus, annoncé au temps de Souccoth, l’était aussi un 25 décembre ? Si nos païens d'ancêtres dans la foi, avaient vraiment été saisis par l'Esprit de Dieu, Esprit par lequel on perçoit que ce Messie biblique concerne aussi les païens ?

Qu'est-ce en effet que le 25 décembre ? C'est dans l’Antiquité, la fête du solstice d'hiver, le moment où la nuit cesse de croître et où le jour augmente, le moment où la lumière nous rejoint dans nos ténèbres, et jusque dans nos ténèbres spirituelles de païens.

Ne dit-on pas que Jésus est le soleil de justice ? Voilà que dans l'Empire romain, on fêtait ce jour-là la fête du soleil, et voilà que le christianisme a triomphé dans l'Empire même, après trois siècles de persécution. Les plus sages y ont vu un signe que ceux qui se veulent les plus savants d'aujourd'hui ne savent pas reconnaître parce que cela ne correspond pas à la rigueur de l'Histoire — non plus, remarquez, que de connaître les dates exactes des naissances en un temps où il n’y a pas d’Etat civil, ni de registres ecclésiastiques datant les naissances.

Dans l'Histoire, Jésus n'est pas né un 25 décembre ? Mais si l'on est attentif on peut être à même de percevoir qu'il y a aussi une autre dimension. Rappelons-nous que les anges ont empli les cieux de leur louange au jour de la naissance de Jésus. Et que le temps des anges n'est pas le nôtre, qu'il est entre le nôtre et celui de Dieu, où « mille ans sont comme un jour ». Si, en toute rigueur historienne, Jésus n'est sans doute pas né un 25 décembre, ne sont-ils pas éclairés de ce qu'il est des réalités au-delà des nôtres, ceux qui ont soupçonné les vérités de ce temps des anges, un temps dont le vrai signe dans notre temps est effectivement le 25 décembre.

Ici le jour nouveau se lève, brillant d'une lumière dont on ne soupçonnait pas même l'existence, on passe des temps nocturnes aux temps du soleil de justice, qui concerne les peuples tous, et les païens. Ce qui consiste à dépasser, comme l'ont fait les Évangiles, le problème de savoir si c'est le Messie biblique ou s'il concerne les païens.

Point de contradiction doit-on dire à tous les diviseurs, à tous les éteignoirs des lumières de la fête de la levée du soleil de justice : le Messie biblique concerne les païens. C'est vers lui, vers sa lumière, que sont venus, guidés par l'étoile confuse de leur confuse astrologie, les Mages, ces païens d'Orient. C'est vers lui que se dresse l'arbre de Jessé, père de David — que symbolisent nos sapins venant d’un ancien paganisme — comme l'arbre de toute la création qui se dresse vers sa lumière qu'annonce cette même étoile des Mages.

*

Et à y regarder de près, les yeux de la foi découvrent alors que cette fête que l'on voudrait dénoncer comme païenne est celle de la bonne nouvelle du salut de Dieu pour les païens, que représentent ici les Mages. Elle est celle du chant de toute la création à la rencontre de la lumière à laquelle elle est appelée.

*

Et, cela dit, sachant que les Mages venaient d'orient, n'oublions pas en cette fête de Noël, ces millions de chrétiens, héritiers de l'époque des Mages, qui aujourd'hui sont persécutés. Dans nos pays, où les temples sont souvent vides, nous fêtons Noël en paix. Ailleurs, venir fêter Noël est souvent de prendre un risque, et pas seulement dans les pays d’où venaient les Mages.

Aujourd’hui, Hérode et le massacre des enfants de Bethléem… Vous savez, on entend parfois dire, pour en nier la réalité, qu’on n’en a aucun écho ailleurs de ce massacre que dans l’évangile ! Le bel argument ! Quand on sait ce que représente Hérode, à savoir la marionnette du pouvoir mondial de l’époque, à savoir Rome. Il n’est pas difficile d’imaginer que Rome et ses marionnettes locales n’avaient pas forcément intérêt à ne publier ce genre d’exactions.

Un peu comme l’incendie de Rome 70 ans plus tard, qui — difficile à cacher pour le coup — sera attribué… aux chrétiens. Bon motif pour les persécuter. La technique de la guerre médiatique est toujours la même : soit cacher ses crimes, soit les attribuer aux victimes.

Rien d’impossible à de telles exactions quand on sait que l’on vise celui qui sera — certes on ne le sait pas encore — celui contre lequel « toutes les nations se sont liguées » ; cela selon la prophétie du Psaume 2. Et là, oui, on est bien dans la prophétie. Hérode, usurpateur à la solde des Romains, mais, aux yeux de la puissance internationale qu’il représente, roi légitime. Aux yeux de Dieu, ça n’y change rien et l’évangile le souligne à présent : illégitime, il est prêt à tous les massacres pour écarter celui contre lequel sont liguées toutes les nations, ne sachant pas qu’elles persécutent le signe et le porteur de leur salut ! Et dans ce chaos des rois et des puissances, les Mages, qui seuls parmi les nations, reconnaissent la vérité…

Signe supplémentaire que les Mages ne sont décidément pas rois ; mais ils le sont devenus, tant les rois du temps, ramassés en Hérode, marionnette de la puissance des nations, celle de Rome, se sont montrés indignes de leurs couronnes…

Alors le jour est venu de nous en repartir avec les Mages, par un autre chemin, celui de la vérité et de la paix. Repartons tout à nouveau par le chemin de la manifestation de l'amour de Dieu aux nations de la terre.

R.P.
Antibes, 25.12.2010
Vence, 26.12.2010


dimanche 19 décembre 2010

Un "rien" pour le salut du monde





Ésaïe 7, 10-16 ; Psaume 24 ; Romains 1, 1-17 ; Matthieu 1, 18-25

Matthieu 1, 18-25
18 Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu'ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit saint.
19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement.
20 Il avait formé ce projet, et voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : "Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit saint,
21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés."
22 Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète :
23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit : "Dieu avec nous".
24 À son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui son épouse,
25 mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.
*

Voilà un récit qui nous met en butte à l’inexplicable. Mais précisément, c’est le Dieu de l’inexplicable que Jésus nous fait rencontrer…

Le texte ne nous dit pas comment Joseph savait que Marie était enceinte — par l'action du Saint Esprit. Et comme Joseph n’est pour rien à tout cela, on imagine que le texte suggère qu'à un certain point de la grossesse, il commençait à se poser des questions sur l'embonpoint croissant de sa fiancée.

Passant sur ces questions, le texte nous présente Joseph au moment où il envisage de prendre des résolutions : rompre secrètement — car « il était un homme de bien », nous dit l'évangile. Retenons de cela, avant d’aller plus loin, que la contribution de Joseph à la grossesse de Marie, sa part,… se résume à un mot : rien…

Ce pourquoi il envisage de rompre : rappelons qu'à l'époque, les fiançailles étaient un contrat que normalement on ne rompait pas. C'était déjà un mariage, en quelque sorte ; une rupture était donc comme un divorce. Et il était inconcevable qu'avant le mariage proprement dit, le fiancé s’approche de sa promise. On restait à une distance relative, on était simplement promis l’un à l’autre, et cela ne se rompait pas.

D'où le problème qui se pose à Joseph : s'il ne rompt pas, on va le soupçonner lui d’avoir manqué de respect à sa promise ; et naturellement, de plus, il n'était peut-être pas non plus forcément enthousiaste à l'idée d'épouser une femme qui apparemment l’avait trompé. Mais s'il rompt, il expose Marie à l'humiliation publique, et par là-même à un avenir des plus sombres : ce qu'il veut lui épargner. Joseph envisage donc une voie moyenne : la rupture secrète.

C'est un ange, perçu en songe, qui le retient de mettre son projet de rupture à exécution et le rassure sur la probité de Marie. (Joseph nous sera souvent montré dans son sommeil — trois fois — rencontrant des anges.) Le songe est le lieu de communication entre notre monde et les mondes supérieurs.

Joseph doute d'autant moins de la parole angélique qu'il est vraisemblablement prêt à faire confiance à Marie. Cela rejoint son espérance de la venue prochaine d'un Messie, sauveur du peuple. Et voilà que c'est à lui qu'il est confié, selon la vision qu’il a en songe.

Joseph, à son réveil, obéit à la vision angélique. Joseph adoptera donc Jésus.

Revenons à présent à notre « rien » de départ : Joseph n’y est pour rien, il n’a rien apporté. Et il a reçu en abondance. Qu’est-ce que Joseph, en effet, reçoit de Dieu ce jour-là ? Jésus. Comme le nom même de Jésus l’indique (1, 21), il porte le salut du Seigneur ; le nom Jésus signifiant « le Seigneur sauve » ; il est lui-même en sa chair, la lumière et la Parole de Dieu, notre vie éternelle, le projet de Dieu pour nous.

Et là, quant au « rien » de Joseph, il commence à prendre forme, si l’on y regarde bien Joseph a adopté Jésus comme son enfant. Voilà déjà qui est moins rien…

Et voilà qui nous rejoint, chacun de nous. Recevoir, comme Joseph l’a reçu, le don miraculeux de Dieu, c’est cela être sauvé. Car c’est de cela qu’il s’agit pour nous aussi. Adopter le salut de Dieu, son projet pour nous — pour que s’accomplisse la promesse selon laquelle Dieu sera avec nous : Emmanuel.

Rien donc : adopter, recevoir, simplement. Mais un rien qui n’est pas si « rien » que ça, chargé de la puissance de Dieu.

Comme Joseph ne peut rien à la venue de celui qui demeure auprès de Dieu avant même sa propre naissance, comme ce rien prend sens, un rien déjà lourd de sens pour Joseph : adopter le Fils de Dieu — nous ne pouvons rien à ce que nous recevons de Dieu. Mais Dieu montre rétroactivement ce que, sans le qu'on le sache, contient ce rien : il est ce à partir quoi Dieu crée le monde, et crée le monde nouveau.

*

On voit bien ce qu’a reçu Joseph au bout du compte. Joseph a reçu énormément. Il a reçu celui qui est le pain de Dieu. Ce pain qui nourrit quiconque en mange, pour la vie éternelle, celui qui est la chair, la lumière et la Parole de Dieu, notre vie éternelle, le projet de Dieu pour nous.

Joseph a ainsi vu multiplier jusqu’à nous le peu qu’il a apporté, au fond la confiance en la parole qui lui a été adressée « ne crains pas », un accueil qui est lui même don de Dieu. Joseph a donc peu, en apparence, il n’a que sa confiance en ce que Dieu peut faire du « rien » qu’elle lui permet d’offrir… Un « rien » chargé d’un infini de richesse.

Vous savez, un des textes des évangiles où nous voyons se réaliser au-delà de Joseph, où l’on voit — j’allais dire — les restes de l’abondance que Dieu à multipliée à partir du rien de Joseph, c’est le récit de la multiplication des pains, où, du rien des disciples, Jésus nourrit son peuple, puis le monde… Rien : un peu de pain et de poisson, puis douze et sept paniers…

Matthieu 14
15 Le soir étant venu, les disciples s’approchèrent de lui, et dirent : Ce lieu est désert, et l’heure est déjà avancée ; renvoie la foule, afin qu’elle aille dans les villages, pour s’acheter des vivres.
16 Jésus leur répondit : Ils n’ont pas besoin de s’en aller ; donnez–leur vous–mêmes à manger.
17 Mais ils lui dirent : Nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons.
18 Et il dit : Apportez-les-moi.
19 Il fit asseoir la foule sur l’herbe, prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux vers le ciel, il rendit grâces. Puis, il rompit les pains et les donna aux disciples, qui les distribuèrent à la foule.
20 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta douze paniers pleins des morceaux qui restaient.
21 Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille hommes, sans les femmes et les enfants.

Et un peu plus tard :

Matthieu 15
33 Les disciples lui dirent : Comment nous procurer dans ce lieu désert assez de pains pour rassasier une si grande foule ?
34 Jésus leur demanda : Combien avez-vous de pains ? Sept, répondirent–ils, et quelques petits poissons.
35 Alors il fit asseoir la foule par terre,
36 prit les sept pains et les poissons, et, après avoir rendu grâces, il les rompit et les donna à ses disciples, qui les distribuèrent à la foule.
37 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta sept corbeilles pleines des morceaux qui restaient.
38 Ceux qui avaient mangé étaient quatre mille hommes, sans les femmes et les enfants.

Et à nous tous, il dit :

Matthieu 16
9 Etes-vous encore sans intelligence, et ne vous rappelez-vous plus les cinq pains des cinq mille hommes et combien de paniers vous avez emportés,
10 ni les sept pains des quatre mille hommes et combien de corbeilles vous avez emportées ?

Rien, en apparence, un peu de pain et de poisson. Et pourtant, à vue humaine, plus que ce qu’a apporté Joseph. Ça, c’est parce Joseph a sans doute plus de foi que nous. Il n’a même pas eu besoin du signe du pain et des poissons.

Au départ la parole de l’inexplicable, celle donnée à Joseph. Mais précisément, c’est le Dieu de l’inexplicable que Jésus nous fait rencontrer. Le Dieu de l’inexplicable qui fait entrer son fils dans le monde via le rien qu’offre Joseph, ce fils qui nourrit le monde et dont la parole s’étend au monde entier par la l’intermédiaire du rien que nous apportons à Dieu.

À nous d’apporter notre rien, qui repris par Dieu n’est rien moins que le matériau par lequel il déploie sa force créatrice et la promesse du monde nouveau.

RP
Antibes, 19.12.10


mardi 14 décembre 2010

... Depuis son Temple sacré...




Michée 1
1 Parole du SEIGNEUR qui parvint à Michée de Morésheth aux jours de Jotam, d'Achaz, d'Ezéchias, rois de Juda ; ce qu'il a vu au sujet de Samarie et de Jérusalem.
2 Ecoutez, vous tous, peuples ! Prête attention, terre, toi et ce qui te remplit ! Que le Seigneur DIEU soit témoin contre vous, le Seigneur, depuis son temple sacré !
3 Car le SEIGNEUR sort de son lieu il descend, il marche sur les hauteurs de la terre.
4 Sous lui les montagnes fondent, les vallées s'entrouvrent comme la cire devant le feu, comme l'eau qui dévale une pente.
5 Et tout cela à cause de la transgression de Jacob, à cause des péchés de la maison d'Israël ! Quelle est la transgression de Jacob ? N'est-ce pas Samarie ? Quels sont les hauts lieux de Juda ? N'est-ce pas Jérusalem ?
6 Je ferai de Samarie un monceau de pierres dans les champs pour y planter de la vigne ; je précipiterai ses pierres dans la vallée, je mettrai ses fondations à découvert,
7 toutes ses statues seront mises en pièces, tous ses gains seront jetés au feu, et je démolirai toutes ses idoles : recueillies avec le gain de la prostitution, elles redeviendront un gain de prostitution.
8 C'est pourquoi je me lamenterai, je hurlerai, je marcherai déchaussé et nu, je ferai entendre des lamentations comme le chacalet des gémissements comme les autruches.
9 Car sa plaie est incurable, elle s'étend jusqu'à Juda ; elle atteint la porte de mon peuple, jusqu'à Jérusalem.
10 Ne l'annoncez pas dans Gath, ne pleurez pas dans Akko ! Je me roule dans la poussière à Beth-Léaphra.
11 Passe, habitante de Shaphir, dans la nudité et la honte ! L'habitante de Tsaanân n'ose sortir, la lamentation de Beth-Etsel vous prive de son appui.
12 L'habitante de Maroth tremble pour son bonheur, car le malheur est descendu, venant du SEIGNEUR jusqu'à la porte de Jérusalem.
13 Attelle char et chevaux, habitante de Lakish ! Tu as été pour Sion la belle le commencement du péché, car en toi se sont trouvées les transgressions d'Israël.
14 C'est pourquoi tu te sépareras de Morésheth-Gath ; les maisons d'Akzib seront une tromperie pour les rois d'Israël.
15 Je t'amènerai un nouveau conquérant, habitante de Marésha ; la gloire d'Israël s'en ira jusqu'à Adoullam.
16 Rase-toi, coupe ta chevelure, à cause de tes fils chéris ! Elargis ta tonsure comme le vautour, car ils s'en vont en exil loin de toi !

*

Lorsque le temple terrestre tend à s’aligner sur les « hauts lieux » (ces sanctuaires d’idoles) sur la route desquels s’est déjà inscrit le sanctuaire de Samarie, le temple a marqué irrémédiablement qu’il n’est qu’une représentation du Sanctuaire céleste, inaccessible à nos idoles. On entre dans une spiritualité affinée, radicalement dégagée des idoles.

C’est cette spiritualité qui est déjà celle de Michée, et qui, déjà avant l’exil, lui permet d’esquisser l’explication de l’apparent abandon par Dieu du peuple de la promesse — « témoin contre vous, le Seigneur, depuis son temple sacré » (v. 2).

Dieu ne se confond pas avec les projections imaginaires qui grèvent le culte de Samarie et qui déjà atteignent Jérusalem.

Aussi, signe que le temple terrestre est dépouillé de son sens, de sa vocation à signifier le Dieu qui est au-delà de nos projections, il est sérieusement menacé par les puissances étrangères. Non seulement le temple ambivalent de Samarie, mais même le temple de Jérusalem !

C’est pourquoi, dans sa lamentation, Michée tient à en rester aux immédiats environs de Jérusalem. Il ne parle même pas de Gath, qui est déjà menacé et est dans une périphérie relativement éloignée (approximativement entre Jérusalem et Gaza dans la géographie actuelle) — pour ne rien dire d’Akko loin dans le nord (actuel Acre au Liban) — non le danger n’est pas éloigné, il est là, aux abords de Jérusalem, qui a perdu sa symbolique protectrice tant ce qui s’y passe montre que si Dieu est bien dans son temple, c’est du Temple céleste qu’il s’agit.

Quel sens pour aujourd’hui ? Dans un monde corrompu jusqu’au cœur des sanctuaires de nos pouvoirs, il est vain de vivre comme si les plaies qui frappent des pays lointains ne nous concernaient pas. Non seulement elles nous concernent dans la solidarité humaine, mais la menace est peut-être plus proche de nous qu’on veut le croire, ne serait-ce que parce que dans la géopolitique mondiale les sanctuaires de nos pouvoirs ne sont pas si innocents que cela dans nombre des malheurs et des violences qui frappent les peuples « lointains », pas si lointains que cela…

« Ne l'annoncez pas dans Gath, ne pleurez pas dans Akko ! Je me roule dans la poussière à Beth-Léaphra » (v. 10). Beth-Léaphra — ou : la maison de poussière —, ici-même.

RP
14.12.10, CP Antibes


dimanche 12 décembre 2010

Temps du désert avant la délivrance




Ésaïe 35, 1-10 ; Psaume 146 ; Jacques 5, 7-10

Matthieu 11, 2-17
2 Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des œuvres du Christ. Il lui envoya demander par ses disciples:
3 "Es-tu Celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?"
4 Jésus leur répondit: "Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez :
5 les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ;
6 et heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi !"
7 Comme ils s’en allaient, Jésus se mit à parler de Jean aux foules : "Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? Un roseau secoué par le vent ?
8 Alors, qu’êtes-vous allés voir ? Un homme vêtu d’habits élégants ? Mais ceux qui portent des habits élégants sont dans les demeures des rois.
9 Alors, qu’êtes-vous allés voir ? Un prophète ? Oui, je vous le déclare, et plus qu’un prophète.
10 C’est celui dont il est écrit : Voici, j’envoie mon messager en avant de toi ; il préparera ton chemin devant toi.
11 En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui.
*

Jean est en prison, à cause de son message, et de sa radicalité, de l’intransigeance de son message, qui lui a valu des ennemis. Fidélité à un message qui porte en son cœur l’espérance sur laquelle, du fond de sa prison, Jean s’interroge. C’est pour lui le temps de l’oubli, de la détresse : la prison. Voilà où l’a mené son message. Alors le temps qu’il a annoncé vient-il ? Vient-il en Jésus ? — dont les œuvres portent des échos jusque dans la cellule du prophète captif.

« Il y a un temps pour tout », dit l’Ecclésiaste. Pour nous s’approche le temps de se réjouir à Noël — dans l’oublie de ce qui va advenir de cet enfant, et déjà dans l’oubli des circonstances de sa naissance. Dans le temps liturgique qui nous est donné en attendant — l’Avent, attente dans l’espérance de celui qui vient et que nous fêtons à Noël — ; dans ce temps accentuant le manque, dans l’attente qui marque ce temps de l’Avent, il s’agit aussi de porter le deuil sur notre temps rebelle auquel viendra mettre fin la lumière que nous espérons. Comme elle mettra fin aux ténèbres de la prison de Jean.

Dans tous les cas, il s’agit d’être disponibles à Dieu qui nous a placés dans le temps avec ses saisons, ses contraintes, et ses joies. Accueillir Dieu où il se donne, comme il se donne. Ce qui vaut beaucoup de leçons. La leçon, bien sûr, de la réalité de notre vie qui est comme un cycle signifié dans le déroulement des saisons liturgiques, jusqu’au temps de la rencontre qu’annonce aussi l’attente de Noël au cours de ce temps l’Avent.

Il y a là, aussi, cette leçon qui pourrait être amère sans la confiance à Dieu, que comme il y a des moments sombres et des moments joyeux dans nos célébrations et nos commémorations…

Un temps pour la joie, avec Jésus, un temps, avec Jean, pour le repentir et le cheminement ! Et dans tous les cas, rien qui satisfasse ceux dont la sagesse de Dieu, plus sage que les hommes, n’a pas creusé les oreilles. Or nous y sommes tous naturellement sourd à cette sagesse, selon laquelle Dieu plonge au cœur de notre temps avec ses aléas et ses difficultés.

*

Cela vaut pour les saisons liturgiques qui nous élèvent hors des nœuds du quotidien, cela concerne aussi les saisons de la vie, où est descendu celui qui est venu dans la lourdeur du temps avec lequel il faut composer.

C’est cela aussi l’annonce de l’Incarnation. Jésus descendra dans la lourdeur du quotidien, dans les tortuosités de la vie, et il y entraîne quiconque sera appelé à le suivre.

Eh bien, là aussi, là d’abord, peut-être, il s’agit de recevoir la parole de Dieu. La recevoir là où elle nous est donnée, pour la voir germer en vie éternelle.

Alors qu’êtes-vous allés voir au désert, — ou au désert de vos temples ?

C’est bien un prophète qui s’est adressé à vous dans le désert, souligne Jésus ; et la façon dont il vous a traités d’engeance de vipère est de l’ordre de la parole de Dieu. C’est dans cette conscience là qu’on prépare la venue du Seigneur.

Et, savez-vous, au fond, son propos est sans doute d’en faire fuir le maximum, car c’est aujourd’hui le jour du combat qui ne sera remporté que par Dieu seul. Et cela est donné en signe lorsque le monde entier abandonne celui qui est resté fidèle. Jean au fonde de sa prison. Nous faisons la fine bouche devant la prédication d’une parole qui n’est pas à la mode, à notre mode, celle de nos danses et chansons ? Nous préférons les clameurs unanimes des violeurs du droit ? Le combat est mené par Dieu, qui est avec son témoin fidèle et isolé. Qu’êtes-vous allés voir au désert ?

Comme en tous temps, le combat de Dieu suppose que Dieu seul est honoré, Dieu qui vient caché sous l’apparence d’un petit enfant. Lui seul doit être honoré par ses portes paroles, et pas eux : il faut qu’il croisse et que je diminue a dit Jean le prophète.

C’est en ce temps que nous sommes. Le temps des combats de Dieu. Nos temples sont vides, nos caisses d’Église sont vides ? Nos fichiers sont déplumés ? C’est le temps des combats de Dieu : ce n’est pas par votre force, pas par votre nombre, c’est par mon Esprit dit le Seigneur.

C’est aujourd’hui le temps du désert… Mais qu’êtes-vous allés faire auprès de Jean ? Il n’y a là que parole de Dieu pour attirer les cœurs assoiffés.

C’est ici le temps où Dieu se prépare une armée trempée dans la repentance que prêche Jean. Et comme en tous temps l’armée de Dieu doit être faible, pour que la force de Dieu seul soit reconnue. Comme au temps du combat de Gédéon, où Dieu diminue drastiquement l’armée de son combat spirituel pour que lui seul soit le maître d’œuvre, ce temps est peut-être celui où Dieu "écrème" son armée de tout ce qui n’est pas attiré par sa seule parole.

Qu’êtes vous allés écouter au désert, ou au temple désert : un chanteur « pipol » ? Mais les chanteur « pipols » ne sont pas dans les temples, ils sont sur les plateaux-télé.

Qu’êtes-vous allés écouter au désert ? Un prophète, « oui, et plus qu’un prophète. C’est celui dont il est écrit : Voici, j’envoie mon messager en avant de toi ; il préparera ton chemin devant toi », et cela par une prédication qui n’a rien pour chercher à séduire : « engeance de vipères, produisez du fruit digne de la repentance », la voilà sa prédication.

Et Jésus en rajoute aujourd’hui. Ce ne sont pas des paroles enjôleuses qui ouvrent le Règne de Dieu. Ce règne « ce sont des violents qui l’arrachent » dit Jésus juste après (Matt 11, 12).

Oh pas de la violence de ce monde ! Lorsque la violence de Babylone menaçait Israël — Babylone, le pire des systèmes de l’époque, ce n’était pas l’Égypte, autre puissance, même moins inhumaine, dont les armes sauveraient Israël. On sait que le prophète Jérémie reprochera au roi d’Israël une vaine tentative d’alliance avec l’Égypte.

Gageons que la parole sur laquelle se fondait Jérémie lui avait appris que quand la force, peut-être indispensable parfois — il ne s’agit pas de le nier —, reverse un pouvoir total, si elle n’est pas fondée en Dieu, elle deviendra de toute façon tôt ou tard à son tour, par les idoles qu’elle adore, une nouvelle idole de puissance qu’il faudra combattre à son tour. L’histoire a cent fois montré cela.

C’est ainsi que dans le combat de Dieu, il ne s’agit pas de la violence de ce monde ! Ce n’est pas contre la chair et sang que vous avez à lutter, mais contre des esprits de ténèbres.

Comme cet esprit de séduction qui voudrait faire croire aujourd’hui que les temples se remplissent en courant après la mode, cet esprit d’engourdissement qui nous susurre : « paix, paix, et il n’y a point de paix ».

C’est aussi cela la préparation des chemins intérieurs du Seigneur de ce temps de l’Avent.

Sachant que c’est un prophète, et pas un chantre de séduction qu’il nous est donné de méditer, à chacun de nous de s’interroger, en son for intérieur. Je me crois trop faible, je me crois trop jeune, je me crois trop vieux. Je me crois insignifiant dans un peuple de croyants insignifiant, trop peu nombreux, etc. C’est juste ! Et figurez-vous que c’est cela que s’est dit chaque prophète, chaque témoin appelé par Dieu. Relisez Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel, Paul. Tous ont eu ce genre de réflexion, juste réflexion, avec pour réponse invariable : « ma grâce te suffit car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse ».

Plus que ça, quand l’Église a couru le risque de se sentir forte, Dieu l’a diminuée, comme au temps de Gédéon… et peut-être au nôtre. À nous alors de savoir discerner en quel temps nous sommes. À nous de nous placer devant Dieu pour lui demander, chacun en son for intérieur : « Seigneur me voici avec mon incompétence, que veux-tu de moi ? »


R.P.
Vence 12.12.10


dimanche 5 décembre 2010

Le prophète Jean — pour une Alliance renouvelée




Ésaïe 11, 1-10 ; Psaume 72 ; Romains 15, 4-9 ; Matthieu 3, 1-12

Matthieu 3, 1-12
1 En ces jours-là paraît Jean le Baptiste, proclamant dans le désert de Judée:
2 "Repentez-vous: le Règne des cieux s’est approché!"
3 C’est lui dont avait parlé le prophète Ésaïe quand il disait: "Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
4 Jean avait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
5 Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui;
6 ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés.
7 Comme il voyait beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens venir à son baptême, il leur dit: "Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d’échapper à la colère qui vient?
8 Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion;
9 et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes: Nous avons pour père Abraham. Car je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham.
10 Déjà la hache est prête à attaquer la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu.
11 "Moi, je vous baptise dans l’eau en vue de la conversion; mais celui qui vient après moi est plus fort que moi: je ne suis pas digne de lui ôter ses sandales; lui, il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
12 Il a sa pelle à vanner à la main, il va nettoyer son aire et recueillir son blé dans le grenier; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas."
*

Lorsque paraît Jean le Baptiste, le judaïsme connaît déjà une pratique du baptême, et cela jusqu’à aujourd’hui. Le judaïsme l’appelle, du mot hébreu, le miqvé.

Le miqvé est une immersion rituelle, symbole de purification, un bain d’eau courante, par exemple dans une rivière ou un bassin non fermé. Comme dans le Jourdain où Jean baptise, ou dans les « piscines » alimentées par les ruisseaux de Jérusalem — nommées par les évangiles : ainsi les miqvaoth (pluriel de miqvé) de Siloé ou de Béthesda.

Le baptême qui accompagne la prédication de Jean le Baptiste relève naturellement du miqvé. Cette prédication annonce bien l’urgence et la nécessité d’une purification, dans la repentance ; à savoir : faire retour — techouva en hébreu —, « changer d’intelligence » selon le terme grec du Nouveau Testament (métanoïa). En français : le repentir, ou la conversion.

*

Selon Jean le Baptiste, pas d’alternative : sans retour sur soi, sans repentance donc, il n’est d’avenir que mortifère, que repli collectif ou communautaire sur un passé dont on ne fait que regretter qu’il soit passé : « nous avons Abraham pour père »…

« Engeance de vipères ! » réplique Jean. Car il s’agit pour ceux auxquels Jean lance son appel, de se détourner d’attitudes indignes d’Abraham ; comme est indigne cette façon de se réclamer de lui sans en avoir la dignité — en transgression de la Torah, la Loi de Dieu ; autant de façons de vipères dans le vocabulaire cru de Jean. Il s’agit, dans le signe du baptême, de se détourner de cela précisément, pour être plongés dans une vie nouvelle, symbolisée par le signe de l’eau.

Ce moment de la prédication du Baptiste marque un tournant vers le futur baptême chrétien, en exprimant, la soulignant d’une façon particulière, une distinction nette entre vie biologique et vie spirituelle — distinction bien inscrite dans la tradition hébraïque : on peut descendre biologiquement d’Abraham sans participer à la vie, à l’expérience spirituelle qui a été la sienne.

La référence à Abraham est ici essentielle : Abraham est dans la Bible « le père de l’Alliance ». En lui, Dieu s’allie un peuple, avec pour signe de l’Alliance la circoncision — à l’occasion de laquelle la tradition fera passer les nouveaux venus au judaïsme par le miqvé.

Car le miqvé est pratiqué, entre autres, lorsqu’une famille non-juive vient au judaïsme : outre la circoncision des mâles, hommes, femmes et enfants passent par le rite du miqvé familial. Leur passage à la religion d’Abraham et de Moïse, symbolise la purification de cette famille, par son exode, comme celui d’Abraham — de la Chaldée, terre de Babylone, vers la promesse — ; ou celui de Moïse et de son peuple — d’Égypte à la Terre promise, — exode qui se terminait chaque fois par la traversée du Jourdain. Le baptême rappelle alors cette traversée du Jourdain.

On pense irrésistiblement à la purification de Naaman le Syrien, ce chef de la hiérarchie militaire syrienne, qui, lépreux, accepte pour sa guérison de se plier au geste auquel au départ il était très réticent, ce geste d’humilité qui était de se faire laver dans cette rivière d’Israël. On pense aussi, concernant toujours ce baptême juif, à la promesse d’Ésaïe ou d’Ézéchiel, d’un nouvel exode à travers le Jourdain, de Babylone à Jérusalem. Jean baptise dans le Jourdain, précisément. Un nouvel exode qui rappelle que nous sommes tous étrangers devant Dieu. Rappelle-toi que tu as été étranger au pays d’Égypte — avec deux conséquences : sois reconnaissant d’avoir été accueilli sur la terre qui appartient à Dieu seul, et sois respectueux et accueillant envers l’étranger (tu l’es aussi, au fond).

En son cœur le baptême de Jean rappelle que tous, quelles que soient nos origines ou notre passé, y compris religieux, fût-il authentiquement de l’ascendance d’Abraham, ou de quelque autre grand ancêtre ou peuple au passé glorieux, tous avons besoin de faire retour à Dieu — depuis le pays d’Égypte. Cela avec tout son sens : au plan moral, retour à Dieu, ou repentance.

Ici on passe à un autre plan, à savoir : nous sommes tous moralement inadéquats devant Dieu — « engeance de vipères », dit Jean. Où il faut remarquer l’humilité des pharisiens qui viennent à Jean. Car il reste quand même de leur geste, se faire laver, que le baptême marque une véritable humilité, dans la confession de son indignité. Et quand on se confesse indigne, on ne se sent pas si fier que l’on ose poser des exigences. On demande si des fois il serait possible...

Et là Jean Baptiste peut prononcer la parole de la grâce et de la consolation, et la promesse de l’Esprit qui est octroyé de façon invisible et préalablement même, par celui qui en est porteur, le Messie, Jésus. Cela, donc, non sans avoir au préalable traité d’abord le candidat, pour qu’il ne s’imagine pas être exempt d’une réelle repentance, d’ « engeance de vipères ».

*

Mais il est toujours temps de produire du fruit de repentance, tout de suite. Pour cela, il faut recourir à la grâce, au don gratuit de Dieu, par la foi, en fonction d'une désespérance de soi-même dans l'exil loin de Dieu. Effectivement tout cela est désespérant : je suis impur et pécheur ; mais il y a un recours, un seul, demander grâce. C’est cela, la demande du baptême. Cela se fonde sur la prise au sérieux de la Loi de Dieu, qui révèle la culpabilité ; et qui met le doigt sur la cause de cet exil dont Dieu promet la fin dans le Messie.

C'est là la fonction du précurseur Jean Baptiste sur lequel ce temps de l'Avent nous invite à méditer : la justice sera établie, « les collines abaissées et les vallées comblées » ; c’est-à-dire : les fiers seront humiliés et les humbles seront relevés. La Loi est l'instrument de cette justice : qui la transgresse connaît le jugement dont l'exil est déjà l'expression, jugement impitoyable. Or, tous la transgressent : « engeance de vipères » dit Jean le Baptiste à ces enfants d'Abraham. Dans sa vigueur, ces paroles indélicates soulignent qu'il n'y a ni excuse, ni exception face à cette exigence de prise au sérieux de la Loi, c’est-à-dire de repentir.

*

Mais la mission de Jean Baptiste, selon le prophète lui-même citant Ésaïe 40, est de consoler le peuple (cit. Ésaïe 40, 1-3). Consolation. Quel est donc le rapport entre repentir, ou repentance, et consolation : la consolation étant la grâce, de don gratuit que Dieu fait au peuple, doit-on succomber à la tentation de conclure que la grâce dépend de la repentance ? Et alors peut-on encore vraiment parler de grâce, de don gratuit ? N'est-on pas dans la voie d'un salut par les œuvres ? Non, la consolation ne dépend pas de notre repentir. Mais, sans les fruits du repentir qu’exige Jean de son ramassis de vipères, la consolation reste théorique.

Car le repentir est dans la Bible le mouvement par lequel Dieu fait revenir le peuple. On l’a dit, pour « repentir », ou « repentance », on pourrait aussi dire « retour ». Et, donc, historiquement, il s'agit d’abord du retour d'exil. Il est important de remarquer que la grâce de Dieu précède le retour du peuple. Mais le retour a vraiment lieu. Parmi les textes de la Bible hébraïque sur lesquels Jean a pu fonder sa pratique baptismale, on trouve par exemple Ézéchiel ch. 36, annonçant le retour du peuple exilé à Babylone. On y lit que c’est Dieu qui prend l’initiative de faire revenir son peuple d’exil en le sanctifiant par une « aspersion d’eau pure » et une effusion de son Esprit.

On retrouve bien là l’œuvre de Jean relative au repentir et au baptême, ainsi que l'annonce que le prophète fait de l’œuvre du Messie qui « baptisera d'Esprit ». Dieu y précède tout mouvement.

Mais le mouvement en question étant le repentir, il faut ne pas oublier le sens profond de l'exil dont le peuple est appelé à revenir. Au-delà de sa dimension géographique, l'exil de Terre Sainte à la terre de Babylone, il est au fond question d'une dimension spirituelle : l'exil dans le péché et la culpabilité, que l'exil à Babylone ne fait que signifier et sceller dans la géographie. Babylone, ou l’Égypte, ou tout autre lieu d’exil. Déjà au temps de Moïse, l'exode d'Égypte était une montée vers Dieu.

Si le peuple se retrouve en exil, c'est, selon le prophète Ésaïe, que la Terre, signe de la présence de Dieu, le rejette, à cause de ses fautes : « ce sont vos péchés qui vous éloignent de moi » disait Dieu dans le livre du prophète Ésaïe (59, 2). C'est ainsi, qu'en son cœur spirituel, le retour géographique du peuple exilé, son exode, signifie un retour spirituel vers Dieu.

Le temps définitif de ce retour d'exil, de cet exode hors du péché est le temps du Messie, le temps du Royaume. C'est ce temps qu'annonce et prépare Jean Baptiste, et qu'accomplit Jésus...

R.P
Antibes, 05.12.2010


mardi 30 novembre 2010

"Tenez ferme"




1 Thessaloniciens 2, 17 – 3, 13
17 Pour nous, frères, séparés de vous pour un temps, loin des yeux mais non du cœur, nous avons redoublé d'efforts pour aller vous voir, car nous en avions un vif désir.
18 C'est pourquoi nous avons voulu nous rendre chez vous — moi-même, Paul, à plusieurs reprises — et Satan nous en a empêchés.
19 En effet quelle est notre espérance, notre joie, l'orgueil qui sera notre couronne en présence de notre Seigneur Jésus, lors de sa venue sinon vous ?
20 Oui, c'est vous qui êtes notre gloire et notre joie. 

1 Aussi, n'y tenant plus, nous avons décidé de rester seuls à Athènes,
2 et nous avons envoyé Timothée, notre frère, collaborateur de Dieu pour la bonne nouvelle du Christ, afin de vous affermir et de vous encourager dans l'intérêt de votre foi,
3 pour que personne ne soit ébranlé dans les détresses présentes. En effet, vous le savez vous-mêmes, c'est pour cela que nous sommes là.
4 Lorsque nous étions chez vous, nous vous disions d'avance que nous allions connaître la détresse ; c'est ce qui est arrivé, vous le savez.
5 C'est pourquoi, n'y tenant plus, j'ai envoyé Timothée s'informer de votre foi, de peur que le tentateur ne vous ait mis à l'épreuve et que notre travail n'ait été inutile.
6 Mais Timothée vient de nous arriver de chez vous ; il nous a donné de bonnes nouvelles de votre foi, de votre amour et du bon souvenir que vous gardez toujours de nous ; il nous a annoncé que vous souhaitiez vivement nous revoir, ce que nous souhaitons tout aussi vivement.
7 Ainsi, au milieu de tout notre désarroi et de notre détresse, frères, nous avons puisé de l'encouragement en vous, grâce à votre foi.
8 Maintenant, nous vivons, puisque vous tenez ferme dans le Seigneur.
9 Comment pouvons-nous rendre grâce à Dieu à votre sujet, pour toute la joie dont nous nous réjouissons à cause de vous devant notre Dieu ?
10 Nuit et jour, nous lui adressons de très instantes supplications, pour qu'il nous soit donné de vous revoir et de suppléer ce qui manque à votre foi.
11 Que notre Dieu et Père lui-même, et notre Seigneur Jésus, aplanissent notre chemin jusqu'à vous !
12 Que le Seigneur fasse foisonner et abonder votre amour les uns pour les autres et pour tous, à l'exemple de celui que nous avons pour vous !
13 Qu'il affermisse votre cœur, pour qu'il soit irréprochable dans la sainteté devant notre Dieu et Père, à l'avènement de notre Seigneur Jésus, avec tous ses saints ! Amen !

*

Ce passage est précédé par un propos fameux et redoutable, qui permet pourtant, si toutefois on le lit bien, de cerner le sens de ce que nous venons de lire.

Le propos précédent et redoutable, si on le lit mal, est celui selon lequel Paul écrirait que « les juifs […] ont "tué le Seigneur Jésus" […] » (1 Th 2, 15). On sait que le terme grec traduit généralement par « juifs » peut aussi vouloir dire « Judéens » (notion religieuse dans un cas, politico-régionale dans l’autre). Le choix se détermine par le contexte. Or le v. précédent indique qu’il est ici question (comme la plupart du temps pour ce terme dans le NT) de référence politico-régionale : « vous avez imité les Églises de Dieu qui sont en Judée […] puisque vous aussi avez souffert, de vos propres compatriotes, ce qu’elles ont souffert de la part des Judéens ; eux qui ont tué le Seigneur Jésus et les prophètes […] » (1 Th 2, 14-15). Paul sait très bien qu’il n’aurait aucun sens d’attribuer aux juifs thessaloniciens l’événement advenu en Judée (la mort de Jésus) dans la complicité des autorités judéennes et romaines ! Le propos de Paul n’en est pas moins redoutable, qui, de plus, ouvre effectivement à un glissement qui renvoie aux tensions de Thessalonique. Le propos n’en serait que plus redoutable si, au lieu de lire « Judéens », comme l’induit le contexte, on traduit le terme par « juifs », selon l’habitude séculière qui a appuyé l’anti-judaïsme chrétien.

Or on serait avec 1 Thessaloniciens, selon nombre de critiques, peut-être l'épître la plus ancienne du Nouveau Testament. Voilà qui commencerait bien mal ! Si c'était ce que dit Paul. Mais ce n'est pas le cas. Ce qui se confirme dans le texte qui suit et que nous avons lu...

Paul est déjà aux prises avec des disciples judéens de Jésus qui ont une autre interprétation des conséquences de sa résurrection quant à l'application de loi de Moïse en vue du Royaume qui s'ouvre. Et leur influence se fait sans doute sentier jusqu'à Thessalonique (« Ils veulent nous empêcher d'annoncer aux autres peuples le message qui peut les sauver » - 1 Th 2, 16). Et c'est cela le problème des destinataires de son épître. Et c'est pour cela que Paul souhaite aller voir les Thessaloniciens — et à défaut leur a envoyé Timothée —, pour les affermir dans son Évangile universel, voulant que les croyants en Jésus d'origine païenne restent ce qu'ils sont quant à leur coutumes nationales, sous peine de grever l'annonce de l'Évangile d'une coloration traditionnelle particulière, en l'occurrence sa tradition d'origine propre, à savoir celle du judaïsme. Fort bien tout cela, mais le risque pour Paul, est de ruiner ipso facto d'extension universelle du Royaume dont la résurrection du Christ est le point de déclenchement.

Voilà qui peut déranger mêmes les autorités romaines. Car si le judaïsme est toléré dans l'Empire, on n'aime pas trop le développement des mouvements qui rompent les frontières des communautés. D'où, au cœur de la persécution en marche, la tentation pour les disciples de Jésus de se rattacher purement et simplement à la version judéenne de leur adhésion à Jésus.

C'est une mise en garde contre cette tentation qui transparait dans cette épitre, à travers encouragements et félicitations, mise en garde d'autant plus vive que le Royaume est proche, et qu'il n'est pas opportun d'en hypothéquer l'urgence en rognant son ouverture universelle...

RP
30.11.10, CP Vence


dimanche 28 novembre 2010

La vigilance comme reconnaissance




Ésaïe 2:1-5 ; Psaume 122 ; Romains 13:11-14 ; Matthieu 24,37-44

Matthieu 24, 37-44
37 Tels furent les jours de Noé, tel sera l'avènement du Fils de l'homme ;
38 car de même qu'en ces jours d'avant le déluge, on mangeait et on buvait, l'on se mariait ou l'on donnait en mariage, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche,
39 et on ne se doutait de rien jusqu'à ce que vînt le déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l'avènement du Fils de l'homme.
40 Alors deux hommes seront aux champs : l'un est pris, l'autre laissé ;
41 deux femmes en train de moudre à la meule : l'une est prise, l'autre laissée.
42 Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir.
43 Vous le savez : si le maître de maison connaissait l'heure de la nuit à laquelle le voleur va venir, il veillerait et ne laisserait pas percer le mur de sa maison.
44 Voilà pourquoi, vous aussi, tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous ignorez que le Fils de l'homme va venir.

*

« Soyez prêts dit Jésus à ses disciples, car le Fils de l'Homme viendra à l'heure où vous n'y penserez pas » (Mt 24, 44). Veillez, soyez prêts à ouvrir à votre Maître, qui viendra comme un voleur. Voilà qui est troublant : le Seigneur viendra comme un voleur, il viendra à l'heure où nous n'y penserons pas.

*

Ces paroles de Jésus rapportées par Matthieu prennent place à la fin de la prophétie qu'il donne à ses disciples en réponse à leur question sur le temps de la fin de Jérusalem, et de façon concomitante, sur le signe de son avènement.

Jésus vient d'annoncer une suite d'événements terribles, avec à leur terme la ruine de Jérusalem et la profanation du Temple. On sait qu'il en a été comme Jésus l'annonçait, avec au comble la profanation du Temple, lors de l'attaque de Jérusalem, qui aura lieu en 70. La génération à laquelle il s'adressait n'est point passée qu'elle n'ait vu cela ; une détresse incomparable : Jésus discernait bien la menace — … sans que pour autant il n'en connaisse le jour (ou la nuit), ni la saison (v. 36).


La prophétie dans le temps

Car la prophétie n'est point prédiction, ce qu'interdisait la Torah, elle est plutôt lecture inspirée du temps et des événements — et par là peut éventuellement être annonce. Mais elle se rapporte à des données. Rappelons quelques unes de ces données : après une brève période d'indépendance au temps des Maccabées, la Palestine est sous domination romaine depuis 63 av. J.C. La Judée a cessé d'être un royaume juif depuis la mort d'Hérode le Grand, en 4 av. J.C. Si son fils Archélaüs hérite la Judée, il n'a pas le titre royal, et lorsque César Auguste le dépose, en 6 ap. J.C., il nomme a sa place un procurateur romain. À l'époque où Jésus donne cette prophétie, le procurateur de Judée est le fameux Ponce-Pilate, qui quelques heures plus tard participera au jeu des dirigeants de la région (le grand prêtre, Hérode Antipas, tétrarque de Galilée) refusant à tour de rôle leur responsabilité dans le procès de Jésus.

C'est sur cette Palestine juive en peau de chagrin que Jésus prophétise. Il invite à la lucidité sur la continuation probable de l'évolution de la situation, jusqu'à la ruine de Jérusalem. Le prophète, inspiré, lit le sens de ce qui advient inévitablement, de ce qui advient en fonction de ce sens même : Dieu est las de notre état. L'épée de Damoclès ne tardera plus à tomber comme l'évolution de la Palestine n'en laisse que peu de doutes.

Et voilà que les responsables de la nation — Jésus en pleure — refusent cette nouvelle main tendue de Dieu, sûrs de leur bonne relation avec lui ! Voilà qui ressemble fort au récit du déluge dans la Genèse.


Une menace historiquement située

Les disciples ne peuvent pas ne pas savoir que la détresse qui menace va les affecter aussi — peut-être personnellement — et de toute façon au plus profond de leur amour pour ceux de leurs proches et amis qui préfèrent nourrir leur optimisme des viandes de leurs banquets plutôt que de fuir vers les montagnes qui entourent Jérusalem, comme y invite Jésus.

Car c'est concrètement de cette façon qu'ils pourront éventuellement éviter le massacre dont Jésus les avertit qu'il sera bientôt perpétré par les Romains. C'est là précisément que doit prendre place la vigilance à laquelle Jésus appelle. Comme aux jours de Noé : que ceux qui écoutent le prophète de malheur se mettent à l'abri de l'inévitable. Ceux qui ont la bonne idée de célébrer leurs mariage sous un ciel d'orage risquent de se mouiller,… dans les eaux du déluge les emportant ; ou de subir les coups des légionnaires frappant au hasard : l'un des deux hommes dans le champ, l'une des deux femmes à la meule, seront pris par leurs bourreaux. Aussi (cf. v. 17-18), que celui qui est au champ ne rentre pas dans Jérusalem, mais fuie, et que celui ou celle qui, dans Jérusalem, est sur le toit de sa maison, c'est-à-dire sur la terrasse, cherche à s'y cacher plutôt que de descendre se faire prendre dans la violence des troupes romaines.


Un avertissement pour tous les temps de l'exil

On le voit donc : avertissement très concret face à une menace très concrète. Avec un encouragement vigoureux à tenir ferme, fondés en l'inespéré. Mais ces menaces concrètes, historiquement situées, ont une portée beaucoup plus large. La détresse et la douleur sont le fait de tout un chacun, de façon plus ou moins prégnante, plus ou moins atroce, en cette vie de pèlerins. Et ses effets sont d'autant moins destructeurs qu'on a vécu dans la conscience de notre exil. Quel n'est pas le choc de celui qui ignore avec superbe le malheur qui ne cesse de l'entourer, au jour où il le frappe ! C'est lui aussi, sur chacun donc, que Jésus invite à ouvrir les yeux sur le fait incontournable de sa non-éternité. Non pas pour le plaisir de jouer les rabat-joie, mais pour nous éviter de trop douloureuses désillusions et nous inviter à bâtir une espérance contre toutes les espérances.

Alors seulement s'ouvre une possibilité de vivre, dans la conscience de leur vanité — et dans la reconnaissance —, les joies d'un quotidien fragile et en passe de se faner.

Dans un temps de détresse, recevoir les délicates fleurs du quotidien et des fêtes du temps, comme autant de signes du jour éternel de la Présence du Christ — dans la certitude que le Temple éternel, le corps du Christ ressuscité, prend place au milieu des humains dans la Jérusalem qui vient.


Le paradoxe de l'espérance

Car c'est dans le cadre de la menace concrète que Jésus enseigne ses disciples à percevoir, du cœur de la douleur, le signe de l'inespéré, le signe de sa venue en gloire ; et enseigne parallèlement aux optimistes, aux adeptes du « tout va bien » — du moins à ceux qui voudraient bien entendre sa voix à travers les musiques de leurs fêtes, — que les temps ne sont pas précisément à la fête, pas plus qu’aux jours de Noé.

Mais, à nouveau, n'allons pas penser, puisque les événements, sur le plan historique, touchent l'Israël du premier siècle, que les avertissements de Jésus ne nous concernent pas, et que c'est dorénavant que « tout va bien ». Ne nous y trompons pas : pour les pèlerins de l'exil, la fête n'est point du temps, mais de l'éternité, et cela dès aujourd’hui. « Malheur à vous qui riez, car vous serez dans le deuil et les larmes » (Luc 6, 25). Mais « heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés » (Mt 5, 4). Cette consolation est, dans la perception de l'inespéré, le signe de la délivrance, au point que la détresse elle-même en devient signe de délivrance, comme les pousses du figuier sont le signe de l'été qui vient (selon cette autre image que donne Jésus dans cette même prophétie).

La menace qu’annonce Jésus sur ceux qui rient n'est pas pour autant un encouragement au ressentiment de ceux qui, pleurant, croiraient devoir espérer une contrepartie céleste de ce qui ne serait que leurs frustrations. Il s’agit, à l’inverse du ressentiment, de reconnaissance. Jésus invite ses disciples, au contraire du ressentiment, à se placer dans la joie de l'inespéré au cœur de la détresse qui va les frapper. Et concrètement, face à une menace concrète, il s’agit concrètement de vivre dans la reconnaissance !


Vigilance

Reconnaissance ?! Étrange ? Reconnaissance de quoi, reconnaissance pour quoi ? Reconnaissance pour ce qui se cache là : « là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur ». Reconnaissance pour le trésor qui nous est octroyé déjà dans le temps, caché au cœur du temps… Le Royaume et les critères de ce monde — fragile, menacé, lourd de détresse et de menace — sont incompatibles. Or c’est là une parole de consolation considérable, que le surgissement imminent de l’inespéré : « là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur ».

C’est la clef de la vigilance, cette sagesse qui seule rend pleinement disponible au Christ, qui vient au jour de l’inespéré. La reconnaissance pour le trésor caché qui est le nôtre, et par lequel tout nous est donné.

La question qui nous est posée encore aujourd'hui est donc celle de savoir où est notre trésor, et l'ayant trouvé, comme l'homme de la parabole ayant trouvé un trésor dans un champ, si nous le jugeons suffisamment précieux pour tout lui sacrifier. Plus précieux que nos biens passagers… qui nous sont donnés en plus — simplement en plus, et en signe du trésor éternel qui seul ne passe pas, que ni les armées romaines ni quelque autre menace ne peuvent atteindre.

Le Règne de Dieu et sa justice, tel est le vrai trésor, avec quoi tout est donné en plus : le Règne de Dieu qui ne va pas sans sa justice. Les fils du Royaume doivent-ils rechercher la même chose que les païens, les biens de ce monde ? Ils viennent en plus : voilà une connaissance qui ouvre à la possibilité de la reconnaissance. Savoir que rien n’est dû, que tout est en plus, et passager ; puisque tout est passager, et comme tel, sujet de reconnaissance.

Avez-vous remarqué que c’est là que s’accomplit le premier commandement ? « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton souffle, de toute ton intelligence, de tous tes moyens. » Comment ? Par la reconnaissance… L’accueil reconnaissant du simple fait d’avoir connu la sensation d’un rayon de soleil ou du souffle du vent. Autant de signes du don de Dieu qui perce au-delà de la détresse du temps et de sa déperdition — dont Jésus annonce l’effet redoutable dans la présence romaine au cœur de Jérusalem.

La vigilance à laquelle nous sommes appelés par la détresse des temps est là. Elle concerne la justice du Royaume que Jésus nous invite à rechercher. Une justice qui consiste en un autre vécu de nos jours, selon d'autres règles, celles d’une vigilance ancrée dans la reconnaissance. À nous de discerner quel est l’appel précis que Dieu nous a adressé, à chacun, ce qu’il nous a confié, en fonction des richesses qu'il nous a octroyées. « On demandera beaucoup à celui à qui l'on a beaucoup donné et on exigera davantage de celui à qui l'on a beaucoup confié ». Or, il nous donné beaucoup, autant de signes, mais signes seulement, du trésor éternel.

*

« C'est l'heure de vous réveiller enfin du sommeil, car maintenant le salut est plus près de nous que lorsque nous avons cru », dira alors Paul (Romains 13, 11). Si c'est vrai au temps de Paul, à combien plus forte raison l'est-ce au nôtre ! « La nuit est avancée » (Ro 13, 12a).

Si c'est vrai au temps de Paul, à combien plus forte raison au nôtre ! Mais si la nuit est plus avancée encore, à plus forte raison aussi, « le jour approche » (12b). Plus la nuit avance, plus le jour est proche. Dans notre nuit, il est donc d'autant plus urgent de s'y préparer, en se dépouillant « des œuvres des ténèbres » (13c), et en premier lieu de la rouspétance plus ou moins inconsciente contre le Christ, qui nous demande de l'accompagner là où il n'y a point de lieu pour reposer nos têtes, sur ce chemin qui mène à la croix, comme celui d’Israël au désert, tenté aussi de rouspéter.

C'est dans la nouveauté de vie qu'il nous faut marcher nous dit Paul. C'est ce que signifie son appel : « Ne vous mettez pas en souci de la chair pour en satisfaire les convoitises » (Ro 13, 14). Dans la nuit qui nous cerne, il s'agit de veiller, non de dormir. Et pour cela, il est un appui indéfectible : n'ayez crainte, je suis avec vous. « Revêtez-vous du Seigneur Jésus » dit Paul (Ro 13, 14). Un trésor inestimable qui vaut et fonde toute reconnaissance.

RP
Cagnes-sur-Mer, 28.11.10


mardi 16 novembre 2010

Des chemins troubles vers la délivrance




Psaume 15
1 Psaume. De David.
SEIGNEUR, qui séjournera dans ta tente ? Qui demeurera dans ta montagne sacrée ?
2 Celui qui suit la voie de l'intégrité, qui pratique la justice et qui parle loyalement, de tout cœur.
3 Il n'utilise pas sa langue pour calomnier, il ne fait pas de mal à son prochain et il n'outrage pas ses proches.
4 Il repousse celui qui est méprisable à ses yeux, mais il honore ceux qui craignent le SEIGNEUR ; il ne se rétracte pas, s'il fait un serment à son préjudice.
5 Il ne prête pas son argent à intérêt, il n'accepte pas de pot-de-vin aux dépens de l'innocent. Celui qui agit ainsi ne vacillera jamais.

Psaume 106
34 Ils n'ont pas dévasté les peuples que le SEIGNEUR leur avait indiqués.
35 Ils se sont mêlés aux nations et ils ont appris leurs œuvres.
36 Ils ont servi leurs idoles, et celles-ci ont été pour eux un piège ;
37 ils ont sacrifié leurs fils et leurs filles aux dévastateurs,
38 ils ont répandu le sang innocent, le sang de leurs fils et de leurs filles, qu'ils ont sacrifiés aux idoles de Canaan, et le pays a été profané par les effusions de sang.
39 Ils se sont rendus impurs par leurs œuvres, ils se sont prostitués par leurs agissements.
40 Le SEIGNEUR s'est mis en colère contre son peuple, et il a pris en abomination son patrimoine.
41 Il les a livrés aux nations ; ceux qui les détestaient les ont dominés ;
42 leurs ennemis les ont opprimés, et ils ont été humiliés sous leur main.
43 Bien souvent il les a délivrés ; mais ils ont fait des projets de rebelles et ils se sont enfoncés dans leur faute.
44 Il a vu leur détresse lorsqu'il a entendu leur cri.
45 Il s'est souvenu en leur faveur de son alliance ; il a eu pitié, selon sa grande fidélité,
46 et il leur a accordé la compassion de tous ceux qui les avaient emmenés captifs.
47 Sauve-nous, SEIGNEUR, notre Dieu, et rassemble-nous d'entre les nations, afin que nous célébrions ton nom sacré et que nous mettions notre honneur à te louer !
48 Béni soit le SEIGNEUR, le Dieu d'Israël, depuis toujours et pour toujours ! Que tout le peuple dise : Qu'il en soit ainsi ! Louez le SEIGNEUR (Yah) !

*

Le Psaume 15 donne comme un déploiement des effets de la Loi reçue dans l’intériorité, le Psaume 106 présente son échec quant à son application dans le temps.

Le Psaume 106 présente en résumé quelques-unes des étapes marquantes du parcours du peuple depuis l’exil d’Égypte jusqu’au retour d’exil de Babylone, montrant qu’au cours temps il a fait preuve d’une constance remarquable, de génération en génération, dans la surdité à l’appel de Dieu et dans la pratique du culte des idoles.

Et rien n’a jamais changé, jusqu’en l’exil, qui a été la conséquence de la conformation à l’idolâtrie ambiante. Le retour d’exil lui-même n’est pas le fruit d’un changement, mais de la seule miséricorde de Dieu attentif à la détresse de son peuple (v. 44-46).

C’est au point que jusqu’à présent il est question de retour à Dieu, comme effet de sa seule miséricorde (v. 47-48).

À ce point se scelle l’échec de la Loi à accomplir ce qu’elle prescrit. Échec avéré dans l’histoire du peuple, qui permet même de s’interroger sur le rapport entre la Loi comme parole éternelle et la Loi dans sa compréhension historique. Le récit épique de l’histoire du peuple est reçu comme effet de sa compréhension de la Loi, et de la non-observation de cette compréhension. Avec une question : la non-observance de ce qui fut reçu comme prescriptions historiques n’est-elle pas elle-même le signe de la distance entre la Loi éternelle et sa compréhension dans le temps (1er usage de la Loi – usage politique).

Ainsi le peuple n’est-il pas dans la situation d’Abraham percevant l’ordre de Dieu comme étant celui de sacrifier son fils… jusqu’à ce que Dieu le mène à entendre que ce n’est nullement de cela qu’il s’agit ? De même le peuple percevant l’ordre de détruire les nations des territoires de la conquête ne se voit-il pas au bout du compte dévoiler, mais cette fois par sa désobéissance, que cette compréhension-là de La loi en dévoile une impasse, celle au bout de laquelle de toute façon l’idolâtrie succède à l’idolâtrie ? Et débouche sur l’exil loin de Dieu, perçu comme Dieu de colère.

Une Loi s’avérant haïssable par cela même qu’elle semble prescrire, en radicale opposition aux désirs de notre propre nature — voire à ses désirs les plus sains (qu’est-ce que cette exaltation à regret d’une dévastation non-avérée ? – v. 34). Mais du coup se dévoile aussi de la façon la plus crue l’ambiguïté de notre propre nature, qui à travers même ses désirs les plus sains en cache d’autres, secrets, bien moins avouables, projetant à la face du ciel les débouchés les plus vils de ses volontés, jusqu’au sacrifice dévastateur de ses propres enfants ! (v. 37)

À ce point, la Loi, suscitant la haine contre son auteur, marque et son impuissance et sa seule fonction, intérieure, nous mettant face à nos mensonges. Elle nous conduit alors (2e usage de la Loi, pédagogique) à recourir à la grâce et à la confession que l’avons bien mal lue et reçue. Elle n’offre dès lors à l’être gracié que le tracé d’une structuration intérieure — suivre la voie de l'intégrité (3e usage de la Loi, structurateur) —, une injonction à la vie, riant des impuissances de notre propre nature à atteindre ce qui reste hors d’atteinte.

R.P.
Antibes, CP, 16.11.10


dimanche 14 novembre 2010

"Il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée"




Malachie 3, 1 ; Psaume 98 ; 2 Thessaloniciens 3, 7-12 ; Luc 21, 5-19.

Luc 21, 5-19
5 Comme quelques-uns parlaient du temple en évoquant les belles pierres et les offrandes dont il était orné, il dit :
6 Les jours viendront où, de ce que vous voyez, il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée.
7 Ils l'interrogèrent : Maître, quand donc cela arrivera-t-il ? Quel sera le signe annonçant ces événements ?
8 Il répondit : Veillez à ne pas vous laisser égarer. Beaucoup, en effet, viendront en se servant de mon nom, en disant : « C'est moi ! », et : « Le temps s'est approché ! » N'allez pas à leur suite.
9 Quand vous entendrez parler de guerres et de désordres, ne vous effrayez pas, car cela doit arriver d'abord. Mais la fin n'est pas pour tout de suite.
10 Alors il leur disait : Nation se dressera contre nation et royaume contre royaume,
11 il y aura de grands tremblements de terre et, dans divers lieux, des pestes et des famines ; il y aura des phénomènes terribles et de grands signes du ciel.
12 Mais, avant tout cela, on mettra la main sur vous et on vous persécutera ; on vous livrera dans les lieux de cultes, on vous jettera en prison, on vous mènera devant des rois et des gouverneurs à cause de mon nom.
13 Cela vous amènera à rendre témoignage.
14 Sachez bien que vous n'avez pas à préparer votre défense,
15 car moi, je vous donnerai une parole, une sagesse, à laquelle tous vos adversaires ne pourront s'opposer, qu'ils ne pourront contredire.
16 Vous serez livrés même par des parents, des frères, des proches et des amis, et on fera mettre à mort plusieurs d'entre vous.
17 Vous serez détestés de tous à cause de mon nom.
18 Mais pas un seul cheveu de votre tête ne sera perdu ;
19 par votre persévérance, acquérez la vie !
*

« Il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée » (v. 6).

L’événement de la première destruction du temple, en 586 av. J.C., marque et la perte de souveraineté d’Israël, et la perte, alors provisoire, de la possibilité de sacrifier. Cette perte deviendra définitive en 70 — jusqu’au Royaume où subsiste comme seul sacrifice la seule action de grâce — selon ce que le Talmud annonce que dans le Royaume de Dieu, les sacrifices seront abolis — sauf le sacrifice d’action de grâce.

Le retour de l’exil de 586 à Babylone laissera le pays sous la souveraineté de la Perse, puis des divers empires, malgré quelques moments de résistance glorieux comme sous les Grecs. Mais pas de réintégration totale et définitive de la souveraineté. Plus de royaume souverain d’Israël (que n'est non plus l'État moderne d’Israël, laïque !), au point que Jean le Baptiste annonce encore, au temps romain, la fin de l’exil (fin qui pour lui n’a donc pas vraiment eu lieu) et la venue du Royaume. Au point qu’au début du livre des Actes des Apôtres, les disciples interrogent encore le Ressuscité sur le jour de la restauration du Royaume d’Israël !

Il n’y aura pas de reprise de souveraineté politique au nom de Dieu d’un État, ni a fortiori d’une Église ! C’est l’erreur des chrétientés médiévales byzantine et latine (auxquelles l’islam a emboîté le pas) que d’avoir cru le contraire. La souveraineté politique a été retirée au peuple de Dieu en 586, et ne sera pas ré-octroyée. (Il n’est pas inutile de souligner cela en ce dimanche de l’Église persécutée : nul n’a le pouvoir ni le droit de dire un délit d’opinion, et a fortiori de poursuivre, de persécuter, pour un délit d’opinion !)

La dynastie légitime alliée avec Dieu, celle de David, trouve son dernier représentant dans le Messie, seul souverain du Royaume de Dieu, Roi-prêtre selon l’ordre de Melchisédech, selon l’Épître aux Hébreux citant le Psaume 110. Un Royaume dont la Loi est inscrite dans les cœurs, et qui n’a donc pas d’institutions pénales d’un État souverain, comme avant 586. En 586, ce domaine de la Torah prend fin.

Les auteurs du Nouveau Testament, à l’instar des scribes pharisiens, ont tiré eux aussi cette conséquence qui s’impose de la perte de souveraineté politique du royaume d’Israël : pas de royaume, jusqu’à la venue du Royaume du Messie.

La dynastie sacerdotale, elle, qui s’est maintenue pendant le premier exil à Babylone, a repris ses fonctions après le retour de Babylone. Le Temple a été rebâti. Il est encore en activité à l’époque du Nouveau Testament — géré par la caste sacerdotale des Sadducéens. Ce second Temple, on le sait, sera détruit, comme l’annonçait Jésus, en 70, par les Romains. « Pas pierre sur pierre qui ne soit renversée »…

Alors disparaîtront, et la dynastie sacerdotale des Sadducéens (qui viennent d’interroger Jésus sur la résurrection), et les sacrifices. Seule reste l’action de grâce. Le domaine sacrificiel sacerdotal de la Torah prend fin en 70 — étant désormais au seul pouvoir du Roi-prêtre selon Melchisédech. Ici a eu lieu la fin de ce temps, annoncée par Jésus pour sa génération.

De la Loi qui ne passera pas jusqu’à ce que passent les cieux et la terre, subsiste alors, jusqu’à la venue des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, sa dimension morale, sous tous ses angles, selon tous les usages que l’on en peut faire. En son cœur, l’action de grâce, où s’établit l’amour pour Dieu.

Cela en un temple qui n’est pas fait de mains d’hommes, selon la promesse de l’Exode (25:8) : « Ils me feront un sanctuaire, et j’habiterai au milieu d’eux. »

Une parole qui nous échappe, dont le Temple n’a fait que porter l’écho. Une parole qui structure notre vie intérieure de sorte que s’accomplisse la promesse divine : « ils me feront un temple et je demeurerai au milieu d’eux », promesse que reprend l’Apôtre Paul pour demander aux croyants du Nouveau Testament : « n’êtes-vous pas le temple de l’Esprit saint ? »

Le Royaume est au milieu, au-dedans de vous, sa règle est résumée par l’Épître aux Hébreux (9, 16-20), citant le prophète Jérémie (ch. 33) : « Voici l’alliance par laquelle je m’allierai avec eux après ces jours-là, a déclaré le Seigneur : mes lois, c’est dans leurs cœurs et dans leur pensée que je les inscrirai, et de leurs péchés et de leurs injustices je ne me souviendrai plus. Or, là où il y a eu pardon, on ne fait plus d’offrande pour le péché. Nous avons ainsi, frères, pleine assurance d’accéder au sanctuaire par le sang de Jésus. Nous avons là une voie nouvelle et vivante, qu’il a inaugurée à travers le voile, c’est-à-dire dans sa chair. »

*

Deux conséquences : la première, liée à la perte définitive de toute souveraineté temporelle, déjà advenue depuis la première destruction du Temple, en 586, laisse les disciples en proie à toutes les menaces et persécutions, sans protection temporelle, militaire ou policière — cela dès avant la seconde destruction.

Deuxième conséquence, scellée définitivement par la seconde destruction du Temple : le dévoilement du sens du Temple. Dieu demeure au milieu de nous, en nous, selon la promesse : « ils me feront un temple et je demeurerai au milieu d’eux ». Promesse dont tout le sens éclate paradoxalement lorsque le Temple est détruit ! Ce n’est pas en ces murs que Dieu demeure, mais au sein du peuple !

La présence de Dieu est donnée dans une parole qui nous échappe, qui retentit jusqu’au jour du Royaume en des murs qui ne sauraient la retenir… Non plus que nos mots ne sauraient le faire.

La libre parole de Dieu ne s’enfermant pas plus en des mots qu’en des murs, lorsqu’éclate le sens de l’éclatement des murs pour l’effusion de la parole qu’ils signifient : « je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » ; au jour où s’abat la menace, « vous n'avez pas à préparer votre défense, car moi, je vous donnerai une parole, une sagesse, à laquelle tous vos adversaires ne pourront s'opposer » (v. 14-15).

C’est de la parole éternelle qui ne se fixe pas plus dans des mots que dans les murs du Temple qu’il est question ! C’est cette parole dont la destruction des murs du Temple symbolisent aussi l’effusion… Le parole du ressuscité qui va bientôt se répandre jusqu’aux extrémités de la terre : « je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ».

Dès les origines, il est question de la parole, de la parole qui précède et fonde le monde quand elle est énoncée. « Au commencement était la parole » dit Jean 1, 1 en écho à la Genèse où Dieu parle et la chose advient : « Dieu dit que la lumière soit et la lumière fut ». On est avec une parole qui précède même le son.

Dès les origines, « les cieux racontent la gloire de Dieu, et l’étendue manifeste l’œuvre de ses mains. Le jour en instruit un autre jour, la nuit en donne connaissance à une autre nuit. Ce n’est pas un langage, ce ne sont pas des paroles dont le son ne soit point entendu » (Psaume 19, 1-3).

C’est cette parole éternelle que les témoins livrés aux pouvoirs vont porter, car « qui entendra si personne n’énonce cette parole » qui fait écho à la parole éternelle ? — un écho qui résonne en ce monde quand la promesse est proclamée : « je suis avec vous tous les jours »…

Une parole qui est infiniment au-delà des mots qui en énoncent l’écho dans le temps comme elle est au-delà des murs du Temple dont il ne restera pas pierre sur pierre. Voilà donc que leur éclatement annonce paradoxalement la proche réconciliation de toutes choses, qui sera encore donnée dans le déchirement du corps de celui qui incarne cette parole, la parole du commencement venue en chair dans le Christ, déchiré à la croix.

Où cette prophétie redoutable sur la fin de Jérusalem et la destruction du Temple s’avère parole de consolation en vue de cette destruction dont la menace plane : c’est ici que son sens éternel se dévoile, alors que s’annonce la réconciliation du monde par l’effusion de la parole du retour à Dieu de toute la création plongée dans la soif de sa source, dans le manque de sa source prête à jaillir du Temple renversé… de notre monde renversé.

Au cœur de la détresse luit la promesse — « je demeurerai au milieu d’eux » ; « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ».


RP, Vence, 14.11.10


dimanche 7 novembre 2010

Pouvoir et résistance des persécutés




Psaume 17 ; Daniel 3 ; 2 Thessaloniciens 2, 16 à 3, 5 ; Luc 20, 27-38

Daniel 3
1 Le roi Neboukadnetsar fit une statue d’or, de trente mètres de haut et de trois mètres de large. Il la dressa dans la vallée de Doura, dans la province de Babylone.
2 Le roi Neboukadnetsar fit convoquer les satrapes, les intendants et les gouverneurs, les magistrats, les trésoriers, les juristes, les juges et toutes les autorités des provinces, pour qu’ils se rendent à l’inauguration de la statue qu’avait dressée le roi Neboukadnetsar.
3 Alors les satrapes, les intendants et les gouverneurs, les magistrats, les trésoriers, les juristes, les juges et toutes les autorités de la province s’assemblèrent pour l’inauguration de la statue qu’avait dressée le roi Neboukadnetsar. Ils se placèrent devant la statue qu’avait dressée Neboukadnetsar.
4 Le héraut cria avec force : Voici ce qu’on vous ordonne, peuples, nations, hommes de toutes langues !
5 Au moment où vous entendrez le son du cor, de la flûte, de la cithare, de la sambuque, du psaltérion, de la cornemuse et de toutes sortes d’instruments de musique, vous vous prosternerez et vous adorerez la statue d’or qu’a dressée le roi Neboukadnetsar.
6 Quiconque ne se prosternera pas et n’adorera pas sera jeté à l’instant même au milieu d’une fournaise ardente.
7 C’est pourquoi, au moment où tous les peuples entendirent le son du cor, de la flûte, de la cithare, de la sambuque, du psaltérion et de toutes sortes d’instruments de musique, tous les peuples, les nations, les hommes de toutes langues se prosternèrent et adorèrent la statue d’or qu’avait dressée le roi Neboukadnetsar.
8 À cette occasion, et dans le même temps, quelques Chaldéens s’approchèrent et accusèrent les Juifs.
9 Ils prirent la parole et dirent au roi Neboukadnetsar : Ô roi, vis à jamais !
10 Ô roi, tu as donné un ordre d’après lequel tout homme qui entendrait le son du cor, de la flûte, de la cithare, de la sambuque, du psaltérion, de la cornemuse et de toutes sortes d’instruments devrait se prosterner et adorer la statue d’or,
11 et d’après lequel quiconque ne se prosternerait pas et n’adorerait pas serait jeté au milieu d’une fournaise ardente.
12 Or, il y a des Juifs à qui tu as remis l’administration de la province de Babylone, Chadrak, Méchak et Abed-Nego. Ces hommes ne tiennent aucun compte de ton ordre, ô roi ; ils ne servent pas tes dieux et ils n’adorent pas la statue d’or que tu as dressée.
13 Alors Neboukadnetsar, irrité et furieux, donna l’ordre d’amener Chadrak, Méchak et Abed-Nego. Et ces hommes furent amenés devant le roi.
14 Neboukadnetsar prit la parole et leur dit : Est-ce de propos délibéré, Chadrak, Méchak et Abed-Nego, que vous ne servez pas mes dieux, et que vous n’adorez pas la statue d’or que j’ai dressée ?
15 Maintenant tenez-vous prêts, vous allez entendre de nouveau jouer et au moment où vous entendrez le son du cor, de la flûte, de la cithare, de la sambuque, du psaltérion, de la cornemuse et de toutes sortes d’instruments, vous vous prosternerez et vous adorerez la statue que j’ai faite. Si vous ne l’adorez pas, vous serez jetés à l’instant même au milieu d’une fournaise ardente. Et quel est le dieu qui vous délivrera de ma main ?
16 Chadrak, Méchak et Abed-Nego répliquèrent au roi Neboukadnetsar : Nous n’avons pas besoin de te répondre là-dessus.
17 Si cela doit être, notre Dieu que nous servons peut nous délivrer : il nous délivrera de la fournaise ardente et de ta main, ô roi.
18 Sinon, sache ô roi, que nous ne servirons pas tes dieux et que nous n’adorerons pas la statue d’or que tu as dressée.
19 Alors Neboukadnetsar fut rempli de fureur, et l’aspect de son visage changea devant Chadrak, Méchak et Abed-Nego. Il reprit la parole et ordonna de chauffer la fournaise sept fois plus qu’il n’était habituel de la chauffer.
20 Puis il commanda à quelques-uns des plus vigoureux soldats de son armée de lier Chadrak, Méchak et Abed-Nego, et de les jeter dans la fournaise ardente.
21 Ces hommes furent liés, revêtus de leurs habits, de leurs tuniques, de leurs manteaux et de leurs autres vêtements, et jetés au milieu de la fournaise ardente.
22 À cause de l’ordre du roi qui était sévère, et parce que la fournaise était extraordinairement chauffée, la flamme tua les hommes qui y avaient jeté Chadrak, Méchak et Abed-Nego.
23 Et ces trois hommes, Chadrak, Méchak et Abed-Nego tombèrent liés au milieu de la fournaise ardente.
24 Alors le roi Neboukadnetsar fut effrayé et se leva précipitamment. Il prit la parole et dit à ses conseillers : N’avons-nous pas jeté au milieu du feu trois hommes liés ? Ils répondirent au roi : Certainement, ô roi !
25 Il reprit et dit : Eh bien ! je vois quatre hommes sans liens, qui marchent au milieu du feu et qui n’ont pas de mal ; et l’aspect du quatrième ressemble à celui d’un fils des dieux.
26 Puis Neboukadnetsar s’approcha de l’entrée de la fournaise ardente, prit la parole et dit : Chadrak, Méchak et Abed-Nego, serviteurs du Dieu Très-Haut, sortez et venez ! Et Chadrak, Méchak et Abed-Nego sortirent du milieu du feu.
27 Les satrapes, les intendants, les gouverneurs et les conseillers du roi s’assemblèrent ; ils virent que le feu n’avait eu aucun pouvoir sur le corps de ces hommes, que les cheveux de leur tête n’avaient pas été brûlés, que leurs habits n’étaient pas endommagés, et que l’odeur du feu ne les avait pas atteints.
28 Neboukadnetsar prit la parole et dit : Béni soit le Dieu de Chadrak, de Méchak et d’Abed-Nego, lui qui a envoyé son ange et délivré ses serviteurs. Ils ont eu confiance en lui. Ils ont violé l’ordre du roi et livré leurs corps plutôt que de servir et d’adorer tout autre dieu que leur Dieu !
29 Voici maintenant l’ordre que je donne : Tout homme, à quelque peuple, nation ou langue qu’il appartienne, qui parlera inconsidérément contre le Dieu de Chadrak, de Méchak et d’Abed-Nego sera mis en pièces, et sa maison sera réduite en un tas d’immondices, parce qu’il n’y a aucun autre Dieu qui puisse délivrer comme lui.
30 Après cela, le roi fit prospérer Chadrak, Méchak et Abed-Nego dans la province de Babylone.
*

Le texte de Daniel que nous avons lu est très moderne. Il l’a d’ailleurs toujours été : il y est question d’un pouvoir totalitaire qui se fait adorer et persécute ceux qui ne se plient pas à ses désirs et ordres, en l’occurrence les disciples du Dieu qui ne se confond avec aucun pouvoir. Et on peut constater à travers l’Histoire que la persécution est toujours le fait d’un pouvoir totalitaire ou de ce qui cherche à le devenir, et que du coup, elle a la plupart du temps visé les disciples du Dieu que nul n’a jamais vu, dont la foi anti-idolâtre a toujours gêné les pouvoirs totalitaires, par nature idolâtres.

Mais, me direz-vous peut-être, les pouvoirs totalitaires se sont souvent réclamés d’un Dieu unique — et cela jusqu’à aujourd’hui.

On sait certes que le dernier pouvoir totalitaire persécuteur du XXe siècle européen était athée : le pouvoir soviétique et avec lui les autres pouvoirs se réclamant du communisme. Leurs principales victimes étaient les croyants. Et sur le plan de son athéisme, ce pouvoir-là n’avait pas grand chose à envier à l’autre totalitarisme du XXe siècle, le pire de l’histoire, le totalitarisme fasciste et nazi. Mais qu’en est-il aujourd’hui, où la persécution est très souvent le fait de pouvoirs se réclamant de l’islam, tenants d’un Dieu unique, donc ? Ou de même, les temps de chrétienté du Moyen Age et de ses suites, où le pouvoir qui persécutait à qui mieux mieux les croyants au Dieu unique, juifs, hérétiques et protestants, était catholique, croyant au Dieu unique. Apparemment, ce que je viens de dire est brouillé par les faits.


Dieu unique ou idole unique ?

Mais attendez : croyants au Dieu unique, ou à une idole unique, ces pouvoirs persécuteurs-là ? Le pouvoir catholique médiéval, au moment où il était clairement persécuteur, voyait son chef auto-proclamé « vicaire du Christ » sur terre, après avoir adopté le titre de l’ancien empereur romain divinisé : « souverain pontife ». À y regarder de près, ce pouvoir-là adorait-il le Dieu que l’on ne peut pas représenter, ou se prenait-il lui-même pour la représentation de Dieu ?

De même aujourd’hui, la figure sinistre qui, au nom de l’islam, apparaît de temps en temps, et de préférence en période électorale, à coup de bombes ou de déclarations lénifiantes et menaçantes à la fois, sur les écrans de télévision du monde entier. Ne se prend-il pas pour Dieu — quand il s’auto-octroie — comme ces derniers jours contre une Église d’Irak — le pouvoir sur la vie et la mort, et quand il vient jouer les sages et calmes donneurs de conseils célestes auprès de ceux qu’il a endeuillés et ensanglantés ?!

Le Dieu que nul ne peut nommer et que nul n’a jamais vu ? Nous voilà plutôt avec l’adorateur d’une idole unique à son image, oui ! — et rien d’autre — un Dieu dont on se fait la voix, et que l’on représente, un Dieu pour l’on se prend donc, comme Nabuchodonosor (Neboukadnetsar), qui ne proposait lui aussi, qu’une seule idole… À son image, forcément, comme tous les prétendus « défenseurs de Dieu » — en fait d’eux-mêmes, forcément !


Totalitarisme, idole et persécution

On peut donc en revenir au texte de Daniel. Un lien étroit s’y noue là entre totalitarisme, idole et persécution. Nabuchodonosor est maître du monde, croit-il. Il est fondé à le penser, remarquez. Il a soumis toutes les puissances de la terre. Il a même fichu par terre, à Jérusalem, le Temple du Dieu unique. De quoi impressionner ses témoins, les juifs, comme dans les époques ultérieures et jusqu’à nos jours, les chrétiens avec eux, qui lisent à leur tour ce texte.

Eh bien ! — en voilà quelques-uns, avec Chadrak, Méchak et Abed-Nego, qui décident de ne pas se laisser impressionner. Nabuchodonosor a bien abattu des murs — à la symbolique forte, certes, signifiant la présence de Dieu parmi les hommes. Oui, Nabuchodonosor a détruit le temple, mais Chadrak, Méchak et Abed-Nego le savent, il n’a pas abattu Dieu pour autant.

Nabuchodonosor a pouvoir sur tout ? Sur tout ce qui se soumet à son pouvoir peut-être, mais pas sur Dieu, qui lui a octroyé, pour des raisons que lui seul connaît, son trône provisoire. « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut » (Jn 19, 11) — répondra de même Jésus au représentant de l’empereur romain. Chadrak, Méchak et Abed-Nego ont eux aussi cette conviction.

Mais Nabuchodonosor se prend pour Dieu : pensez, il a un tel pouvoir : il peut mettre par terre jusqu’au Temple de Dieu, apparemment impunément. Alors il va faire reconnaître son pouvoir par tous : il va faire une image, gigantesque, en or — oh oui, décidément, il en a du pouvoir ! 30 mètres de haut son colosse : l’équivalent du Colosse de Rhodes, qui sera une des 7 merveilles du monde, comme le sont les jardins de Babylone que lui-même, Nabuchodonosor, a fait construire pour le plaisir de sa femme.

Oh oui, il en a du pouvoir ! — et que tout le monde la ferme ! Et pour cela, pour que personne ne puisse élever la voix, c’est un orchestre assourdissant qui donnera le signal du prosternement lors de l’inauguration de son idole. Le livre de Daniel en énumère à plaisir la liste des instruments, un plaisir dans l’ironie, non dissimulé. On se prosternera, décrète Nabuchodonosor, sous peine de persécution généralisée et de mort par le feu… Et voilà que Chadrak, Méchak et Abed-Nego ne se prosternent pas ?! Oh ! Ils n’ont même pas tenu à se faire remarquer — on les a dénoncés.


Quelle est l’idole ?

Ce qui nous permet de faire un pas supplémentaire pour savoir quelle est l’idole, quelle est l’idole, alors et en tout temps.

Chadrak, Méchak et Abed-Nego ont été dénoncés par jalousie. On sait que parmi les déportés juifs, plusieurs, parmi lesquels ils sont, ont été remarqués pour leur sagesse. Et, mégalomane, mais pas encore tout à fait fou, Nabuchodonosor les a embauchés parmi ses conseillers. Et ils font de l’ombre à certains. « Quelques Chaldéens » nous dit le texte, c’est-à-dire l’entourage de sages, les conseillers du prince, qui vont lui signaler que « certains » — suivez mon regard : des juifs — ne se prosternent pas.

À ce point, résumons-nous : une idole ; d’or ; de la jalousie, compétition pour paraître devant le pouvoir. On a là les ingrédients qui conduisent à la persécution : l’idole devant qui on est obligé de se prosterner, l’idole du pouvoir total qu’elle représente. Le pouvoir devant qui l’on se plie, en en rajoutant dans les courbettes, sauf à s’y refuser consciemment. L’idole d’or, symbole on ne peut plus clair du pouvoir total : qui a l’or, peut tout en ce monde, jusqu’à dresser les hommes les uns contre les autres dans la course au paraître.

Sous cet angle, Jésus, avec la tradition juive, la nomme, l’idole : Mammon. Mammon et Nabuchodonosor qui le sert ont les moyens de faire plier quiconque : de gré — personne n’a forcé les Chaldéens à dénoncer Chadrak, Méchak et Abed-Nego, leur intérêt dans le désir de paraître devant le pouvoir a suffi — ; de gré, ou de force : la mort par le feu si ça ne vous plaît pas. L’idole : le pouvoir, l’or, qui poussent à la compétition en vue du paraître ! Eh bien, il faut bien le dire : rien de nouveau sous le soleil. On en est encore là.

La nouveauté n’est jamais que celle des tentacules diverses de la même pieuvre, assoiffée de brûler tout ce qu’elle ne peut soumettre, quitte pour ses serviteurs à s’y brûler soi-même comme s’y brûlaient les hommes qui avaient jeté Chadrak, Méchak et Abed-Nego dans la fournaise chauffée à blanc.


La vie devant Dieu seul — dans la fournaise avec le 4ème homme

Cette pieuvre, qui vise toujours à dominer le monde n’a, comme aux temps de Daniel contre Nabuchodonosor, qu’un ennemi en ce monde : le témoin fidèle de la vérité, cette parole du Dieu unique, qui ne combat pas le pouvoir spirituel des idoles avec les armes et leurs fracas, les armes physiques, qui n’ont aucun pouvoir contre les choses de l’esprit.

On comprend que la pieuvre veuille à tout prix détruire de tels témoins. On est face à une violence terrible et déterminée, qui se manifeste comme or, pouvoir, compétition et paraître.

Seul Dieu y met un terme. Seuls les témoins de la vérité et de sa parole lui mettent ici-bas des bâtons dans les roues en refusant de s’y soumettre. Refus qui demande de la vigilance ! — car la pieuvre a plusieurs visages, ou tentacules.

Il s’agit dans tous les cas pour refuser de se prosterner devant l’idole, d’être devant Dieu seul. Coram Deo sola fide vivere — vivre devant Dieu par la foi seule — selon la formule de la Réforme. Cela n’a l’air de rien, mais cette parole qui est celle de notre liberté, nous coûtera tout. Et à l’heure actuelle même, pour la majorité des témoins de Dieu et du Christ de la planète, cela coûte la persécution, comme pour Chadrak, Méchak et Abed-Nego.

Mais ceux-là triomphent, ils ne sont pas seuls ; étant devant Dieu seul, ils sont à l’image du 4ème homme, qui est avec eux dans la fournaise. « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi » a averti Jésus, cela pour dire : « n’ayez donc point crainte : je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des siècles » — comme le 4ème homme.

Le 4ème homme. Celui selon l’image duquel nous avons été faits. Car c’est bien là le « selon l’image » de la création. C’est ici que se fait le partage entre une humanité défigurée par l’idole à laquelle elle se conforme et une humanité qui s’y refusant, est transfigurée par l’image de Dieu selon laquelle elle est faite, et qui est le 4ème homme. Le Fils de l’Homme qui est dans les cieux, dévoilé au dimanche de Pâques dans le Christ ressuscité. Voilà une des choses que dit pour nous, comme signe, le baptême dans la mort du Christ, qui a traversé la fournaise de la mort, pour que nous participions, dès aujourd’hui, à sa résurrection — comme enfants de la résurrection.

Luc 20, 36-38 :
36 C’est qu’ils ne peuvent plus mourir, car ils sont pareils aux anges: ils sont fils de Dieu puisqu’ils sont fils de la résurrection.
37 Et que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même l’a indiqué dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob.
38 Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants.

Telle est la promesse qui au cœur de la décision de suivre le Christ, quoiqu’il en coûte.

R.P.
Antibes 7.11.10